Innovation : la « start-up de campagne » au service des agriculteurs de demain

Ces fils de paysans sont devenus entrepreneurs pour améliorer les revenus d’une profession dont ils mesurent les difficultés.
En Charente, Aymeric Molin innove à partir de produits naturels. Il emploie
40 personnes.
En Charente, Aymeric Molin innove à partir de produits naturels. Il emploie 40 personnes. (Crédits : © YOHAN BONNET POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Le hameau du Ribourgeon, dans la Vienne, n'est plus tout à fait le même. Les bâtiments de la ferme sont toujours là, bien sûr. Tout comme la maison des grands-parents et celle des parents. Mais les deux robots de désherbage de Cyclair, start-up cofondée par l'enfant du lieu-dit, Sébastien Gorry, détonnent. Entre les granges et les sillons boueux tracés par les passages répétés des prototypes, l'esprit start-up bat son plein. Même le chat est devenu flexible : en plus de courir après les souris, « il détend le personnel », nous explique Sébastien Gorry.

Mais à trois jours de l'ouverture du Salon de l'agriculture, l'entrepreneur est excédé. Ce fils de céréaliers se dit solidaire de la colère générale. « Il y a de l'incohérence chez les consommateurs, accuse-t-il. Personne n'est prêt à adopter un comportement en phase avec ses idées. » Une amertume vive pour ce trentenaire qui a grandi dans une ferme pionnière en matière d'innovation mais « sans marge de manœuvre » et en proie aux difficultés économiques dans son histoire récente. Avec un peu de culpabilité, le natif de la Vienne n'a pas repris l'exploitation.

Lire aussiBaromètre social : le salaire, première préoccupation des Français

« D'un côté, il y a toutes les réglementations et les doléances de la société. De l'autre, il n'y a pas d'alternative agronomiquement fiable et économiquement sérieuse. » C'est justement pour en développer une qu'il s'est lancé dans une aventure de pointe : concevoir des robots capables d'éliminer les parasites à la place des herbicides dans les cultures céréalières. En décembre 2019, Sébastien Gorry lance Cyclair avec deux associés. Quatre ans plus tard, la jeune pousse de 32 salariés (dont 10 sur la ferme familiale) a levé 2,1 millions d'euros et va livrer ses premiers robots. Et cela depuis les terres fertiles et paisibles de Pressac, commune de 550 habitants.

Dès les débuts, une première grange a été reconvertie en atelier de prototypage. « C'est là qu'on a sorti nos premières caisses à savon », présente-t-il, jovial. Une deuxième accueille depuis peu sept postes informatiques. Une troisième va bientôt être rénovée, car le nombre d'ingénieurs en IA, docteurs en robotique, agronomes et développeurs Web ne cesse d'augmenter. Tout ça à 50 mètres des champs : « Hop, on fait une modification sur le châssis du robot, et on peut voir directement les conséquences. »

Quand j'étais petit, je voulais trouver des solutions pour l'agriculture : je trouvais que ce métier avait plein de problèmes

Cette année, huit sous-parcelles de tournesol, de maïs, de colza et de betterave vont être plantées juste derrière les granges. Là où Jean-Michel Gorry, le père, passait une partie de ses journées il y a quelques années. Mais le jeune retraité n'est jamais loin. De retour des courses, accompagné de ses deux petites-filles, il ne tarit pas d'éloges sur l'implantation rurale du projet : « Les ressources de développement de nos villages, ce sont nos enfants. Ils connaissent les gens, les manières de faire ici. »

Une proximité qui permet à l'entreprise de garder le sens des réalités face à l'appât du gain. La tempête agricole gronde alors que les solutions marchandes se sont multipliées autour du désherbage durable, de l'accès au foncier ou de l'irrigation. Les cultivateurs, pour beaucoup déjà pris à la gorge, peinent à trouver le bon sillon. « Mon but n'est pas de faire de l'argent..., jure le dirigeant. J'avais un poste super bien payé chez Air Liquide. Je fais Cyclair par challenge entrepreneurial et pour apporter des solutions environnementales, économiques et familiales aux exploitants. Avec nos robots, on rend possible une partie des choses voulues par la société. »

