"J'espère bien vous revoir ici l'année prochaine" a clamé le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. La présentation aux journalistes du projet de loi de finances 2022 (PLF 2022) avait un parfum de campagne électorale ce mercredi matin dans l'enceinte de Bercy. Bruno Le Maire, qui est l'un des rares ministres de l'Economie a avoir tenu tout un mandat sous la Vème République, prépare déjà le terrain pour la campagne présidentielle. A sept mois du scrutin pour l'Elysée, la pression sur les comptables de Bercy est forte pour mettre en oeuvre la politique économique de l'exécutif après deux années chamboulées par la pandémie.
Sans surprise, les ministres Bruno Le Maire et Olivier Dussopt ont particulièrement insisté sur les baisses d'impôt et les investissements à venir tout en faisant l'impasse sur les sommes engagées sur le futur plan d'investissement qui doit dessiner la France de 2030 et la garantie jeune. Ces impasses sur le coût de ce mesures critiquées par le Haut conseil des finances publiques (HCFP) pourraient venir alimenter les oppositions dans les prochains jours.
Cette période de transition, de la fin du "quoi qu'il en coûte" à la reprise, va être particulièrement cruciale pour l'exécutif sur le plan économique. En effet, même si la plupart des indicateurs macroéconomiques sont au vert, cette crise sanitaire pourrait encore réserver de mauvaises surprises comme elle le fait depuis 20 mois. Après avoir présenté ce budget en conseil des ministres, le texte sera discuté au Sénat et à l'Assemblée nationale avant la présentation du budget de la sécurité sociale (projet de loi de finances de la sécurité sociale/PLFSS 2022) prévue le 24 septembre prochain.
"2021 a été un PLF d'urgence. 2022 sera un PLF de relance et d'investissement" a lancé Bruno Le Maire devant les journalistes présents dans le centre de conférence Pierre Mendès-France. Au programme, Bercy a prévu un décaissement de l'ordre de 70 milliards d'euros du plan de relance en 2021 et 13 milliards d'euros de crédits d'engagement pour l'année prochaine.
"L'efficacité de la relance et la puissance de la reprise nous ont permis d'avoir un taux de chômage inférieur à la situation d'avant-crise, autour de 8%, un niveau d'investissement supérieur à celui d'avant-crise, une consommation qui redémarre fortement et qui est dynamique. Tout cela nous permet d'affirmer que nous retrouverons notre niveau d'activité d'avant-crise en décembre 2021" a indiqué le ministre de l'Economie.
Son entourage a tout de même concédé que "le déploiement du plan de relance a été entravé par la poursuite des mesures d'urgence en réponse à la crise sanitaire."
Concernant les 11 milliards d'euros de dépenses supplémentaires annoncées au mois de juillet, il n'y a pas vraiment de surprise. Elles doivent principalement concerner la Défense, l'Education nationale ou encore la Justice. Au sujet du financement de ces mesures ,"nous avions anticipé une durée de la crise sanitaire jusqu'à la fin de l'année 2021. Il y a une moindre consommation des mesures d'urgence d'environ 8 milliards d'euros. Une partie de ces sommes va servir à réduire le déficit public." Une autre partie doit servir à financer des mesures d'urgence comme le chèque énergie.
Baisse des impôts, 600 millions pour le chèque énergie
Le ministre de l'Economie a mis l'accent sur la poursuite de la baisse des impôts en 2022. Sur l'ensemble du quinquennat, cette baisse doit s'établir à 50 milliards d'euros selon Bercy. Il a promis la poursuite de la diminution de la taxe d'habitation pour les 20% des ménages encore concernés d'ici 2023, c'est à dire les 20% les plus aisés, et a rappelé la baisse de l'impôt sur le revenu entamée depuis 2017. Il faut dire que le thème brûlant du pouvoir d'achat est revenu sur le devant de la scène à la rentrée. La flambée des prix de l'énergie et les effets de la crise sanitaire sur le revenu des ménages modestes pourraient mettre le feu aux poudres dans le contexte de la bataille électorale. Le souvenir des Gilets jaunes est resté dans toutes les têtes au gouvernement.
Conscient de ce risque, le pouvoir exécutif a annoncé il y a quelques jours la mise en oeuvre du chèque énergie d'un montant de 100 euros. 600 millions d'euros ont été provisionnés pour financer ce coup de pouce. Pendant ce temps, les propositions des candidats à la présidentielle sur le pouvoir d'achat fleurissent de toutes parts. Au final, le taux de prélèvements obligatoires devrait baisser l'an prochain à 43,5% du produit intérieur brut (PIB), au plus bas depuis 2011, alors qu'il était de 45,1% en 2017.
