Neutralité carbone en 2050 : ce qu'impliquent les quatre scénarios modélisés par l'Ademe

Après négaWatt et RTE, l'Ademe a dévoilé à son tour, mardi 30 novembre, des scénarios prospectifs pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, au nombre de quatre. Alors que les deux premiers induisent un changement drastique de nos modes de vie passant par plus de sobriété énergétique, les deux suivants misent sur l'innovation technologique pour équilibrer le bilan carbone de la France. D'un bout à l'autre du spectre, les leviers mobilisés varient, et impliquent des choix de société structurants. Explications.
Loin de se focaliser sur le seul mix énergétique, l'Ademe s'intéresse à d'autres volets majeurs pour atteindre la neutralité carbone en 2050, comme l'alimentation, l'agriculture, la préservation du vivant ou encore l'aménagement du territoire.
Loin de se focaliser sur le seul mix énergétique, l'Ademe s'intéresse à d'autres volets majeurs pour atteindre la neutralité carbone en 2050, comme l'alimentation, l'agriculture, la préservation du vivant ou encore l'aménagement du territoire. (Crédits : Pascal Rossignol)

Comment atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 ? C'est sur cette équation à plusieurs inconnues qu'a planché l'Ademe pendant deux ans, et pour laquelle elle a dévoilé mardi 30 novembre différentes stratégies possibles de résolution. Précisément, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie a décliné hier quatre scénarios prospectifs susceptibles de permettre à la France de devenir neutre en carbone dès 2050.

Parmi eux, les deux premiers scénarios sont axés sur la sobriété énergétique et reposent sur un changement drastique de nos modes de vie et de consommation, tandis que les deux suivants tablent sur des innovations technologiques massives pour gagner en efficacité énergétique. D'un bout à l'autre du spectre, les leviers mobilisés pour atteindre la neutralité carbone sont donc distincts et impliquent des choix de société plus ou moins en rupture avec notre modèle actuel.

Nécessité de réduire la demande d'énergie

Mais malgré des trajectoires différentes pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, ces scénarios convergent en réalité sur plusieurs points. Tous insistent sur la nécessité d' « agir rapidement » et présentent la réduction de la demande d'énergie comme « le facteur clé » pour devenir neutre en carbone. Cette diminution d'énergie consommée va de -23% en 2050 par rapport à 2015 dans le quatrième scénario, à -55% dans le premier. En outre, l'approvisionnement énergétique repose à plus de 70% sur les énergies renouvelables dans tous les scénarios modélisés, et la biomasse, notamment, voit son utilisation multipliée par deux en trente ans.

Force est donc de constater que le mix énergétique a un rôle clé à jouer dans la réussite de l'objectif de neutralité carbone d'ici 2050. Ce qui explique d'ailleurs en partie pourquoi RTE, tout comme l'association négawatt, avaient axé leurs scénarios pour devenir neutre en carbone - rendus publics en octobre - sur ce volet énergétique.

Mais comme l'a rappelé le PDG de l'Ademe Arnaud Leroy, « la neutralité carbone n'est pas qu'un sujet énergétique ». Le rapport de l'Ademe dévoile ainsi d'autres volets sur le plan de l'alimentation, l'agriculture, la préservation du vivant ou encore l'aménagement du territoire, qui permettraient d'aboutir à un bilan carbone neutre en 2050.

Deux premiers scénarios axés sur la sobriété

Concrètement, les deux premiers scénarios présentés par l'Ademe sont axés sur la sobriété et impliquent un changement radical de nos modes de vie, avec entre autres « le recours à l'économie circulaire » et « l'abandon de la maison individuelle ». Seuls ces deux premiers scénarios permettent d'ailleurs de se conformer à l'objectif "Fit for 55" annoncé par la Commission européenne, et qui vise à diminuer les émissions de CO2 de 55% en 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Autre singularité : seuls ces deux scénarios garantissent à la France une indépendance énergétique totale à horizon 2050.

  • Scénario 1: "génération frugale"

Le premier, intitulé "génération frugale", induit une « modification drastique de nos habitudes de consommation », sur laquelle a insisté la directrice exécutive de l'Ademe, Valérie Quiniou. Dans ce scénario, à horizon 2050, un tiers des Français ne mange plus de viande, un autre tiers est flexitarien, et la quantité totale de viande consommée est ainsi divisée par trois. La bio représente en outre 70% de l'alimentation des Français.

