Au coeur du cabinet Temime, plongée chez les stars du barreau

Près d’un an après la brutale disparition de l'avocat Hervé Temime, le cabinet qui porte son nom lui survit. Ses huit associés, fans absolus du pénaliste, ont fait le pari fou de poursuivre sans lui.
Pauline Delassus
De gauche à droite: Léon del Forno, Chirine Heydari-Malayeri, Martin Reynaud (debout), Quentin de Margerie, Corinne Dreyfus-Schmidt, Harold Teboul, Julia Minkowski et Olinka Malaterre, dans l’ancien bureau d’Hervé Temime, le 25 janvier.
De gauche à droite: Léon del Forno, Chirine Heydari-Malayeri, Martin Reynaud (debout), Quentin de Margerie, Corinne Dreyfus-Schmidt, Harold Teboul, Julia Minkowski et Olinka Malaterre, dans l’ancien bureau d’Hervé Temime, le 25 janvier. (Crédits : © AMBROISE TEZENAS POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Pour ceux qui l'ont tant aimé, tourner la clé dans la serrure chaque matin le rend encore un peu vivant. Au 156, rue de Rivoli, à Paris, le cabinet Temime a tout d'une maison de famille, ancienne, cossue, chaleureuse... et hantée. Le fantôme du grand avocat semble nous guider le long des couloirs décorés de vieilles photos, dans les salons transformés en luxueux bureaux, jusqu'à la cuisine, centre névralgique des repas d'équipe, la salle de bains d'époque ou les balcons dominant le Louvre. Au premier étage, une immense pièce aux plafonds sculptés : son antre, devenu salle de réunion et mausolée. Sur la table de travail, un désordre intact, du courrier, quelques bouquins, ses pochettes jaunes fétiches, une calculatrice. Tout autour, des œuvres d'art, la dernière qu'il ait acquise notamment, étrangeté parmi sa collection contemporaine, la peinture classique d'un crépuscule. Sur la cheminée, un cliché de son fils jouxte celui d'Émile Pollak, as du barreau de l'après-guerre. « Je viens parfois ici pour réfléchir, je m'y sens bien. »

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À 35 ans, Chirine Heydari-Malayeri n'a travaillé que pour Hervé Temime. La première affaire criminelle qu'il lui confie la conduit jusqu'aux assises. « C'était une jeune femme qui avait frappé un chauffeur de taxi avec ses talons aiguilles en sortant d'une boîte de nuit. Il avait des problèmes cardiaques et en est mort. » Heydari- Malayeri étudie le dossier des heures et des jours, plaide finalement en 2021, verdict : deux ans avec sursis. Une victoire à la Temime, éclatante. La jeune avocate est la plus récente associée du défunt mentor, la petite dernière de cette fratrie de huit, quatre hommes, quatre femmes, esprits brillants, jeunes et convoités, tous embauchés en quelques minutes par le génial et fulgurant patron. Ils restent aujourd'hui profondément meurtris, confrontés à une terrible question : sans lui, comment tenir ?

Un modèle, un passeur

« Vous allez penser que je suis zinzin, mais j'entends encore sa voix. » Corinne Dreyfus-Schmidt est l'aînée, l'élégante grande sœur, brushing impeccable et expérience incomparable de la défense pénale la plus noble, celle des plus démunis qui, à ses débuts, à la fin des années 1980, aux côtés d'un Temime tout aussi débutant, la conduit tous les jours aux parloirs des prisons. Elle se souvient d'une plaidoirie commune, pour un golden-boy accusé d'avoir assassiné sa maîtresse. « On a eu un acquittement magnifique, dans une ambiance électrique. Quand on était ensemble sur des dossiers, c'était tumultueux. » Ils finissent par ne partager qu'une solide amitié, bureaux mitoyens et cafés matinaux ritualisés. Parmi les clients récents de Dreyfus-Schmidt : l'agent de mannequins Jean-Luc Brunel et le présentateur Jean-Marc Morandini, l'homme politique sénégalais Karim Wade et l'ex-ministre gabonaise Pascaline Bongo, car elle est aussi spécialisée dans le pénal international, en Afrique particulièrement, et habilitée à plaider à la Cour pénale internationale. « Hervé sera toujours à mes côtés pendant les audiences », abonde Julia Minkowski, premier talent repéré par le grand maître.