Du côté des entreprises, le gouvernement poursuit sa politique de l'offre en baissant les impôts de production et le taux d'impôt sur les sociétés qui devrait s'établir à 25% d'ici la fin de l'année 2022. Concernant le manque à gagner des recettes issues des impôts de production pour les collectivités locales, Olivier Dussopt avait expliqué dans un entretien accordé à La Tribune au début du mois de juillet que les compensations "seraient intégrales et dynamiques". Sur la question de la baisse des dotations aux régions qui a provoqué l'ire de l'association Régions de France dans un communiqué, la cabinet de Bruno Le Maire a répondu que "les régions sont les collectivités qui ont les finances les plus solides. Elles bénéficient de ressources encore très dynamiques".
Priorité aux missions régaliennes
"La politique qui est au cœur de ce PLF, c'est celle du réarmement régalien" a annoncé Bruno Le Maire. Dans le contexte de la bataille électorale, Bercy a concédé des enveloppes supplémentaires sur les missions régaliennes de l'Etat. "Ce budget consacre des augmentations importantes des ministères régaliens comme le ministère de la Justice avec une hausse des crédits de 600 millions d'euros pour atteindre un budget total de 9 milliards d'euros. Pour l'intérieur c'est 1,5 milliard d'euros en plus. Enfin pour la défense, nous respectons la loi de programmation pluriannuelle avec 1,5 milliard d'euros" a expliqué le ministre en charge des Comptes publics Olivier Dussopt. Cette rallonge des crédits devrait permettre de s'aligner sur les différentes propositions de la droite sur le terrain de la sécurité. L'Education est également bien dotée (+1,7 milliard après +4,3 milliards en 2021), notamment pour financer les revalorisations des rémunérations des enseignants, tout comme la Recherche (+760 millions d'euros)
Un budget jugé "incomplet" pour le Haut conseil des finances publiques
Le Haut conseil des finances publiques rattaché à la Cour des comptes a jugé dans un avis dévoilé ce mercredi 22 septembre que le PLF 2022 était "incomplet". Les magistrats justifient un tel jugement par la non intégration de l'impact de certaines mesures sur les prévisions macroéconomiques. Ils évoquent notamment le fameux plan d'investissement de l'ordre de 30 milliards annoncé par le chef de l'Etat à la veille du 14 juillet et la garantie jeune toujours en discussion. "Le Haut Conseil regrette ces conditions de saisine qui ne lui permettent pas de rendre un avis pleinement éclairé sur les prévisions de finances publiques pour 2022 à l'intention du Parlement et des citoyens, en application de son mandat" a expliqué l'institution.
De son côté, Bruno Le Maire a expliqué que "ce PLF 2022 est sincère. Tout est sur la table. Le plan d'investissement a un calibrage complexe à faire sur 10 ans. Sur les jeunes, la situation a changé car les pénuries de main d'oeuvre sont partout [..] Des arbitrages seront présentés dans les jours à venir" a-t-il ajouté. En attendant, le brouillard est toujours aussi épais.
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Le budget 2022 en quelques chiffres clés
La croissance du produit intérieur brut (PIB) devrait s'établir à 4% en 2022, selon les prévisions du gouvernement contre 6% en 2020. Les dépenses de consommation des ménages devraient bondir de 7% l'année prochaine contre 4,1% en 2021. Bercy table sur une hausse du pouvoir d'achat de 1% en 2022 contre 2,2% cette année. Du côté des entreprises, les investissements devraient marquer le pas passant de 9,5% en 2021 à 6,5% en 2022. Sur le front du commerce extérieur, les économistes de Bercy tablent sur un déficit commercial de 95 milliards d'euros l'année prochaine contre 62 milliards d'euros cette année. "Sur le tourisme, la France avait une balance commerciale très positive mais les touristes en dehors de l'Union européenne ne sont pas revenus" explique l'entourage du ministre.
Sur les finances publiques, le déficit devrait beaucoup baisser passant de -8,4% du PIB à -4,8%. La dette devrait passer de 115,6% à 114% l'année prochaine. "Le besoin de financement de l'Etat devrait être en baisse en 2022 de 21 milliards d'euros. Il y a une baisse très significative du déficit en raison de la reprise" a indiqué le nouveau directeur de l'Agence france trésor (AFT) Cyril Rousseau lors d'un point presse. S'agissant du cantonnement de la dette Covid, les proches de Bruno Le Maire ont affirmé que "chaque année à partir de 2022, des sommes seront affectées au remboursement des 165 milliards de dette, c'est à dire le coût estimé de la crise sanitaire jusqu'en 2042".