L’homme des affaires, Bernard Tapie, perd son dernier combat

Bernard Tapie est mort ce matin des suites d’un cancer. L’homme, aux mille vies, aura traversé et marqué le monde des affaires, du sport et de la politique, pendant plus quarante ans. Son nom restera attaché aux années 80 et 90, comme un symbole aujourd’hui disparu des années fric et mais aussi du combat contre la montée de l’extrême droite. Il aura également vécu près de trente ans de combats judiciaires qui ont défrayé la chronique de la vie des affaires.
Bernard Tapie aura marqué la vie des affaires, de la politique et du sport pendant trente ans.
Bernard Tapie aura marqué la vie des affaires, de la politique et du sport pendant trente ans. (Crédits : Reuters)

Bernard Tapie est mort ce matin à l'âge de 78 ans. « Dominique Tapie et ses enfants ont l'infinie douleur de faire part du décès de son mari et de leur père, Bernard Tapie, ce dimanche 3 octobre à 8 h 40, des suites d'un cancer », indique un communiqué publié dans la Provence, le journal de cœur de Bernard Tapie. Le Premier ministre, Jean Castex, a aussitôt réagi sur le plateau de BFM TV en s'inclinant « devant la mémoire » d'un homme qui se battait depuis plusieurs années contre le cancer.

Le combat a été le moteur de toute sa vie, ou plutôt de ses mille vies. Ce qui a fait la force de cet homme, c'est bien sa capacité de résilience à toutes les épreuves, sa capacité hors normes à rebondir à chaque fois. Sa vie a été en effet ponctuée de coups d'éclats et d'échecs aussi retentissants.

Enfant de la balle, Bernard Tapie a été successivement chanteur, vendeur de téléviseurs, redresseur d'entreprises, ministre, animateur de TV, dirigeant de club de foot, comédien, taulard, et, jusqu' à ces derniers jours, patron de presse. Sa vie a été décortiquée, suivie, commentée, par des milliers d'articles de presse et des dizaines de livres ou de reportages. Un personnage qui a accompagné les Français pendant plus quarante ans.

Difficile donc de retracer un parcours aussi complexe, dont le seul trait commun pourrait être celui d'une véritable rage de vivre.

Le roi du business des faillites

Bernard Tapie a véritablement commencé sa carrière comme un professionnel du redressement des entreprises en faillite, à l'image d'autres personnalités qui ont bâti leur fortune à la faveur de la crise et de la stagflation des années 70, comme Vincent Bolloré, Bernard Arnault ou bien François Pinault. Ce sont les pionniers en France de l'effet de levier et de l'arbitrage d'actifs (vente des unités déficitaires et relance des actifs les plus rentables), qui donna naissance à l'industrie florissante du capital investissement.

Ainsi, Bernard Tapie achète en 1980 Manufrance, un peu au bluff, avec sa force de conviction qui va devenir légendaire auprès des milieux économiques, mais surtout politiques. Les syndicats font en revanche grise mine : Bernard Tapie licencie, cède des actifs et redresse la boîte avant de la mettre en liquidation judiciaire en 1986. Ce n'est pas son premier échec. Ce ne sera pas le dernier.

La crise des années 80 lui offre de nombreuses opportunités et, en une décennie, rachète, le plus souvent pour « le franc symbolique », une quarantaine d'enseignes, dont certaines prestigieuses, comme La Vie Claire, les fixations Look, les piles Wonder, ou le spécialiste des instruments de pesée Terraillon. Avec parfois un grand succès, comme pour Terraillon qui fait son entrée en Bourse avant d'être cédée avec une belle plus-value. C'est dans cette activité de « sauveur des entreprises » que Bernard Tapie commencera à se faire un carnet d'adresses dans les milieux d'affaires et politiques.

L'apogée des années 80-90

Bernard Tapie est surtout une icone des années 80, comme un chanteur qu'il n'a jamais pu être. Son bagou, la notoriété de ses marques reprises, un air du temps favorable lui ouvrent rapidement les portes des médias, et surtout de TF1 où il était considéré comme intouchable. Le public est fasciné par la réussite de l'homme, en oubliant bien vite les milliers de licenciements générés par ses plans de reprise.

