« Il faut envisager la ville comme une entité vivante » (Clémence Béchu)

Arrière-petite-fille du fondateur de l’agence portant le nom de ses ancêtres, Clémence Béchu imagine l’habitat de demain à travers une approche pluridisciplinaire. Ou comment mêler avec intelligence science, écologie et architecture… (Cet article est issu de T La Revue n°11 - « Habitat : Sommes-nous prêts à (dé)construire ? », actuellement en kiosque).
(Crédits : DR)

Au seizième étage d'une tour des années 1970, il existe un royaume. Celui de la famille Béchu. Une vue sur Paris à 360 degrés, des bureaux baignés de lumière, découpés en des espaces plus ou moins grands pour une cinquantaine de personnes concentrées derrière leurs écrans. Dans cette ruche, il y a surtout des plans, des dessins de bâtiments à rénover ou à inventer, des zones d'habitation à imaginer dans une ville du Sud ou en plein désert marocain. Clémence Béchu et un de ses associés, Luca Bertacchi, s'attardent à expliquer avec enthousiasme la démarche architecturale de chaque projet.

Construire, créer, innover... autant de verbes constitutifs de l'ADN de la famille Béchu, et ce depuis plus d'un siècle. Au fil des ans, les aïeux, tailleurs de pierre de métier, sont devenus ingénieurs et architectes. C'était le cas de l'arrière-grand-père de Clémence, de son grand-père et de son père. Elle est la quatrième génération du clan, sans diplôme d'architecture, mais avec sur son CV, entre autres, deux MSG (maîtrise de sciences de gestion), une en comptabilité et finance et l'autre en management de projets internationaux obtenus à l'ESCP Business School.

L'histoire familiale s'inscrit inexorablement dans la terre. Notamment sur cette terre du 15e arrondissement de Paris où se situe l'agence. Les tours composant l'ensemble urbain imaginé par Anthony Béchu, le père de Clémence, s'élèvent ainsi en lieu et place d'un espace longtemps occupé par une seule maison. Celle où sont nées les deux générations précédentes. Dans ce récit courant sur un siècle, tout semble cohérent, presque évident.

Une seule étape ne fut pas aussi simple : l'arrivée de Clémence en 2014 au sein de l'agence en tant que directrice du développement. Elle a longtemps hésité avant de rejoindre le clan, et travailler aux côtés notamment de son père toujours à la tête de l'agence, et sa sœur en charge de la partie architecture intérieur et design. Désormais, la quadra s'attelle à assurer « la transition générationnelle et la transition écologique » comme elle le répète.

« Mon profil scientifique, mon rôle de maman et ma sensibilité à la cause écologique m'animent au quotidien. Avec un objectif fort : dépasser les discours pour être dans l'action. » De l'action qui se concrétise dans des projets architecturaux destinés à dessiner la ville de demain. « Notre ambition est d'améliorer l'adaptabilité des villes, responsables et victimes du changement climatique, à notre environnement. Le biomimétisme, par exemple, est un moyen d'y parvenir. » Quand la nature - la faune et la flore - inspire l'habitat de demain...

LE DÉCLIC

Le parcours de Clémence Béchu est une longue suite de déclics, de moments clés qui forgent une ambition et une conviction. De son enfance, elle a gardé le souvenir des visites de chantiers avec son père, son frère et sa sœur : « On est nés avec un casque sur la tête » dit-elle en souriant. Mais l'architecture, ce n'est pas pour elle.

Elle se rêve plutôt chirurgienne orthopédique, réussit une première année de médecine avant de se lever un matin et d'annoncer à ses parents : « J'arrête. Je pense qu'il y a d'autres moyens de s'occuper des autres. » Premier déclic, premier virage et départ pour l'université. Son père lui répète alors qu'il faut qu'elle se trouve un « métier-passion ». Nous sommes en 2002, Anthony Béchu développe un projet à Shanghai : la construction du CELAP, l'institut des hautes études en administration des affaires de la nation. Un bâtiment que l'agence matérialise en une immense table peinture laquée rouge. Une phrase du patriarche a suffi : « Va apprendre le chinois ! » Clémence Béchu s'expatrie durant deux ans et demi, enchaîne les stages, voit Pékin se transformer, les quartiers se rénover. Elle comprend surtout à quel point la ville s'inscrit dans une histoire et un environnement.