Sur l'aménagement du territoire, les grandes villes sont délaissées au profit de villes moyennes et rurales et les résidences secondaires sont converties en résidences principales habitées à l'année, avec une rénovation énergétique rapide et massive. La proximité du lieu de travail par rapport au lieu de vie est favorisée à l'embauche, et la moitié des trajets s'effectuent à vélo ou à pied.

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Au niveau industriel, un nouveau modèle privilégiant la qualité à la quantité et focalisé sur le Made in France est mis en place, et la production est contractée. Les puits naturels suffisent à faire chuter les émissions et permettent aux compensations de CO2 de dépasser les émissions, avec un différentiel estimé à 42 millions de tonnes d'équivalent CO2 par rapport à 2015. Dans ce scénario, l'essentiel de la gouvernance se fait au niveau local, via des quotas de rationnement et des réglementations.

  • Scénario 2: "coopérations territoriales"

Le second scénario est baptisé "coopérations territoriales". Il repose, selon les propos tenus par l'Ademe, sur « une gouvernance partagée où les acteurs à l'échelle nationale et européenne réussissent à se concerter ». Dans ce scénario, la consommation de viande est divisée par deux et la part de la bio atteint les 50%.

Les villes moyennes sont privilégiées par les Français et se dessine quasiment une ville du quart d'heure. L'habitat est également transformé de façon radicale et les équipements sont notamment mutualisés: « on peut ainsi imaginer, par exemple, que les voisins d'un même immeuble partagent leur lave-linge », confie Valérie Quiniou.

Pour qu'un tel scénario puisse fonctionner, l'Ademe met également en avant la nécessité de politiques publiques pour accompagner la réindustrialisation de secteurs clés en lien avec les territoires et le recyclage des emballages, de sorte que 80% de l'acier, du verre, du papier-carton et des plastiques soient issus du recyclage en 2050. Le tout, combiné à un soutien aux circuits de proximité, permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 430 millions de tonnes d'équivalent CO2 par rapport à 2015, prise comme année de référence dans l'ensemble des scénarios.

Deux autres scénarios axés sur l'efficacité énergétique

À la différence des deux premiers scénarios, les deux suivants misent avant tout sur l'innovation technologique pour atteindre l'objectif de neutralité carbone fixé à 2050. Dans les scénarios 3 et 4, le modèle industriel est toujours fondé sur la quantité, contrairement aux deux premiers scénarios qui privilégient la qualité, mais fait appel à des procédés décarbonés.

  • Scénario 3: "technologies vertes"

Le scénario 3, intitulé "technologies vertes" se réfugie ainsi dans de nouvelles technologies et un "consumérisme vert" pour optimiser les possibilités de réduire les émissions. La consommation de viande diminue de 30% et la part de la bio dans l'alimentation des Français grimpe quant à elle à 30%.

Sur les logements, plus que des politiques de rénovation massive comme dans les deux précédents scénarios, le troisième se base notamment sur des politiques de "déconstruction-reconstruction" à grande échelle de logements, pour accroître leur efficacité énergétique. Contrairement aux deux premiers scénarios, les trajets ne sont pas diminués (avec une moyenne de 13% de kilomètres supplémentaires parcourus par personne par rapport à 2015), mais la part de trajets en vélo ou à pied se hisse tout de même à 30% et la décarbonation des mobilités s'opère via l'électrification du parc, et le recours généralisé au covoiturage et à l'auto-partage.

Au niveau industriel, le modèle reste dans une logique quantitative, mais orienté vers une croissance verte faisant appel à des procédés bas carbone, comme la biomasse. La décarbonation passe en outre par un recours massif à l'hydrogène, qui est en grande partie importé, et induit donc une forme de dépendance énergétique, contrairement aux deux premiers scénarios. Finalement, ce scénario échoue - de peu - à atteindre l'objectif de réduction des émissions de 55% d'ici 2030 par rapport à 1990, fixé par la Commission européenne dans le cadre de "Fit for 55".

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  • Scénario 4: "pari réparateur"

Enfin, le scénario 4 (S4) est le plus "risqué" pour parvenir à la neutralité carbone à horizon 2050, comme le suggère d'ailleurs son intitulé: "pari réparateur". Et une chose est claire: S4 est très éloigné des objectifs de "Fit for 55", qui ne pourront donc indubitablement pas être atteints si le gouvernement opte en faveur de ce dernier scénario.