C'est exactement le même discours qui résonne à 60 kilomètres plus au sud, en Charente, sur les terres de la start-up de campagne Elicit Plant. Dans le hameau qui l'a vu grandir, à Moulins-sur-Tardoire, Aymeric Molin a installé une équipe de 40 personnes dans les bâtisses en pierre du corps de ferme familial. « Quand j'étais petit, se rappelle-t-il, je voulais absolument trouver des solutions pour l'agriculture car je trouvais que ce métier avait plein de problèmes. »

Lire aussiAu POwR Earth Summit, un concours récompense les meilleures start-ups des énergies renouvelables

Son innovation, un produit naturel à base de phytostérols capable de réduire les besoins en eau du maïs, du soja et du tournesol. « La mission, c'est de générer du revenu pour l'agriculteur en augmentant le taux de succès du produit. Une situation où il n'obtient pas de retour sur investissement, c'est vraiment la pire chose que je puisse vivre. » On peut le croire. Ou pas. Mais les mots de cet agriculteur acharné de 47 ans résonnent avec son histoire personnelle.

Dans les années 1970, son père s'installe sur ces terres calcaires et « assé-chantes » dont personne ne veut. Contraint d'innover avec peu de moyens, il dompte un terroir inhospitalier. À cette époque, « on labourait la terre assez profondément », raconte le fils : « Or il a considéré que la matière organique était une richesse absolue. Au lieu de la labourer, il a augmenté la fertilité des sols en la maintenant dans l'horizon superficiel de la terre. » Des expérimentations perpétuelles, des investissements très prudents. Une culture de la résilience à rebours des modèles productivistes et d'endettement qui étouffent l'agriculture depuis une soixantaine d'années.

Histoire de garder les pieds sur et dans la terre

« Il y a de la souffrance, les agriculteurs sentent que le défi de la transition est trop grand pour eux, observe Aymeric Molin. Pour changer, il faut être riche, il faut avoir le droit à l'erreur. Or ils n'ont pas ce droit. » Le Charentais mène de front sa vie d'entrepreneur et de cultivateur céréalier. Histoire de garder les pieds sur et dans la terre. Après avoir levé 16 millions d'euros en 2022, la start-up bouillonne : de jeunes agronomes testent les protocoles de chimistes de pointe, sous l'œil des parents du fondateur. L'innovation en héritage.

Dans la tempête actuelle, les entrepreneurs restent convaincus de l'intérêt de leurs solutions. Les robots de Cyclair seront commercialisés par le biais des coopératives et distributeurs de matériel, sous forme de prestations de désherbage facturées à l'hectare. Et ce, pour ne pas contraindre les exploitations à acheter encore de nouvelles machines. Avec son biostimulant, Elicit Plant promet quant à elle d'améliorer d'au moins 20 % les rendements à l'hectare. Mais la profession en a marre des promesses. « Je reconnais que c'est compliqué d'y voir clair, l'offre d'innovations est énorme, admet Aymeric Molin. Séparer le bon grain de l'ivraie, c'est difficile. » Mais indispensable pour l'avenir.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 25/02/2024 à 14:23
Signaler
"Il.y a des incohérences chez les consommateurs". Il y a surtout un manque de pouvoir d'achat et accessoirement un manque de volonté de consommer autrement.

le 25/02/2024 à 18:05
Signaler
avec plus de revenus, les gens privilégieraient peut-être d'autres choses. :-) Il faut consommer moins mais mieux. Si on est au taquet, moins c'est comment ? Mieux, c'est relatif. Il faut avoir du temps pour cuisiner, voire être bien organisé (prépa...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.