En 2007, avec cette volonté constante de pousser ses apprentis à prendre la lumière, Temime l'embarque à Aix-en-Provence, pour un procès retentissant, celui d'un crime sans cadavre : l'affaire Agnès Le Roux, disparue en 1977, dont il défend la famille. « J'ai appris la rigueur, le travail acharné jusqu'à connaître par cœur la procédure, la passion du métier, la déontologie au-dessus de tout : c'était l'école Temime. » Elle se souvient des mots qu'il rugit quand éclate l'affaire Griveaux, du nom de son compagnon cible d'un scandale sexuel, et se rappelle avoir laissé échapper des larmes : « Ne leur faites pas ce plaisir! Tenez bon, on est là ! » Quand l'homme politique renonce à la mairie de Paris, Temime emmène le couple dîner chez Thiou, aux yeux du Tout-Paris. « La vie continue », martèle le protecteur. Minkowski bataille avec lui dans les affaires les plus médiatiques, Clearstream, Bygmalion, Executive Life et celle qui les marque sans doute le plus, opposant Bernard Tapie au Crédit lyonnais. « J'ai plein de souvenirs d'Hervé en réunion avec Tapie chez lui, rue des Saints-Pères. Ils étaient très différents mais se respectaient. Hervé a pleuré quand on a obtenu la relaxe. »

C'est une plaidoirie bien plus banale, en correctionnelle, qui séduit, il y a douze ans, l'avocate Olinka Malaterre. Elle qui se destinait au droit des affaires, collaboratrice du cabinet américain Weil Gotshal, se ravise : « Je rêvais désormais de travailler pour lui. » Dans un e-mail, elle lui écrit : « Ce sera vous ou personne. » Il répond en trois minutes. Quelques jours après, elle est engagée. Avant de partir diriger le bureau que Temime ouvre à Marseille, elle enchaîne les coups d'éclat : relaxe du marchand d'art Guy Wildenstein ou encore d'Alexis Kniazeff, dirigeant de la société Altran. « Ensemble, on n'a jamais perdu », lâche-t-elle dans un sourire. Pour son équipe, qu'il appelait sa « dream team », Hervé Temime était un guide, un modèle, un passeur. Héros de ce métier si romanesque, l'homme qui aimait tant gagner - et rire ! - s'est choisi des partenaires plus jeunes, et pourtant à sa hauteur, nouvelles pousses ambitieuses, orfèvres du droit, capables de parler fort dans un prétoire et de rassurer tout bas les clients. Il leur répète sans cesse : « Visez haut, visez le ciel, visez les étoiles. » Et se tracasse d'une seule chose : transmettre.

Martin Reynaud, 39 ans, rejoint la société en 2010, un an après que le monde a découvert le nom Temime accolé à celui de Polanski, le réalisateur alors arrêté en Suisse, et pile au moment où démarre l'affaire Bettencourt dans laquelle il défend François-Marie Banier. « C'était comme intégrer le Real Madrid », s'amuse ce brun sympathique. Mbappé du pénal, il se voit confier des clients capitaux, hommes richissimes qui risquent tout : le patron de Renault-Nissan Carlos Ghosn, l'homme d'affaires Dmitri Rybolovlev, les antiquaires de la galerie Kraemer, qu'il continue de défendre aujourd'hui. Ce qu'il retient de celui auquel il dit tout devoir ? « Le travail, le sens de l'audience, l'humour... et que pour défendre les gens il faut les aimer. »

