Emmanuel Macron à Washington pour tenter de préserver l'industrie européenne

Emmanuel Macron entame ce mercredi une visite d'Etat de trois jours aux Etats-Unis, qui devrait sceller de manière spectaculaire la réconciliation franco-américaine après la grave crise diplomatique entre les deux proches alliés provoquée par la constitution l'an dernier de l'alliance AUKUS dans la zone indopacifique et la perte du contrat des sous-marins français en Australie qui s'en est suivie. Le chef de l'Etat va en profiter pour aborder le dossier sensible de l'Inflation Reduction Act. Ce plan XXL de 369 milliards de dollars pour accélérer la transition écologique des Etats-Unis prévoit notamment des subventions importantes sur les véhicules électriques fabriqués sur le territoire américain. En Europe, les conséquences de cette décision inquiètent particulièrement dans les milieux d'affaires et le secteur industriel. Face à ces craintes, le président français va tenter de négocier des exemptions en s'inspirant des accords avec le Canada et le Mexique. ll évoquera également la volonté de promouvoir en Europe un « Buy European Act ».
Grégoire Normand
Joe Biden et Emmanuel Macron lors d'un sommet de l'Otan au printemps dernier.
Joe Biden et Emmanuel Macron lors d'un sommet de l'Otan au printemps dernier. (Crédits : Reuters)

Les relations commerciales entre les Etats-Unis et l'Europe ne sont pas au beau fixe. Après le vote de l'Inflation reduction act (IRA) par le congrès américain de 369 milliards de dollars, les inquiétudes montent dans les instances européennes et les couloirs du ministère de l'Economie français. Le protectionnisme américain « est un sujet de préoccupation pour les Européens », explique un ponte de Bercy habitué des réunions internationales. « D'un point de vue commercial, la préoccupation la plus importante est l'inflation reduction act », souligne un haut fonctionnaire de la Commission européenne, spécialiste des politiques commerciales.

Chez de nombreux experts et économistes, le plan de Biden est salué pour ses ambitions en matière de transition après le mandat chaotique de Donald Trump, marqué par des reculs jugés dangereux sur le plan climatique. Mais certaines dispositions ont fait bondir les promoteurs du libre-échange.

En déplacement jusqu'à vendredi sur le sol américain, le président français doit rencontrer son homologue Joe Biden à l'occasion d'une visite diplomatique de trois jours. A l'automne 2021, l'annonce par la présidence américaine de l'alliance Aukus avec l'Australie et le Royaume-Uni avait suscité la colère de l'Elysée, privant la France d'un mégacontrat de sous-marins à plusieurs milliards. Un an après cet épisode orageux, la tension est loin d'être retombée. La pandémie et la guerre en Ukraine ont complètement rebattu les cartes des routes commerciales sur la planète accentuant les tensions entre les grandes puissances.

Face à ce bouleversement, « il y a un besoin de resynchronisation des agendas américain et européen», explique l'entourage du chef de l'Etat qui devrait faire la promotion d'un « buy european Act » au cours de son déplacement. Dans la délégation française, plusieurs grands patrons vont accompagner Emmanuel Macron sur le sol étatsunien. Sont attendus le PDG de LVMH Bernard Arnault, Philippe Knoche (Orano), Patrick Pouyanné (TotalEnergies), Luc Rémont (EDF) ou encore Rodolphe Saadé (CMA-CGM).

Lire aussi« Buy European » : l'impossible réponse européenne face au protectionnisme américain

Des exemptions sur le modèle du Mexique et du Canada

La mise en œuvre de l'Inflation reduction act à partir du premier janvier prochain devrait être particulièrement scrutée par les diplomates européens. Lors de son déplacement, Emmanuel Macron devrait monter au front pour demander des exemptions à l'administration américaine. A ce stade, la présidence n'a pas donné de précisions sur les produits et les secteurs concernés. Interrogé par La Tribune, Bercy n'a pas non plus donné de précision. « On y travaille », explique l'entourage de Bruno Le Maire.

En revanche, des pistes de négociations ont été évoquées sur les modalités d'application de l'IRA. « Les réactions des Européens viennent après le vote par le Congrès de l'IRA. La question qui se pose aujourd'hui est celle de la mise en œuvre des dispositions de l'IRA », explique Vincent Vicard, économiste au CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales) et responsable du programme scientifique Commerce international. « Un des points majeurs est la subvention aux véhicules électriques de 7.500 dollars assemblés aux Etats-Unis et équipés de batteries fabriquées avec des composants provenant de certains pays seulement », ajoute le chercheur. Par rapport au plan initial Build Back Better, il y a une ouverture vers le Mexique et le Canada sur le mécanisme de subvention. « Cette ouverture correspond à la logique industrielle de l'automobile en Amérique du Nord, » poursuit l'économiste.