Les années 80 sont donc les années Tapie. Il court les plateaux de TV, est nommé en 1984 « l'homme des médias » et comprend très vite l'intérêt du sport pour accroître son influence. C'est d'abord le cyclisme et surtout le football avec la reprise de l'Olympique de Marseille, un club qui végétait et qui a gagné quatre titres de Champion de France entre 1989 et 1992.

Enfin, c'est la consécration, dans les années 90, avec le lancement de sa carrière politique, encouragé par François Mitterrand qui a perçu son potentiel pour faire comprendre à l'opinion publique le changement de sa politique économique, sa stratégie d'ouverture et sa volonté de combattre la montée de l'extrême droite. Elu député en 1989, il sera même nommé ministre de la Ville en 1992. Une décision lourde de conséquences pour Bernard Tapie.

L'affaire de sa vie

Entre temps, Bernard Tapie réussi à s'emparer, en 1990, du groupe Adidas pour quelque 2,3 milliards de francs. C'est, selon ses propres termes ; « l'affaire de sa vie ». Il ne croit pas si bien dire. Mais pas pour les mêmes raisons. Car cette acquisition, il la doit surtout à « Crazy Lyonnais », cette banque publique qui s'est lancée dans les années 80 dans une succession d'opérations financières hors de toute contrôle, et qui aboutira à sa quasi-faillite et son sauvetage par l'Etat en 1994 (130 milliards de francs de pertes au total).

¨Pour autant, Bernard Tapie ne s'est jamais vraiment impliqué dans la gestion d'Adidas, son esprit étant déjà ailleurs, dans le sport, les médias et... la politique. Il veut revendre. Il demande logiquement à « sa » banque de lui trouver un acquéreur. Vite. Car il n'a pas vraiment les moyens de financer le développement d'Adidas, il est même au bord de la faillite, et sa future carrière de ministre passe avant tout. Sous pression, la direction du Crédit Lyonnais lui propose un montage financier complexe, un genre de montage sur la ligne rouge, qui ne passerait pas aujourd'hui les règles de la conformité.

Le Crédit Lyonnais rachète Adidas pour le revendre aussitôt, avec une confortable plus-value de 2,6 milliards de francs, à un pool d'investisseurs mené par Robert-Louis Dreyfus. L'homme d'affaires s'estime floué et attaque en justice la banque pour récupérer les 400 millions d'euros qu'il estime comme son dû. C'est le début d'un très long combat judiciaire qui ne s'est jamais véritablement éteint.

Une vie de procès

La vie de Bernard Tapie est également celle d'un long parcours dans les prétoires. Dès 1978, il a des démêlés avec la justice dans une obscure affaire de vente de contrats d'assistance. En 1980, il tente sans succès de reprendre les biens immobiliers de l'ancien dictateur déchu Jean-Bedel Bokassa. Il perd en justice.

Son nom est également cité dans « l'affaire Toshiba ». Mais Bernard Tapie trébuche, là où personne ne l'attend : le football. La justice l'accuse d'avoir truqué un match (OM-Valenciennes) et l'expédie en prison. Tout le monde le lâche, c'est la curée. D'autant que l'administration fiscale lui réclame 2 milliards de francs. C'est le début des saisies, dont son fameux trois mâts, le Phocéa (rachetée par Ivana Trump).

Mais Bernard Tapie tient le coup, ne lâche rien, même du fond de sa cellule. Il obtient en 2008, une décision favorable d'un Tribunal arbitral dans le litige qui l'oppose au CDR, la structure en charge des créances douteuses de l'ex-Crédit Lyonnais (devenu LCL, filiale de Crédit agricole). Il touche ainsi un chèque de 405 millions d'euros en sa faveur.

Une décision qui n'est pas comprise par l'opinion publique, moins allante sur le charisme de Bernard Tapie. Nous ne sommes plus dans les années 80. On crie même à la fraude, l'affaire éclabousse les plus hautes sphères de l'Etat, dont la ministre de l'économie, Christine Lagarde. Même le président Nicolas Sarkozy est atteint.

L'ultime combat

En 2015, l'homme d'affaires est condamné par la Cour de Cassation à rembourser les 405 millions d'euros de la décision arbitrale. « Je suis ruiné de chez ruiné », se plaint Bernard Tapie Une grande partie de la somme (245 millions d'euros) a servi à payer des dettes et impôts dus par la société Groupe Bernard Tapie (GBT).