À son retour en France, la jeune femme passe de EURO RSCG à Cap Gemini comme consultante. Elle a 28 ans, vient de rencontrer son mari Jean-Philippe. Nouveau déclic : à la faveur d'une remarque de ce dernier - « Tous les copains se servent de notre cave pour stocker leur vin mais je n'ai plus de place » - ils décident de quitter leur job et de monter leur société Winesitting. « J'ai toujours eu envie d'entreprendre. Ce fut ma première grande expérience. » L'entreprise devient la première place de marché pour professionnels, pendant que Clémence Béchu cogite toujours à son avenir. Deuxième sentence de son époux : « Tu ne crois pas que le temps est venu de rejoindre ton père à l'agence ? » Des mots prononcés quelques jours après la même interrogation de la part de sa sœur. En 2014, Clémence Béchu accepte de travailler en famille après une dernière remarque - ultime déclic - de son père : « Comment tu vois l'agence dans 10 ans ? »

L'ENGAGEMENT

Se projeter, c'est son quotidien : « Les architectes pensent à 20 ans » répète-t-elle. Et son intérêt pour les questions environnementales demeure sa boussole. Il faut envisager la ville comme un écosystème, « une entité vivante ».

Un des moyens pour mettre en place cette ambition est le biomimétisme : s'inspirer des alvéoles d'un cactus pour penser les façades d'un immeuble et maîtriser ainsi naturellement l'énergie solaire. Construire un campus dans le désert marocain avec notamment une canopée en câbles d'acier et toile pare-soleil en teinte sahraoui pour un contrôle solaire de l'espace de vie à l'extérieur des bâtiments. Ou encore bâtir un quartier circulaire dans le froid moscovite sur le modèle de vie des manchots et gagner ainsi quelques précieux degrés. Chaque explication est limpide. Du « bon sens » comme l'entendaient nos anciens.

Clémence Béchu qui se dit « entrepreneuse engagée » a décidé d'aller plus loin après une double rencontre dans les coulisses de la COP 21. Avec le scientifique Laurent Husson et le chercheur Yves M. Tourre, elle lance la start-up Climate Company. Ensemble, ils pensent UCIX, un indice de sensibilité climatique à micro-échelle. Des millions de données issues de l'observation satellitaire sont combinées à des statistiques profondes. Et produisent une évaluation des risques climatiques sur plus d'une vingtaine d'années pour des zones très précises (quelques centaines de mètres). Une nouvelle génération de cartographie qui a convaincu déjà des acteurs du privé (banques, assurances), en attendant les collectivités publiques...

EN 2050

Pour Clémence Béchu, le mot d'ordre est toujours le même : adaptabilité. Prendre en considération l'environnement plutôt que de le contraindre à nos désirs d'urbanité. Climate Company - récemment récompensée par la Fondation Pierre Cardin comme initiative emblématique pour l'écologie - est « un projet pour nos enfants » souligne Clémence Béchu.

S'il lui est difficile de se projeter en 2050, elle a en ligne de mire 2030. « 70 % de la population mondiale vivra alors en ville. Les défis environnementaux sont colossaux. Mais je reste persuadée qu'il faut imaginer la transition écologique comme une transformation offrant des opportunités incroyables. Et non pas comme une somme de contraintes. »

Il n'y a pas de discours d'éco-anxiété chez elle, mais plutôt l'envie permanente de trouver des solutions concrètes à chaque projet qu'elle envisage comme une entreprise différente, « une aventure qui nécessite de réinventer une histoire ». Elle loue la pluridisciplinarité, le travail d'équipe et répète que l'avenir professionnel du métier d'architecte passe par la prise en compte de ces défis environnementaux. « Il faut donner du sens à nos métiers » répète Clémence Béchu. Et poursuivre la « transformation », celle de l'agence, celle de la ville, et celle de la société.

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T La Revue n°11

Commentaire 1
à écrit le 08/10/2022 à 9:08
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On a tendance à penser "la ville" comme un dogme qui a besoin de quelques réformes, alors que le besoin de s'agglutiner n'est plus mise : la classe ouvrière autour des usines et la classe bourgeoise autour de ses lieux de loisir !

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