Emploi des seniors : les négociations entre syndicats et patronat au point mort

Le patronat a envoyé un avant-projet d'accord sur l'emploi des seniors aux syndicats la veille des négociations importantes, sans mentionner le compte épargne-temps universel. Particulièrement remontés, les négociateurs des salariés ont jugé la méthode de négociation « archaïque ». La CFDT a évoqué des « passes d'armes » sur ce dossier crucial. À quelques semaines de la présentation d'un accord, patronat et syndicats apparaissent plus que jamais divisés sur ce dispositif défendu par Emmanuel Macron. Une situation qui pourrait in fine profiter au gouvernement.
Grégoire Normand
Le gouvernement souhaite augmenter le taux d'emploi des seniors en France.
Le gouvernement souhaite augmenter le taux d'emploi des seniors en France. (Crédits : Reuters)

« Glaciation », « passe d'armes », « pas d'avancées notables »À l'issue d'une longue matinée d'âpres discussions au siège du Medef, les représentants de la CFDT sont sortis particulièrement remontés. En cause, la méthode du patronat jugée « archaïque ». Exaspérés, les syndicats ont reçu l'avant-projet des organisations patronales la veille au soir, soit quelques heures avant le début des pourparlers programmés ce jeudi 7 mars. « Nous nous étions engagés à transmettre un texte d'accord général dans un délai assez court. On s'en est excusés. Chaque organisation syndicale avait peu de temps pour réagir », a d'ailleurs reconnu devant les journalistes, Hubert Mongeon, négociateur pour le Medef sur les dossiers sociaux. Le 26 mars prochain, les partenaires sociaux doivent accoucher d'un accord. Mais les deux dernières séances s'annoncent houleuses. « On peut douter de la sincérité du Medef de sa volonté d'aboutir à un accord. Les négociateurs ne se concentrent que sur leurs propositions. Elles sont très évasives », a réagi Eric Couportin, de la CFTC.

Le compte épargne-temps universel absent de l'avant-projet

Le compte épargne temps universel (CETU) est au centre de la discorde entre le patronat et les syndicats, en particulier la CFDT. Avant les échanges de ce jeudi 6 mars, la centrale de Belleville avait fait part de son attachement à ce dispositif. Ce compte, dont la paternité de l'idée est revendiquée par le syndicat de Marylise Léon, doit permettre aux salariés d'épargner des congés et de les transférer d'une entreprise à une autre.

Côté patronat, la CPME et le Medef se sont toujours montrés opposés à cette mesure. Dans l'avant-projet d'accord consulté par La Tribune et envoyé aux syndicats, le patronat ne fait à aucun moment mention du CETU. Pourtant cette mesure figurait dans la feuille de route du gouvernement envoyée aux partenaires sociaux en amont des négociations.

Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait promu le compte épargne temps universel dans son programme. « La première partie de la réunion s'est cristallisé sur la premier projet d'accord où le CETU ne figurait pas », a regretté Yvan Ricordeau de la CFDT.  « C'est la première fois que le patronat reformate le cadre en cours de route ».

De son côté, Force Ouvrière (FO) a également regretté l'absence du compte épargne temps dans la mouture présentée par le patronat. « Nous avons rappelé que le CETU était dans le document d'orientation du gouvernement. L'absence du CETU met en danger l'économie de l'accord », a déclaré Michel Beaugas (FO). S'agissant du patronat, la CPME et le Medef ont rappelé leur vive opposition à cet outil.  « Au terme de travaux techniques menés depuis la rentrée de septembre, nous étions arrivés à la conclusion que le CETU ne répondait pas aux attentes des entreprises et des salariés. Cela est lié à la complexité du dispositif et son universalité. Ce sont des obstacles insurmontables », a taclé Hubert Mongeon. Les syndicats ont fustigé unanimement l'absence de présentation de ces travaux.

Le patronat pousse pour le CDI senior, les syndicats vent debout

L'autre principale pomme de discorde concerne le CDI senior. Déjà débattu lors de la réforme des retraites, ce contrat est revenu sur le devant de la scène à l'occasion de ces négociations sur le travail des plus âgés. « On a proposé de créer un CDI senior pour les demandeurs d'emploi », pour permettre aux salariés âgés ayant perdu leur emploi de revenir plus facilement sur le marché du travail, a ainsi expliqué le négociateur du Medef Hubert Mongon. Ce « contrat incitatif à l'embauche »  qui s'ouvrirait « à partir de 60 ans » (plus tôt potentiellement en cas d'accord de branche), doit « permettre d'accompagner le salarié jusqu'à la retraite, éventuellement en cumulant ce CDI avec l'allocation chômage différentielle s'il est moins bien rémunéré par rapport à la précédente activité », a-t-il détaillé.