Autre star du cabinet, Léon del Forno, lui aussi formé au droit des affaires américain, chez Skadden Arps, jusqu'à ce qu'il attrape « le virus du pénal » après avoir remporté le concours d'éloquence de la Conférence du stage. Un déjeuner au Meurice, cantine du flambeur Temime, le décide. « J'avais découvert en étant secrétaire de la Conférence ce que c'est de défendre quelqu'un qui compte vraiment sur vous. Continuer ma vie d'avocat d'affaires ou devenir pénaliste ? Dilemme cornélien. Hervé me proposait le meilleur des deux mondes et il cherchait des jeunes... » Son premier dossier est un contentieux commercial classique... pour un client des plus prestigieux, le couturier Hedi Slimane, partant avec fracas d'Yves Saint Laurent. « Enjeu médiatique et sommes faramineuses », résume del Forno qui, à 26 ans, se retrouve seul à l'audience face aux requins engagés par le groupe Kering, dont un professeur de droit réputé, quelque peu condescendant envers le néophyte. Temime est présent tout de même, et prend la parole, au dernier moment. Un grand souvenir : « Il a étrillé l'expert, lui reprochant son ton inadmissible, prenant à partie le juge, montrant les dents comme si on s'attaquait à l'un de ses petits. On a gagné ! »

Se battre pour sa mémoire

Parcours similaire, allure de dandy et vivacité d'esprit identique, Quentin de Margerie, 37 ans, est devenu associé récemment, comme Chirine Heydari-Malayeri, après sept ans de collaboration. À ses débuts, en 2016, il est subjugué par la confiance qu'accorde Temime à ses ouailles. « Ça faisait deux semaines que j'étais là quand il a dit à un client : "Mon collaborateur est bien meilleur que moi !" » Margerie développe le contentieux civil et commercial avec del Forno, activité lucrative dans laquelle Temime s'implique moins, leur laissant toute latitude. Harold Teboul a 25 ans quand, en sortant d'un avion, un 15 août, il reçoit un message de celui auquel il avait envoyé son CV quelques mois auparavant. « Il venait de recevoir le dossier Mediator et avait besoin de quelqu'un. Il m'a proposé un CDD de trois mois, j'ai commencé le lendemain. »

Douze ans après, Teboul, devenu associé et toujours chargé de la défense des laboratoires Servier, plusieurs victoires à son actif (abus de biens sociaux et escroqueries en tout genre), explique : « Nous sommes maintenant les capitaines du bateau, tous les huit à égalité et on est plus motivés que jamais. » Tous ont à cœur de faire vivre le « projet Temime », un nom, une marque - que le fils du disparu leur a permis de conserver -, qui représente « le meilleur cabinet de pénalistes de France », glisse Corinne Dreyfus-Schmidt. « Pour la mémoire d'Hervé, il faut que l'on se batte », ajoute celle qui, malgré sa place d'aînée, n'a pas voulu prendre le rôle de leader : « Mes jeunes associés voulaient une autre organisation, et moi aussi d'ailleurs. » Tous au même niveau, dans un fonctionnement horizontal, ils prennent ensemble les décisions en se réunissant autour de la grande table installée dans le bureau de l'absent, spectre tutélaire dont le portrait trône sur une commode Louis XV. Des désaccords surviennent, les discussions peuvent durer, sans que jamais l'un d'eux n'ait songé à quitter le navire. La vie sans le chef adoré n'a pas été aisée les premiers mois. Le choc de sa mort passé, il a fallu s'adapter et surtout rassurer les clients. Deux pertes notables les ont déstabilisés : un chef d'entreprise fortuné qui, pour un procès en appel, a préféré un avocat expérimenté d'une autre structure. Et puis l'homme qui avait choisi Hervé Temime en 2018, et dont le nom est partout depuis, Gérard Depardieu, accusé de viol. Leur chiffre d'affaires a baissé depuis le décès de celui qui apportait le plus de clients ; rien qui ne les mette en péril, assurent-ils. Les associés racontent à quel point Temime, qui a démarré sans rien, espérait qu'au moment de sa retraite - envisagée dans sa maison de Provence ou bien dans l'appartement marseillais qu'il projetait d'acheter - son entreprise continue de fonctionner. « Tout ce qu'il faisait depuis cinq ou six ans tendait vers le fait que le cabinet lui survive », précise Léon del Forno.

