Au « Château », l'interview surprise donnée par le chef de l'État à Valeurs actuelles, une première pour un locataire de l'Élysée, a provoqué un émoi certain parmi ses conseillers. Peu importe pour Emmanuel Macron. Lui n'a que faire des états d'âme de ses collaborateurs, et n'a qu'une obsession : imposer son propre tempo, y compris à son équipe la plus proche. Son conseiller en communication, Joseph Zimet, nommé tout récemment en septembre, vient de l'apprendre à ses dépens.
Mauvais signal
En effet, cette interview explosive, centrée sur les questions de l'islam et de l'immigration, a été décidée par le président lui-même, réalisée « entre quat'z'yeux », dans l'avion présidentiel à son retour de voyage à Mayotte et à la Réunion, et relue en catimini. Selon L'Opinion, Zimet a même songé à démissionner après avoir découvert la première version de l'interview, encore plus cash. Une fuite pour le moins étrange, et non démentie, qui laisse penser qu'une telle initiative n'est pas assumée au sein même de l'équipe présidentielle. Un mauvais signal de plus, alors que la publication polémique est intervenue au lendemain de l'attaque de la mosquée de Bayonne. Pour contrer tout mauvais « buzz » sur les réseaux sociaux, l'Élysée se dépêcha de délivrer des éléments de langage (les fameux « EDL ») pour justifier une telle rencontre entre l'hebdomadaire conservateur et le président de la République.
On ne dicte à « Jupiter » ni son tempo, ni sa conduite, et encore moins sa communication. Parti de la présidence au printemps dernier, l'ancien conseiller spécial, Ismaël Emelien, ex-communicant d'Havas, a lui aussi connu, dès le début du quinquennat, cette facilité déconcertante qu'a Macron à court-circuiter certains de ses collaborateurs, à privilégier les canaux directs ou parallèles, ou encore à jouer un conseiller contre un autre.
Esprit startup
Ancien porte-parole de la présidence, l'ex-journaliste Bruno Roger-Petit, loin d'être marginalisé dans le dispositif, continue ainsi d'être utilisé par le président pour faire passer des messages à des journalistes, alors qu'il est désormais son « conseiller mémoire ». Lui qui a coorganisé la remise de la légion d'honneur à l'écrivain Michel Houellebecq, connaît d'ailleurs très bien Geoffroy Lejeune, le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles. Au cours de la campagne, c'est aussi Roger-Petit, mitterrandiste affirmé, qui souffla l'idée au futur président d'utiliser un pupitre blanc arboré du drapeau tricolore lors de ses discours, comme son illustre prédécesseur.
Bref, adepte de l'esprit startup, Emmanuel Macron n'a que faire des organigrammes. Son intérêt se porte d'abord sur les idées qu'il trouve les plus à même de lui permettre de conserver sa « centralité » dans la vie politique française. En pleine crise des « gilets jaunes », c'est lui seul qui imposa l'idée d'un Grand débat un peu partout en France. Son ex-conseiller parlementaire, le jeune Stéphane Séjourné, l'a récemment avoué sur BFMTV :
« L'idée du Grand débat, c'est d'abord l'idée du président lui-même. Les collaborateurs, eux, n'étaient pas forcément très positifs sur cette idée. »
Allant jusqu'à ajouter : « On voyait mal comment ça allait être organisé, on ne savait pas quel était le débouché politique... Je pensais, personnellement, qu'il n'y aurait personne dans ces grands débats. » On connaît la suite...
Étreindre ses adversaires pour mieux les étouffer
C'est aussi Emmanuel Macron qui imposa la thématique de l'immigration. Par petites touches au départ, puis plus clairement à la rentrée. Lui qui veut instaurer pour 2022 un match retour avec Marine Le Pen, fait tout pour que le débat politico-médiatique s'impose entre les deux leaders. Et pour cela, le président, sans complexe, va jusqu'à étreindre ses adversaires pour mieux les étouffer. Quand Geoffroy Lejeune lui fait remarquer qu'il n'est jamais aussi meilleur que sur « notre terrain, celui de Valeurs actuelles », il répond : « C'est celui qui je préfère. » Dès 2016, il procède de la même manière avec la droite. À l'époque, François Fillon lui avait écrit un mot, s'étonnant du stratagème : « Une nouvelle fois, vous venez sur mes positions. Jusqu'où irez-vous ? » Réponse : « En fait j'y suis déjà sans doute. Je poursuivrai sur ce chemin, car c'est le seul que je connais. Voyons-nous. » Mais à ce jeu-là, Macron ne peut pas tout prévoir, ni tout contrôler, comme l'actualité a pu le démontrer depuis la rentrée. Et dans cette ambiance délétère, certains Français pourraient choisir l'original à la copie. Ce serait une erreur de sous-estimer ce risque.
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NOTE SUR L'AUTEUR
Marc Endeweld, auteur de L'ambigu Monsieur Macron (Éditions Flammarion), et de Le grand manipulateur - Les réseaux secrets de Macron (Éditions Stock), tiendra désormais chaque semaine une chronique politico-économique dans La Tribune intitulée "Politiscope".