Il a mis en avant un avantage pour l'employeur d'avoir « une visibilité sur la date de départ, puisque la mise à la retraite serait possible dès l'obtention des conditions de retraite à taux plein et non à 70 ans comme c'est le cas légalement aujourd'hui ». Côté syndicats, cette proposition est vivement critiquée. « On a aujourd'hui trois propositions de CDI senior dans les organisations patronales. Pour la CFDT, ce n'est pas une ligne rouge mais il est difficile de se prononcer sur une proposition », a déclaré Olivier Guivarch pour le syndicat majoritaire. « Le patronat veut de la visibilité sur les départs à la retraite mais le CDI senior ne nous apparaît pas un bon vecteur », a abondé Jean-François Foucard, de la CFE-CGC.

Bruno Le Maire plaide pour une reprise en main « définitive » de l'assurance chômage

Le ministre de l'Economie a plaidé en milieu de semaine pour une reprise en main définitive de l'assurance chômage dans un entretien accordé au Monde. « Il est indispensable de poursuivre les réformes de structure. Une réforme de l'assurance chômage est nécessaire pour atteindre le plein-emploi, le premier ministre [Gabriel Attal] a raison de le rappeler », a déclaré le ministre de l'Economie. Sans surprise, cette volonté figurait déjà dans le programme économique d'Emmanuel Macron en 2017. Le gouvernement avait déjà supprimé la cotisation des salariés à l'assurance-chômage en la remplaçant par la CSG (contribution sociale générale).

Cette réforme pourrait constituer un virage brutal dans la gestion paritaire de l'Unedic, l'organisme en charge des comptes de l'assurance chômage. « Cela parachèverait (presque) le processus d'Etatisation des assurances sociales, après la Sécurité sociale (1996). Ne resterait que l'AGIRC ARRCO gérée par les partenaires sociaux, mais qui a déjà failli disparaitre en 2019 », a expliqué l'économiste Michaël Zemmour, spécialiste des politiques sociales. Cette réforme pourrait également modifier le rapport de force entre les syndicats et l'Etat. « Reprendre la gestion des assurances sociales aux syndicats diminue leur pouvoir, en ligne avec le programme de Macron 2017 qui voulait passer outre les corps intermédiaires », poursuit l'économiste.

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Déterminés à faire des économies, les ministres de Bercy ont décidé de cibler un certain nombre de dépenses sociales. Parmi les leviers évoqués, figure la durée d'indemnisation des demandeurs d'emploi. « Nous gardons une durée d'indemnisation la plus longue parmi les pays développés : dix-huit mois ». Une nouvelle baisse de la durée d'indemnisation permettrait de réduire encore les dépenses de l'Unedic et de faire des économies pour l'exécutif. Pour rappel, le déficit de l'assurance chômage est pris en compte dans les déficits publics présentés à la Commission européenne.

S'agissant du patronat, il plaide pour une révision des conditions d'indemnisation figurant dans le protocole d'accord relatif à l'assurance-chômage de novembre dernier. Les contrôles et l'accompagnement des seniors devraient également être revus aux yeux des dirigeants. Ces derniers souhaitent néanmoins garder la main sur ce sujet sensible. « C'est un peu lourd d'entendre le ministre de Bercy qui essaie de se réapproprier les outils (l'assurance chômage). Même si l'outil est de moins en moins paritaire, il y a des règles et il faut les respecter », a tapé du poing sur la table Eric Chevée (CPME). Le gouvernement est prévenu.

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Grégoire Normand
Commentaires 6
à écrit le 08/03/2024 à 9:52
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Les séniors qui partaient à la retraite à 60 ans non sans problèmes, vont devoir rester au boulot jusqu'à 64; dur dur !

le 08/03/2024 à 10:11
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Ben oui mais tout dépend dans quelles conditions le problème majeur est que nos dirigeants qui osnt nuls sont incapables de réduire le temps de travail au fur et à mesure de l'age ce qui permettrait de nous faire travailler dans des conditions valori...

le 08/03/2024 à 10:23
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A noter ,que l'âge de départ en retraite est passé à 62 ans en novembre 2010 (réforme Woerth) et pour percevoir une retraite complète c'était fixé à 65 ans.

le 09/03/2024 à 9:56
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rester au boulot, si 'on' veut les garder. Décaler l'âge, ça ne fait pas employer les gens plus longtemps, c'est administratif comme décision (avec espoir de ruissellement sur l'employabilité ?). Si avant, arriver à 55 ans c'était 'périmé' et affaibl...

à écrit le 08/03/2024 à 9:35
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Le patronat français étant un des plus rétrogrades d'Europe, c'est un dialogue de sourds... Quand on regarde sur la durée, on voit que les entreprises françaises ne sont viables qu'avec des connivences avec l'Etat, sinon, elles périclitent très rapid...

à écrit le 08/03/2024 à 9:26
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Avec des protagoniste aussi facilement manipulables... à vaincre sans péril on triomphe sans gloire.

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