Tous retiennent la dernière plaidoirie du « pater familias », quelques jours avant son accident cardiaque, pour la défense de l'avocat Xavier Nogueras, accusé de complicité d'escroquerie au jugement. Il plaide seul, longuement, combattant une à une les jurisprudences visées par l'accusation. Dans la salle d'audience, de nombreux pénalistes sont venus soutenir leurs confrères poursuivis, ignorant qu'ils assistaient aux derniers feux du virtuose. Vient le 24 février, journée noire, celle des obsèques de Pierre Haïk, ténor lui-même et ami de toujours d'Hervé Temime. Ce dernier s'installe ce midi-là dans la cuisine du bureau, avec des collaborateurs. « Je me souviens d'Hervé entouré de la jeunesse du cabinet, il était très bien au milieu de nous », décrit Chirine Heydari-Malayeri. Derniers instants dans ce lieu qu'il chérit, avant de monter dans une voiture avec Corinne Dreyfus-Schmidt, en direction du cimetière. Triste trajet, moment suspendu. « Il m'a parlé de la mort, se remémore l'amie, troublée. Il m'a fait comme un bilan de sa vie. Il pensait à prendre de la distance. Mais c'est un métier dévorant, le plus beau du monde, disait-il. Aurait-il pu s'en détacher ? » Hervé Temime prononce l'oraison funèbre de son camarade.

Le soir, les plus proches de Pierre Haïk vont dîner au restaurant La Méditerranée. Rentré chez lui dans la nuit, Hervé Temime fait une crise cardiaque. Opéré en urgence, il reste six semaines dans le coma. Sa mort est prononcée le 10 avril. Sous les dorures du cabinet, la vie aussi s'est arrêtée. La peine a tout envahi. Les procès, eux, ne se sont pas interrompus. Après douze ans de parcours judiciaire, Harold Teboul plaide pour les laboratoires Servier en appel de l'affaire Mediator. « Hervé n'était plus là et il y avait encore trois mois de procès, j'ai dû rester concentré, les audiences étaient intenses », dit-il. À Marseille, dans un dossier de calanque polluée, Olinka Malaterre n'a qu'une obsession, l'emporter. « Hervé me disait toujours : "L'avocat, ce n'est pas un carnet d'adresses, c'est quelqu'un qui gagne ses procès." Ce fut le cas ce jour-là, heureu- sement. » Un empoisonneur de vieilles dames à Aix-en-Provence, Nicolas Bedos accusé d'attouchement sexuel, des rugbymen soupçonnés de viol à Bordeaux, la plainte de la députée Sandrine Josso, la succession Vasarely : ce sont les affaires à venir qui cimentent la fratrie Temime. L'envie de réussir ensemble, de suivre les principes de celui qui les avait choisis, honorer son exigence et même reprendre les rituels que ce superstitieux cultivait.

Ainsi, c'est à la table habituelle du maestro, au Café de Flore, que va s'asseoir Julia Minkowski pour lire la presse le matin ; quand Corinne Dreyfus-Schmidt n'utilise plus, comme lui, que des pochettes jaunes pour ranger ses dossiers. Les orphelins de la rue de Rivoli le savent, résister dans ce métier sans celui que tout le monde respectait serait un exploit. Les associés d'Olivier Metzner, mort en 2013, n'ont tenu que quelques semaines. Chez Temime, tous le savent, si l'aventure échoue, beaucoup de choses disparaîtront en même temps.

Pauline Delassus
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