Du côté de l'Elysée, les conseillers du président planchent effectivement sur le modèle nord américain de zone de libre-échange. « Nous pouvons imaginer que l'administration américaine consente des exemptions, pour un certain nombre d'industriels européens, peut-être sur le modèle de ce qu'elle consent déjà pour le Mexique ou pour le Canada », souligne un proche d'Emmanuel Macron.

Au Canada, on se félicite du vote de l'IRA. « On doit se réjouir que les Etats-Unis aient pris le virage de la transition énergétique et écologique. Pour le Canada, on s'attend à des échanges intéressants », explique un diplomate. « L'inclusion d'un crédit d'impôt de 7.500 dollars aux Etats-Unis est une satisfaction pour le Canada car il prévoit une ouverture avec d'autres pays d'Amérique du Nord. C'est le résultat d'une pression de l'industrie automobile sur le Congrès », poursuit cette source.

Des dispositions jugées contraires aux règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC)

Le plan américain destiné à favoriser le Made in USA est particulièrement critiqué dans les instances de libre-échange. « Certaines dispositions de l'IRA sont considérées comme contraires aux règles de l'OMC. C'est par exemple le cas de certains crédits d'impôt », explique une source du ministère de l'Economie. « Compte tenu de la nature des soutiens et de leur caractère très massif, ce plan ne respecte pas les règles de l'OMC », a récemment déclaré la Première ministre Elisabeth Borne.

Il pourrait « faire perdre (à la France) 10 milliards d'euros d'investissements en France et 10.000 créations potentielles d'emplois », selon Matignon.

Sur l'hypothèse d'un contentieux porté à l'Organisation mondiale du commerce, la plupart des spécialistes sont peu convaincus. « Comment réagir si ces négociations ne vont pas au bout ? S'il n'y pas d'infléchissement, ouvrir un contentieux à l'OMC avec un partenaire commercial prendrait du temps », indique Vincent Vicard. En outre, il n'y a plus d'organe d'appel à l'OMC dans l'instance de règlements des différends. « Depuis Obama, l'administration américaine fait blocage pour la nomination des juges dans cet organe. Si les Etats-Unis veulent faire appel d'une décision, il y a un vrai risque de blocage », ajoute-t-il.

Un risque de désindustrialisation important dans un contexte de transition

Au pic de la pandémie, les espoirs de réindustrialisation s'étaient multipliés partout sur le Vieux continent. L'échec de produire des masques de protection en temps et en heure avait provoqué de la stupeur chez les Européens obligés d'importer des cargos entiers de matériel médical en provenance de Chine pour assurer la santé de sa population.

Face à ces déboires, plusieurs Etats avaient mis en avant une volonté de réindustrialiser leur économie et de relocaliser certaines activités stratégiques. Mais la guerre en Ukraine et la crise énergétique ont changé la donne. « Sur la désindustrialisation, il y a un risque de perte de compétitivité en Europe face aux Etats-Unis sur les prix de l'énergie. Le prix du gaz est cinq fois plus important aux Etats-Unis qu'en Europe », rappelle un proche de Bruno Le Maire.

Les difficultés s'accumulent dans les secteurs les plus énergivores. « Cette désindustrialisation reste un vrai sujet en France en raison notamment aujourd'hui des prix de l'énergie. Sur le Vieux continent, les pays du Nord et l' Allemagne sont en excédent commercial », rappelle Vincent Vicard.  « En revanche, il y a un vrai sujet de transition industrielle dans le contexte des politiques de lutte contre le réchauffement climatique. Il y a des problèmes de concurrence importants. L'Europe importe des véhicules électriques de Chine et exporte des véhicules thermiques. Les Etats-Unis font des subventions discriminantes sur les véhicules européens alors que l'Europe subventionne l'achat de véhicules électriques quel que soit leur lieu de production ».

« Un changement de paradigme »

L'été dernier, la secrétaire d'Etat au Trésor Janet Yellen a évoqué le concept de « friend shoring » dans le commerce mondial. « Il s'agit d'un rapprochement entre partenaires considérés comme fiables », explique une spécialiste de géopolitique. Dans ce contexte, la stratégie que la France doit adopter à l'égard des Etats-Unis interroge dans les milieux diplomatiques. « La France a pris conscience des risques de dépendance à l'égard de certains pays. Il y a un vrai agenda de résilience et de souveraineté. En même temps, il y a un refus de découplage systématique avec certaines puissances. S'engager dans le "friend shoring" total serait signer un arrêt de mort du multilatéralisme », indique un fonctionnaire du Quai d'Orsay. « Il s'agit de trouver un équilibre entre résilience et ouverture », résume-t-il. Le voyage d'Emmanuel Macron devrait se transformer en numéro d'équilibriste.

