Mégabassines, un anniversaire redouté en pleine crise agricole

Un an après les violents affrontements à Sainte-Soline, les dissensions sur la pertinence de ces « retenues de substitution » persistent.
Giulietta Gamberini
Mégabassine à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres).
Mégabassine à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres). (Crédits : © LTD / DAMIEN MEYER/AFP)

Certains parlent même d'une « guerre de l'eau ». La construction de « retenues de substitution » pour irriguer des terres cultivées, appelées par leurs détracteurs « mégabassines », est devenue en France l'un des sujets les plus sensibles opposant les syndicats agricoles majoritaires aux défenseurs de l'environnement ainsi qu'à certains agriculteurs.

Alors que les premiers parlent avec inquiétude de la raréfaction d'un « moyen de production » essentiel pour la « souveraineté alimentaire », les deuxièmes s'insurgent contre une telle « accaparation » de la ressource hydrique à des fins productivistes. Les violents affrontements qui ont eu lieu le 25 mars 2023 entre les forces de l'ordre et plusieurs milliers de manifestants s'opposant au projet d'un gigantesque réservoir d'eau destiné au stockage agricole à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, ont représenté l'apogée de ce conflit. Des millions de Français ont été abasourdis par des images évoquant une véritable bataille du Moyen Âge.

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 « Commémor'actions »

Un an après, l'anniversaire de cette journée traumatique est redouté par le gouvernement. Le collectif Bassines non merci (BNM), mobilisé contre la construction de retenues d'eau dans le bassin de la Sèvre Niortaise et signataire des Soulèvements de la Terre, mouvement pilote de la manifestation en 2023, entend bien le célébrer. Entre le 22 et le 31 mars, il organise des rassemblements dans toute la France ainsi que des « commémor'actions » autour de Sainte-Soline.

Les craintes de l'exécutif face à ce rendez-vous sont d'autant plus vives que, pendant la dernière année, le conflit est loin de s'être apaisé. Au contraire, la crise agricole a permis aux syndicats majoritaires des agriculteurs, qui réclamaient une « accélération des projets de stockage d'eau », d'obtenir des victoires qui pourraient l'exacerber. Le gouvernement a notamment promis de réduire, dès le mois d'avril, les délais de recours et de contentieux contre ces installations, qui doivent faire l'objet d'une autorisation environnementale préalable et qui sont souvent contestées en justice.

Définition floue

Du point de vue de leurs partisans, ces retenues d'eau se fondent sur une logique simple : afin de répondre aux besoins d'un territoire en déficit de ressource hydrique, elles stockent une partie de l'eau qui tombe « en excès » en hiver pour l'utiliser l'été, quand elle est moins abondante - d'où l'appellation « de substitution ». Une idée qui sous-tendait déjà la construction de petites retenues collinaires, de barrages et de lacs artificiels, dont « certains ont d'ailleurs toujours fait polémique », rappelle Benoît Grimonprez, spécialiste de droit rural et environnemental et professeur à l'université de Poitiers. Mais l'application de ce raisonnement aux mégabassines amplifie aujourd'hui les critiques à cause de leurs caractéristiques particulières : non seulement leur taille peut dépasser une dizaine d'hectares, mais elles sont essentiellement remplies par le pompage de l'eau des nappes phréatiques.

Les projets de retenues ne sont pas viables face à l'intensification du changement climatique

Luc Aquilina, professeur à l'université de Rennes

Difficile à les quantifier

Affirmer combien il en existe aujourd'hui est « compliqué », selon Benoît Grimonprez, qui dit se méfier des cartes interactives mises en ligne par leurs opposants ou certains médias, puisque les critères de définition des mégabassines restent flous. Ce qui est sûr, c'est que leur présence se concentre autour des surfaces agricoles irriguées, qui en France, selon les dernières données de 2020, représentent environ 7 % de la surface agricole utile totale. Elles voient aussi essentiellement le jour « dans des territoires où l'usage agricole de l'eau est prépondérant », note Benoît Grimonprez. Et, en raison de la multiplication et de l'extension des épisodes de sécheresse estivale, ces projets, portés par des coopératives d'agriculteurs irri-gants et financés à 70 % en moyenne par des fonds publics, se développent : plus d'ailleurs que les autres projets de stockage, dont on a presque rejoint la capacité maximale par rapport au relief français, souligne Guillaume Thirel, hydrologue et chercheur à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

Déterminer leurs conséquences sur l'environnement et leur pertinence face à l'objectif d'adaptation de l'agriculture au changement climatique est aussi complexe. « Il faut prendre en compte des données climatiques, hydrologiques, géologiques, économiques, agricoles, sociologiques, qui varient selon les territoires », souligne Guillaume Thirel. « Et il faut distinguer selon les horizons de l'évaluation », note Luc Aquilina, professeur à l'université de Rennes et responsable d'un master en sciences de l'eau. Ainsi, à court terme, les retenues de substitution peuvent certes permettre à certaines exploitations agricoles, avec des besoins majeurs en eau l'été, d'assurer leur production tout en préservant le débit estival des rivières. Mais, à moyen et à long terme, un certain nombre de scientifiques sont plutôt critiques sur plusieurs points. »

« En surface, l'eau s'évapore, et sa qualité se dégrade. En la prélevant des nappes, on perd donc les avantages du stockage souterrain, remarque en premier lieu Luc Aquilina. Sans compter que l'eau douce des nappes, qui est restituée aux rivières, n'est jamais "en excès" par rapport à l'équilibre de l'ensemble de l'écosystème. »

« Mais, surtout, les projets de retenues de substitution ne sont pas viables face à l'intensification du changement climatique », estime le scientifique, selon qui cet avis fait consensus parmi les géologues et les hydrologues. En effet, la probabilité d'avoir des hivers de plus en plus secs, pendant lesquels il sera interdit de puiser dans les nappes, augmente. L'hiver dernier, le déficit pluviométrique moyen a atteint 30 %. « Ce qui risque d'engendrer surtout un problème économique pour ces projets, puisque moins on stocke d'eau, moins on rentabilise les coûts de construction et de fonctionnement », qui se chiffrent en millions voire en dizaines de millions d'euros, explique Benoît Grimonprez. En outre, dans un tel cas, « la vulnérabilité des cultures dépendantes des retenues serait paradoxalement accrue », note Guillaume Thirel.

Un effet négatif sur l'ensemble de l'agriculture française est aussi redouté par les scientifiques : « La construction de mégabassines, nécessaire surtout pour des formes très intensives d'agriculture, risque de retarder la réflexion sur une remise en question des pratiques agricoles et sur l'accompagnement des exploitations vers plus de sobriété hydrique », alerte Luc Aquilina. « Il a même été observé que l'objectif de rentabiliser les retenues pousse dans certains cas à accroître la consommation d'eau », ajoute Guillaume Thirel. « Or, à long terme, face au changement climatique, un tel modèle n'est pas soutenable », met en garde le professeur rennais. Et « pour l'adaptation de l'agriculture au changement climatique, on ne pourra pas miser sur une seule solution », souligne le chercheur de l'Inrae.

Giulietta Gamberini
Commentaires 3
à écrit le 17/03/2024 à 13:15
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Les retenues d'eau relèvent du bon sens élémentaire. Ce ne devrait pas être une question sensible. Il n'y a pas d'autre solution (on ne peut pas lyophiliser l'eau!)

le 18/03/2024 à 7:46
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"Il n'y a pas d'autre solution" Et il a vachement réfléchi hein ! LOL ! ^^

à écrit le 17/03/2024 à 11:44
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"Mégabassines", une idée méga débile.

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