Une semaine après France Stratégie, le Mouvement des entreprises de France (Medef), le principal mouvement patronal, vient de présenter, avec le Centre de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (Rexecode), une étude baptisée "Décarboner l'économie, combien ça coûte ?".
Lors de la campagne de l'entre-deux-tours, en meeting à Marseille, le président Macron avait en effet annoncé, reprenant à son compte une idée de... Jean-Luc Mélenchon, que le ou la Premier(e) ministre serait chargé de la "planification écologique". "Cela concerne tous les domaines, tous les secteurs, toutes les dépenses, tous les équipements, tous les investissements; bref toutes les politiques", avait ajouté le candidat à sa réélection.
"On parle beaucoup de sujets majeurs, mais on parle mal et peu de transition et on évite le sujet qui fâche: les investissements", a justifié ce lundi le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux. "La transformation écologique est un sujet trop sérieux pour le laisser aux seuls écologistes", a-t-il ajouté, paraphrasant Clemenceau. "Le coût de l'inaction climatique se situe en centaines de milliards d'euros", a-t-il encore asséné.
Hausse des investissements de 10% pour les entreprises, de 20% pour les ménages
Partant du principe que l'investissement total annuel en France est d'environ 600 milliards d'euros - 350 pour les entreprises, 150 pour les ménages et 100 pour le secteur public -, le mouvement patronal et Rexecode estiment que les investissements supplémentaires nécessaires seront de 10% pour les entreprises et de 20% pour les ménages Soit au total 58 à 80 milliards d'euros de plus par an pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
D'un côté, les entreprises sont invitées à faire entre 10% et +13% d'investissements en plus chaque année, soit entre 31 et 43 milliards d'euros, notamment sur les véhicules utilitaires, le transport routier de marchandises, les bâtiments tertiaires, la production d'électricité et l'industrie.
De l'autre, l'effort d'investissement est plus important pour les ménages. Ces derniers sont enjoints à faire entre + 17% et + 24% d'investissements supplémentaires, et entre 1,6% et de 2,2% de leur revenu disponible brut. Comment ? En isolant mieux leur logement, en changeant leur chaudière ou en passant à des véhicules hybrides voire électriques - cette dernière condition supposant un meilleur maillage des bornes.
Une équation à deux inconnues
En réalité, l'équation budgétaire tient de l'équation à deux inconnues. La première inconnue est la réponse que pourra apporter le pouvoir politique à une telle étude. Par exemple, le mouvement patronal demande ainsi d'accroître les rénovations face à la dégradation du parc existant en pérennisant le budget annuel de 2 milliards d'euros de MaPrimeRénov et en doublant les enveloppes dédiées au financement des rénovations globales, notamment dans les zones tendues, c'est-à-dire où l'offre de logements est inférieure à la demande.
Dans ce domaine, le président-candidat Macron s'est engagé sur un objectif chiffré annuel : 700.000 logements rénovés, de préférence de manière globale, contre 660.000 en 2021. D'autant que le temps presse : aux horizons 2025, 2028 et 2034, les habitats classés G, F et E seront considérés comme des passoires thermiques et donc interdits à la location.
Le Medef plaide également pour rapprocher les offres de transport en commun avec les besoins de mobilité domicile-travail afin de couvrir les besoins de tous les salariés, notamment ceux qui habitent en périphérie des agglomérations. "Le versement mobilité [dont s'acquittent les employeurs privés et publics de plus de 11 salariés, Ndlr] est censé financer les transports en commun, mais dans de nombreuses municipalités, les trajets domicile-travail ne sont jamais pris en compte. Certes les chefs d'entreprise siègent dans les autorités organisatrices de mobilité, mais on ne voit rien venir", a pointé Geoffroy Roux de Bézieux.
Autrement dit, le mouvement patronal attend des autorités organisatrices de mobilité (AOM) qu'elles proposent, au niveau local, des alternatives à la voiture individuelle. Cette dernière est de moins en moins viable économiquement du fait de l'explosion des prix de l'essence, sans parler de son empreinte carbone... Sur ce point, le Medef n'en est pas à un paradoxe près.
Le Medef veut encore baisser les impôts de production
Alors que les prix de l'énergie s'envolent, contraignant les collectivités à renoncer à des investissements écologiques, le mouvement patronal appelle à amplifier la baisse des impôts de production, jusqu'à 35 milliards d'euros par an, perçus par ces mêmes territoires. "Comment on finance 35 milliards d'euros au niveau du pays et comment on compense les collectivités locales sont deux sujets séparés. Côté territoires, les recettes montent", a rétorqué Geoffroy Roux de Bézieux à La Tribune.
Dans ce domaine, le président-candidat a déjà annoncé la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pour toutes les sociétés concernées, soit 7 milliards d'euros. La CVAE est due par toute personne physique ou morale qui réalise plus de 500.000 euros de chiffre d'affaires hors taxe. Tout associé d'une société civile professionnelle et de moyens ou tout membre d'un groupement de professions libérales dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152.500 euros est également redevable. "Ces 7 milliards d'euros seront compensés aux collectivités à l'euro près", promettait, à La Tribune, Laurent Saint-Martin, député (LREM) du Val-de-Marne, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale et "relais" fiscalité locale de l'équipe de campagne.
La seconde inconnue est le pouvoir d'achat des Français au regard de l'inflation. Dans ce domaine, le patron des patrons a admis qu'il y a une "question salariale". "Il y a des demandes d'augmentation, mais les négociations annuelles obligatoires (NAO, Ndlr) ont été performantes: les salaires ont augmenté de 3% à 3,5%", a poursuivi Geoffroy Roux de Bézieux.
En résumé, "il faut surinvestir côté entreprises comme côté ménages" mais "c'est un message destiné au futur gouvernement". "Le mot planification peut faire peur, mais dans l'écologie, il est nécessaire". Autrement dit, la nouvelle Première ministre, Élisabeth Borne, en théorie chargée de la Planification écologique, devra ouvrir les vannes des subventions publiques. Le cas échéant, la neutralité carbone ne sera pas atteinte en 2050.