
C'est une première depuis 2019, le Président français Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne se rendent en Chine pour un voyage qui durera entre le 5 et le 8 avril. Au programme, des discussions autour de la question de la guerre en Ukraine sur laquelle la position de la Chine reste floue. « Nous devons être francs : la manière dont la Chine continuera de réagir face à la guerre de Poutine sera un facteur déterminant de l'avenir des relations entre l'UE et la Chine », a souligné Ursula von der Leyen le 30 mars depuis Bruxelles, donnant le ton du voyage.
Mais le président français va aussi profiter de ce voyage pour parler « business », avec un accent mis sur la transition énergétique, un des défis planétaires sur lesquels Paris juge indispensable d'avancer avec Pékin. Selon l'Élysée, une délégation de cinquante à soixante chefs d'entreprise, du CAC 40 et de PME, sera du voyage. Elle comprendra notamment les dirigeants d'Airbus, d'EDF, d'Alstom ou de Veolia. Des contrats sont attendus pour les entreprises françaises.
L'objectif est martelé par l'Elysée : « Faire en sorte qu'une relation économique équilibrée avec la Chine profite aux entreprises et consommateurs français ». Le chef de l'Etat entend en effet continuer à pousser pour « un meilleur accès au marché chinois » et « des conditions équitables de concurrence », comme lors de ses visites de 2018 et 2019, a expliqué son entourage.
Un marché crucial pour la France
Les voyages officiels ont en effet une forte dimension symbolique. « Ils servent, en général, à discuter et à négocier sur des questions économiques et politiques pour continuer à avoir de bonnes relations. C'est crucial pour les entreprises françaises car la Chine est la deuxième puissance mondiale », explique Mary-Françoise Renard, économiste et Responsable de Institut de Recherche sur l'Economie de la Chine (IDREC). Cette zone de production centrale pour le monde compte notamment quelque 2.000 entreprises françaises installées.
Et quand bien même l'Empire du milieu connaît de nombreuses difficultés économiques, avec une croissance parmi les plus faibles depuis 40 ans à seulement 3% en 2022 selon le Bureau national des statistiques (BNS), la France reste très dépendante et consommatrice des productions chinoises. Selon les chiffres des douanes françaises, en 2022, les importations de produits chinois ont atteint 77,7 milliards d'euros (après 63 milliards en 2021) sur un total d'importations de 758,1 milliards d'euros. La Chine se place donc en deuxième plus gros exportateur vers l'Hexagone, après l'Allemagne. « Structurellement la Chine a un avantage comparatif dans l'informatique, l'électronique et les biens de consommation grand public », rappelle l'économiste. Une production à bas coût qui a inondé le marché européen depuis vingt ans, tirant les prix vers le bas au bénéfice des consommateurs mais aux dépens de l'indépendance de l'Hexagone. En cas de rupture commerciale « il y a des risques de blocage des chaînes industrielles (automobile, électronique par exemple) et de pénuries dans les secteurs pour lesquels nous importons beaucoup (textile, informatique par exemple) », alerte Sylvain Bersinger, économiste chez Asterès.
Mais le pays comptant 1,4 milliard d'habitants est aussi un enjeu clé pour les exportations françaises. L'Hexagone vend notamment des produits de luxe, des cosmétiques et dépend beaucoup des Chinois pour son tourisme. « La France a un déficit commercial important mais un excédent sur les services et le gouvernement veut valoriser ce point fort en Chine car c'est un pays avec un marché intérieur très important », estime Mary-Françoise Renard. En 2021, la France a exporté 24,1 milliards d'euros vers la Chine. Et cette somme pourrait bien augmenter si les relations entre les deux pays restent bonnes.
« Depuis le dernier congrès du Parti communiste chinois, l'Etat est tourné vers la croissance en misant sur son marché intérieur puisque sa population a un niveau de vie assez élevé. Si le schéma de croissance de la Chine c'est la consommation, il serait intéressant pour les entreprises étrangères de venir sur ce marché. On est à un moment où nos exportations françaises pourraient donc croître fortement », alerte Bruno Vanier, Président de Gemway Assets, une société d'investissement spécialisée dans les pays émergents.
Des relations qui se sont dégradées depuis le Covid
Problème, depuis quelques années, le lien politique et économique entre la France et la Chine s'est nettement dégradé. D'abord, depuis la mise en place de la politique zéro covid en 2019, « le régime chinois est plus présent dans les entreprises qu'il ne l'était avant » explique Mary-Françoise Renard rappelant les situations de fermetures d'usines (parfois françaises) ou de confinements des ouvriers sur leur lieu de travail qui ont désorganisé les entreprises installées dans le pays entre 2019 et fin 2022. Plus récemment, c'est évidemment l'ambivalence de la Chine sur la question de la guerre en Ukraine qui a refroidi les relations du pays avec les gouvernements occidentaux.
Résultat, « ce sont surtout les grandes entreprises françaises qui investissent en Chine et notre présence dans le pays a tendance à s'éroder », pointe la responsable de l'IDREC. Voilà le constat que pourrait vouloir inverser Emmanuel Macron pour profiter de l'essor de la consommation chinoise à venir.
Enfin, cette visite devrait autant s'apparenter à une opération de séduction qu'à un bras de fer sur la question de l'Ukraine sous couvert de menace de sanctions économiques de l'Union européenne en cas de prise de parti pro-russe par le gouvernement de Xi Jinping. Interrogé par France Info ce lundi 3 avril, le Commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton a affirmé que « nous sommes un grand continent, et une puissance économique (...) et si (la Chine) est un débouché commercial important pour nous, nous sommes, pour (elle) un débouché vital ». Selon lui, si « pour une raison ou une autre », l'Union européenne devait « restreindre ou fermer (son) marché intérieur », cela engendrerait « 5 à 6 points de produit intérieur brut (PIB) en moins » pour la Chine.
Mais ce scénario qui nuirait aussi fortement aux économies française et européenne a, pour le moment, peu de chance d'arriver puisque « la Chine n'a pas d'intérêt à se déclarer avec ou contre la Russie. Elle a une politique de non-ingérence et pour l'instant elle est ravie de pouvoir avoir du pétrole avec une décote, sans pour autant subir des sanctions occidentales », rappelle le Président de Gemway Assets. Le statu quo chinois devrait donc être maintenu même après la visite d'Emmanuel Macron, pour le bonheur des entreprises de l'Hexagone qui lorgnent sur ce gigantesque marché.