Grégoire Normand
Commentaires 19
à écrit le 30/11/2022 à 20:00
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Manifestement la présidence de la commission européenne ne sert qu'à caser des inutiles...

à écrit le 30/11/2022 à 17:23
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Je ne sais pas s'il est totalement naïf ou s'il nous prend pour des idiots. Sans doute les deux ...

le 30/11/2022 à 19:13
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Ne soyons pas mauvaise langue après 5 ans de vacances, il entame juste ces 5 prochaines... Après tout quand on dirige sans écoute du peuple et des autres politiciens, on pilote sans réfléchir ni améliorer la vie des citoyens, on leur enlève juste tou...

à écrit le 30/11/2022 à 14:13
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Qui peut encore croire en sa parole ? Le déficit commercial de 15 milliards d'euros en août est sans précédent ! Sur un an, le trou se monte à 139 milliards d'euros contre 85 milliards en 2021 !!! Il a atteint le fond mais il creuse encore !

à écrit le 30/11/2022 à 11:41
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Il arrive un moment où il faut relever les défis. Les US veulent te lá mettre ok... Mais défend toi coco. Déjà recours OMC sur la concurrence. Ensuite recours contre l'extraterritorialité etc. Ensuite arrêter des citoyens US et leur faire subir ...

le 30/11/2022 à 14:05
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lui qui a vendu alstom aux americain avec l'aide de m philippe c'est ce moquer des francais encore une fois il nous considere comme des idiots qui oublier le passe recent

à écrit le 30/11/2022 à 11:40
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..Que quelqu'un pourra nous citer une seule réussite tant sur le plan international qu' économique de notre president en presque 7 ans de pouvoir ?

à écrit le 30/11/2022 à 10:10
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Incapable de sauver la france il va sauver l’Europe,il a vraiment un pb

à écrit le 30/11/2022 à 9:52
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Pendant ce temps : Le Qatar a annoncé ce mardi 29 novembre un accord permettant d'approvisionner l'Allemagne en gaz naturel liquéfié (GNL) pendant quinze ans.

à écrit le 30/11/2022 à 9:23
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Le président d'un pays qui a la plus petite industrie dans l'UE par rapport au pib se fait l'ambassadeur de l'industrie européenne. Avant de parler d'industrie il faudrait créer les conditions pour doter le pays d'une industrie performante... C'est c...

le 30/11/2022 à 12:41
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Complètement d'accord. Le titre de l'article est ridicule si ce n'est cirer les chaussures... Pour vendre aux américains ce qui nous restent d'industrie, oui, Macron est très fort. Pour le reste, il doit vite quitter le poste de président et reprendr...

le 30/11/2022 à 16:40
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Pour pouvoir créer les conditions pour doter le pays d'une industrie performante, il faudrait d'abord identifier quelles sont les politiques qui ont fait que la part de l'industrie dans le P.I.B, Français a diminué de moitié alors qu'elle restait sta...

à écrit le 30/11/2022 à 9:05
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Rien n'empêche l'Union européenne d'imiter le modèle protectionniste américain, sauf l'Allemagne évidemment qui préfère pouvoir continuer à commercer librement avec la Chine (et c'était aussi vrai pour l'exploitation des pétroles et gaz de schiste, l...

à écrit le 30/11/2022 à 9:03
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Les "directives" de Bruxelles ne lui suffisent plus, il faut qu'il aille a la source ! ;-)

à écrit le 30/11/2022 à 7:30
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Bonjour, Pour fair simple , si nous ne pouvobs vendre nos produits au usa ( trops de protectionniste économique) . Nous devrons trouvé d'autre clients.. la chine pas exemple ... je suis sur qu'ils aime beaucoup la technologies européenne....

à écrit le 30/11/2022 à 6:23
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L'Allemagne se préoccupe de ses propres intérêts, alors que Macron serait en charge de ceux de l'Europe ? En Europe, l'OTAN assure la promotion des intérêts US.

le 30/11/2022 à 20:02
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La France aussi depuis quelques années!

à écrit le 30/11/2022 à 0:22
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C'est l'histoire de l'aspirateur qui aspire la poussière invisible, la lessive qui lave plus blanc que le blanc : Du marketing ! De grandes chances que cela soit des directives pour contrer la Chine et la Russie les deux seules préoccupations de wa...

à écrit le 29/11/2022 à 19:34
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Macron est le valet de l'impérialisme yankee.

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