La famille Tapie a réussi à sanctuariser une somme de 45 millions, perçue au titre du préjudice moral, dont la moitié a été donnée à sa femme (contrat d'assurance) et l'autre moitié a servi à financer le rachat du quotidien La Provence. Ultime pied de nez à la justice : Bernard Tapie avait récemment vendu son magnifique hôtel particulier de la rue des Saints-Pères, sous saisie, à François Pinault, gageant que le milliardaire n'aurait pas le cœur à l'expulser, lui ou sa famille.

La maladie aura été le dernier combat de Bernard Tapie. Une maladie qu'il a affrontée avec un tel courage que même ses pires ennemis ne pouvaient que lui rendre hommage. C'est malade qu'il a également joué ses dernières joutes dans les prétoires. Avec même une victoire en 2019, lorsque le tribunal correctionnel a relaxé Bernard Tapie de l'accusation d'escroquerie liée à l'affaire du Tribunal arbitral. La Cour d'appel doit d'ailleurs se prononcer sur ce jugement dans les prochains jours.

L'homme ne regrette rien, reconnaît sa chance d'avoir vécu toutes ces vies et finalement a repris sa place dans le cœur de l'opinion. Comme dans les années 80.

Commentaires 16
à écrit le 05/10/2021 à 9:22
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Il a gagné celui de la justice, il a fait combien de jours en prison malgré toutes ces magouilles?

à écrit le 04/10/2021 à 14:10
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Jusqu'ici tous les hommes ont perdu leur dernier combat. Merci à la Tribune d'avoir confirmé cette évidence

à écrit le 04/10/2021 à 13:00
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Quand on nait dans un contexte aussi pauvre des années 40 et que l'on dispose de quelques atouts naturels indiscutables, sa trajectoire reste tout à fait compréhensible.

à écrit le 04/10/2021 à 10:34
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Il faut lui donner le nom du stade vélodrome, s’y débarrasser d’Orange dont le pdg Richard est le principal coupable de l’arbitrage qui a tant gâché la vie de Monsieur Tapie, et le rebaptiser « stade vélodrome Bernard Tapie ».

à écrit le 03/10/2021 à 17:50
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Un de nos rares pauvres à avoir goûté la richesse ?....

à écrit le 03/10/2021 à 17:08
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Bernard TAPIE a eu la lucidité et l'honnêteté morale de dire qu'il a fait comme chacun de nous des erreurs ... PAIX à son Âme, il nous laisse un souvenir positif de son utilité pour l'humanité. CELA DIT, ils sont très majoritaire les politocards qui...

le 03/10/2021 à 18:01
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Il nous laisse le souvenir d'un vol de 400.000.000,00 euro, accredite par le gouvernement donc mme Lagarde.

à écrit le 03/10/2021 à 17:02
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Comme pour NS la morale a peu de place en politique. Malgré cela paix a son âme.

à écrit le 03/10/2021 à 15:57
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Toute la gauche oseillophile est en émoi. Avec Tapie a commencé la décrépitude morale de notre société et la financiarisation qui l'accompagne.

le 03/10/2021 à 16:29
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Oui voilà si le monde va mal c'est à cause de Tapie ! Vous avez vraiment peur de rien les gars hein ! ^^

à écrit le 03/10/2021 à 15:23
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Heureusement qu'il y a des gens qui mettent leur volonté et leur énergie à des causes autres que celle de faire fortune.

à écrit le 03/10/2021 à 14:09
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Les anciens de Terraillon, Wonder et tant d'autres entreprises vendues a l'encan par ce triste sire, apprecieront l'hommage national. Quand on voit l'etat du pays par la faute de ce genre d'individu, s'etonner est un paradoxe.

le 03/10/2021 à 19:23
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@matins calmes Tout à fait, sans oublier son compère Borloo.

le 04/10/2021 à 7:01
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Bonjour les looosers ! Et à par commentateurs du café du commerce c'est quoi votre vie ?

à écrit le 03/10/2021 à 13:25
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Un francais avec un reputation tres discutable, protege par les elus, est mort, et regarde, tous les francais lui rends hommage. Pays sans niveau ni de classe.

le 04/10/2021 à 9:20
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Le peuple de France n'a plus depuis de Gaulle de colonne vertebrale. Ne pas etre surpris de voir tous les mauvais instincts surgire. Aucune volonte, veule, raciste, jaloux, quelques traits de cette horde qui accepte le pass sanitaire sans broncher. L...

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