Le chiffre a fait l'effet d'une bombe. 50 milliards d'euros. C'est la somme colossale que le gouvernement doit trouver, selon la Cour des comptes, s'il veut redresser les finances de la France, éviter un risque de crise et réduire le déficit public sous la barre de 3 % du PIB en 2027 - une promesse d'Emmanuel Macron. Pierre Moscovici, premier président de l'institution, a amplifié le tir, évoquant des efforts « considérables » à fournir et un budget 2025 qui serait « le plus brutal » depuis longtemps.
Lancés mardi dernier dans l'atmosphère, les 50 milliards provoquent une secousse dont l'exécutif se serait bien passé. Nul ne peut contester le sérieux du calcul et l'impasse devant laquelle il place Bercy : une telle cagnotte paraît introuvable à court terme. Sauf à réduire des services publics ou à augmenter les impôts. Un message qui tombe mal pour la majorité en plein démarrage de la campagne pour les élections européennes.
Au sixième étage de Bercy, celui du bureau du ministre, Bruno Le Maire, on prend ainsi ses distances. « On peut se faire plaisir avec des gros chiffres, ça marque les esprits de manière artificielle, mais nous n'allons pas baisser les salaires des fonctionnaires ni supprimer les prestations sociales, assure-t-on dans l'entourage du numéro deux du gouvernement. Le plus important est de revenir au niveau de dépenses qui précédait la crise du Covid et celle de l'énergie. » Cette tâche-là ne semble pas moins ambitieuse. Entre 2019 (avant la pandémie) et aujourd'hui, les dépenses de l'État, de la Sécurité sociale et des collectivités locales ont bondi de 120 milliards d'euros. Les crises passent mais les dépenses restent.
3088,2 milliards d'euros Le montant de la dette au troisième trimestre 2023. Soit une hausse de 129,6 milliards en un an
La conjoncture n'aide pas
Et la conjoncture n'aide pas. Depuis l'automne 2022, l'économie française est en panne (hormis l'embellie du printemps 2023). Comme l'a indiqué l'Insee cette semaine dans sa dernière publication, « la reprise se fait attendre ». La croissance économique assurée à la mi-année serait de 0,5 % seulement. La prévision officielle de 1 %, révisée il y a un mois, est déjà compromise.
Conséquence de cette atonie persistante, les recettes fiscales ont plongé à la fin de l'an dernier, compliquant davantage l'équation du gouvernement. Le chiffre officiel du déficit 2023 sera connu dans dix jours. Bruno Le Maire a prévenu : ce sera mauvais. Pour rectifier la trajectoire, le gouvernement a dû effacer en urgence du budget 10 milliards d'euros en février, évoquer une potentielle loi de finances rectificative à l'été et annoncer dans la foulée 20 milliards d'euros d'économies pour l'an prochain. Sans dire où ni comment il les réaliserait.
Sur cette base dégradée, le ministère des Finances prépare, pour le mois d'avril, une mise à jour de ses prévisions de moyen terme. L'objectif est inchangé, précise-t-on : ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2027 comme promis. Il en va du bilan d'Emmanuel Macron à l'issue de ses quinquennats - et peut-être de la capacité du pays à se financer auprès des créanciers. Le levier principal ? Tenir les dépenses d'une main ferme, « sans avoir besoin d'une cure d'austérité », assure-t-on.
Le MoDem demande une réunion d'urgence
En attendant de connaître clairement les intentions de l'exécutif, le débat est lancé au sein de la majorité. Les uns sont prêts à rompre avec la prohibition présidentielle de toute hausse d'impôt. Pour Jean-Paul Mattei, le patron des députés MoDem, une hausse ciblée sur les revenus du patrimoine est nécessaire, en relevant notamment la flat tax qui les ponctionne. « La France de 2024 n'est plus celle de 2017. Il faut prendre des mesures de justice sans briser la croissance. explique ce proche de François Bayrou. Je demande que les ministres de Bercy réunissent au plus vite les parlementaires pour trouver un consensus sur ce plan, en amont du projet de loi de finances 2025. » Il y a quinze jours, dans L'Obs, le libéral Alain Minc n'a-t-il pas soutenu une hausse de la TVA et de la fiscalité sur l'épargne ?
+0,5 % La hausse du PIB français estimée au minimum pour la mi-année, selon l'Insee
D'autres ne veulent pas en entendre parler. Mathieu Lefèvre, coordinateur de Renaissance à la commission des finances, concède qu'il n'est « pas serein, car nous sommes en situation de vulnérabilité financière ». Mais il a fait tourner ses tableurs : les 20 milliards d'euros d'économies pour 2025 sont atteignables sans impôt supplémentaire. Et de citer les pistes concernant le transport sanitaire, le temps de travail des fonctionnaires, les indemnités journalières en cas d'arrêt maladie, etc. Bercy a lancé des « revues de dépenses » dans de nombreux domaines, qui serviront à identifier les économies. Leurs conclusions doivent être remises aux ministres au printemps.
La méthode a crispé la plupart des parlementaires
Une chose est sûre, la méthode utilisée en février par Bruno Le Maire et son ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, consistant à supprimer 10 milliards d'euros par décret en touchant tous les ministères, a crispé la plupart des parlementaires. « Je ne crois pas à la méthode du rabot indifférencié. Il faut cibler les économies dans certains secteurs et préserver les investissements pour l'avenir (éducation et recherche, écologie, sécurité) », prévient le député David Amiel, ancien conseiller à l'Élysée.
Seule une hausse d'impôt bien précise semble faire l'unanimité au sein de la majorité : le projet de contribution européenne sur les très hauts revenus. « L'impôt minimum au niveau international pour les plus fortunés, qui échappent à l'impôt, j'y suis prêt », explique Bruno Le Maire à tous ses interlocuteurs depuis plusieurs semaines. L'idée est de créer une ressource fiscale spécifique à l'UE en taxant les contribuables qui parviennent à réduire l'addition en utilisant les dispositifs légaux. En octobre dernier, un rapport de l'économiste français Gabriel Zucman (Observatoire européen de la fiscalité) avait montré que « les milliardaires » s'acquittaient d'un prélèvement réel de 0 % à 0,5 % sur leur patrimoine. Un taux minimal de 2 % rapporterait 40 milliards d'euros à l'UE. Reste à savoir si cette proposition figurera dans le programme de la liste dirigée par Valérie Hayer (Renaissance). Ou pas.