« Ne rien lâcher, c'est ma devise », a lâché Emmanuel Macron vendredi matin en visite sur le chantier de Notre-Dame. Une énième provocation ? Ces dernières semaines, les manifestants n'ont pas cessé de chanter dans leurs cortèges : « On lâche rien ! » Le président de la République semble oublier que pour assurer sa visite dans la cathédrale en convalescence, les forces de l'ordre avaient dû boucler l'accès à l'île de la Cité. Au même moment, c'était à Élisabeth Borne, la Première ministre, d'être interpellée lors d'une visite d'un supermarché en Normandie. Et ce n'est pas la décision du Conseil de Constitutionnel de valider le projet du gouvernement sur les retraites, tout en rejetant les dispositions les plus sociales intégrées au cours des débats ou la première demande de RIP (Référendum d'Initiative Partagée), qui va calmer les esprits. D'autant plus que le chef de l'État a immédiatement annoncé vouloir promulguer la loi dans les 48 heures !
Fin mars, le grand constitutionnaliste Dominique Rousseau, connu pour ses ouvrages par de nombreuses générations d'étudiants, avertissait : « Je dirais même que l'institution joue en quelque sorte son destin dans cette affaire. Il semble difficile, en effet, qu'elle ne censure pas la loi sur la réforme des retraites tant les motifs d'inconstitutionnalité pour des raisons de forme sont sérieux ». Et de citer pêle-mêle : les débats précipités à l'aide d'outils comme l'article 47.1, détourné de son usage habituel, des amendements déclarés irrecevables de manière très discutable, des débats ayant manqué au principe constitutionnel de « clarté et de sincérité » sur la pension minimale à 1 200 euros, ou le fait que l'Assemblée nationale n'a pas voté le texte.
Aucun de ces points soulevés n'a suscité l'interrogation du Conseil Constitutionnel. Concernant la clarté et la sincérité des débats, ce dernier s'est même payé le luxe de conclure dans sa décision avec ces mots : « La circonstance que certains ministres auraient délivré, lors de leurs interventions à l'Assemblée Nationale et dans les médias, des estimations initialement erronées sur le montant des pensions de retraite qui seront versées à certaines catégories d'assurés, est sans incidence sur la procédure d'adoption de la loi déférée dès lors que ces estimations ont pu être débattues ». Est-ce à dire que le mensonge d'un gouvernement dans le cadre de débat parlementaire est donc constitutionnel ? Le député Charles de Courson (groupe LIOT) a immédiatement réagi par des mots forts : « Par cette position, le Conseil Constitutionnel renforce les pouvoirs déjà exorbitants (...) de l'exécutif, au détriment du Parlement »
De fait, la victoire juridique d'Emmanuel Macron pourrait constituer pour lui une victoire à la Pyrrhus, une défaite politique. Car le président ne peut faire comme si depuis 355 jours, il avait réussi à gouverner le pays en ne disposant que d'une majorité relative à l'Assemblée, et donc, ne disposant en réalité que d'une minorité. Pour faire référence à l'ouvrage Les sans jours que mon confrère de l'Opinion, Ludovic Vigogne, vient de publier (Bouquins, 19,90 euros), cela fait désormais 355 jours qu'Emmanuel Macron fait « sans » politique.
La méthode Coué et les éléments de langage sur fond de « il faut tourner la page », « passons à autre chose » ne suffiront pas. Dans les faits, l'inflexibilité présidentielle amène à une situation inédite : contrairement aux rêves des soutiens du président, l'intersyndicale est aujourd'hui plus que jamais soudée. Le soir même de la décision du Conseil Constitutionnel, Laurent Berger, le patron de la CFDT, exhortait ainsi Emmanuel Macron à ne pas promulguer cette loi, et faire appel à l'article 10 pour renvoyer le projet devant le Parlement, tout en appelant la mobilisation des salariés pour le 1er mai : « La vie des travailleurs n'est pas une séquence, nous n'entrerons pas dans une séquence politique », avertit alors le leader syndical.
De la même manière, l'intersyndicale en a appelé à un « raz de marée populaire » le 1er mai. Sur le front politique, alors que le Conseil Constitutionnel a aussi rejeté la première demande de référendum d'initiative partagée (RIP) portée par la gauche, qui espérait un feu vert pour entamer la collecte de 4,8 millions de signatures pour contrecarrer le projet du gouvernement, Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, a proposé de lancer « une vaste pétition » pour « exiger un référendum ». Face à la colère de nombreux Français, cette initiative risque de ne guère peser. Mais c'est ce qui arrive quand l'État de droit sacrifie la démocratie.
Marc Endeweld