Avec un tel scénario, nos pratiques actuelles ne sont modifiées que dans une moindre mesure. « Les régimes alimentaires évoluent mais relativement peu », détaille ainsi Valérie Quiniou. À titre d'exemple, la consommation de viande baisse de 10% seulement, et est complétée par des protéines végétales ou de synthèse.

Au niveau de l'habitat, la construction de logements neufs ne s'arrête pas, et, comme dans le scénario 3, la moitié seulement des logements est rénovée au niveau "bâtiment basse consommation" (BBC). L'étalement urbain se poursuit dans la continuité de la tendance actuelle, et les trajets des Français continuent d'augmenter, avec 28% de kilomètres supplémentaires parcourus par personne, et seulement 20% des trajets sont effectués à pied ou à vélo.

Dans ce scénario, la coopération internationale est forte et plusieurs leviers de décarbonation sont utilisés, avec divers pays se spécialisant dans la production de gaz naturel ou décarboné, que la France importe ensuite. Les innovations sont poussées au maximum sur les technologies de captage - et de stockage - de CO2 dans l'air, à l'image du DAX, qui pour l'heure n'est pas encore mature, mais une croissance économique encore fortement carbonée se poursuit.

Des risques majeurs dans tous les scénarios

Dans l'ensemble des scénarios, l'Ademe pointe des risques majeurs induits et reconnaît qu'« atteindre la neutralité repose sur des paris forts, aussi bien sur le plan humain que technologique », même si elle note que « tous les scénarios n'entraînent pas les mêmes conséquences environnementales, sociales et économiques ».

Ainsi, dans le premier scénario, le risque majeur tient à l'acceptabilité sociale d'un changement aussi radical des modes de vie, tandis que le quatrième scénario est lui aussi hasardeux puisque la réussite de l'objectif repose sur les nouvelles technologies, qui pour beaucoup ne sont pas encore matures et ne sont donc pas des valeurs sûres pour atteindre la neutralité carbone.

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Par ailleurs, l'Ademe a également rappelé la nécessité de veiller à ce que ces scénarios - tant ceux axés sur la sobriété que sur l'efficacité énergétique -, ne conduisent pas à un accroissement des inégalités. Dans le cas du scénario 4, l'Ademe a ainsi souligné l'importance de s'assurer que les plus modestes puissent bénéficier des différentes innovations technologiques.

Enfin, une interrogation plus générale a été soulevée au niveau des implications de ces scénarios sur l'emploi, qui restent aujourd'hui encore difficiles à évaluer. En clair, la transition vers la neutralité carbone laisse en suspens une question : les emplois détruits parviendront-ils à être compensés par les nouveaux emplois verts créés ? Autrement dit, peut-on s'attendre à ce que les scénarios dévoilés par l'Ademe opèrent une "destruction créatrice" d'emplois ?

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Commentaires 5
à écrit le 03/12/2021 à 7:46
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Ce dont on peut être sûr c'est que rien de tout cela ne va se passer, en tout cas de la manière dont c'est décrit. Pour l'instant, on s'avance vers une société comme actuellement, où les pompes à chaleur remplacent les chaudières fossiles et les véhi...

à écrit le 02/12/2021 à 11:02
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La neutralité carbone est un concept utopique. Aucun Etat dans le Monde va renoncer à la croissance, ni penser à réguler sa population. La consommation d'énergie ne peut que croître, le CO2, les particules et tout les polluants à l'avenant.

à écrit le 02/12/2021 à 9:24
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En 2050 "le neutre" ne sera pas suffisant! Nous savons que toute innovation technologique a besoin de l’industrie génératrice de carbone! Et nous savons que si tout le monde est a la même enseigne la pauvreté n'a aucune signification!

à écrit le 02/12/2021 à 7:59
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En 2050 quand il fera 50 et qu'on sera tous morts laissant les jeunes d'aujourd'hui se dépatouiller avec la m... qu'aura généré notre classe dirigeante par pure cupidité. Nos dirigeants sont des minables alors que pourtant nombreux ont eu une rolex à...

à écrit le 02/12/2021 à 7:11
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Bien sur, qu'il y aura de la sobriété, mais c'est un mot encore trop faible, qui ne parle pas vraiment aux gens. Le vrai mot, pour désigner la neutralité carbone, c'est la pauvreté. Ecologie est synonyme de pauvreté, c'est ça, que les gens et les méd...

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