LA TRIBUNE - Cinq ans après l'accord de Paris, qui sera célébré le 12 décembre, quelle a été l'action menée par Paris et par les grandes villes pour lutter contre le changement climatique ?
ANNE HIDALGO - Les villes, comme les entreprises ou les ONG, n'étaient pas directement parties prenantes de la négociation de la COP21, qui se déroulait au Bourget au niveau des Etats. C'est pourquoi il y a cinq ans, nous avons voulu, avec les différentes organisations de villes, le C40, la CGLU (Cités et Gouvernements locaux unis), l'AIMF (Association internationale des maires francophones) et d'autres, créer un événement mobilisateur, pour faire pression sur les négociateurs. Avec l'appui très fort de Michael Bloomberg (l'ancien maire de New York de 2002 à 2013 ndlr), nous avons réussi à créer un événement majeur, en rassemblant ici dans l'Hôtel de Ville de Paris 1.000 maires du monde entier. Et nous sommes allés en délégation au Bourget, porter nos propositions. Cela a permis de mettre dans les thèmes de l'accord sur le climat des sujets qui n'y étaient pas au départ, comme la lutte contre la pollution. Jusque là, on compartimentait les sujets. Quand l'accord de Paris a été conclu, cela a été un moment de joie, même si on sait qu'un accord ne fait pas tout. Ce qui importe, c'est sa mise en œuvre.
Comme maire de Paris, la ville de l'accord, j'y ai vu une responsabilité encore plus grande d'agir : nous l'avons fait avec détermination, en végétalisant Paris et en récupérant des espaces sur la voiture, comme les voies sur berges, devenues un corridor écologique qui permet notamment aux Parisiens, en cas d'élévation des températures, de pouvoir profiter d'une ville plus vivable. Cette action sera accélérée sous ce deuxième mandat avec la création de forêts sur certaines places. Nous allons réduire l'emprise de la voiture individuelle, nous allons multiplier les pistes cyclables. Nous avons aussi là où c'était possible pris le tournant des énergies recyclables et renouvelables et rénové le foncier pour réduire la consommation énergétique des bâtiments. Et nous avons mis en place une participation citoyenne sur les questions relatives au climat. Le plan climat de la ville a fait l'objet d'une votation citoyenne sur les objectifs à atteindre. On a mis en place des volontaires du climat et tout un accompagnement, car on ne pourra réussir la lutte contre le changement climatique, que si les citoyens eux-mêmes sont engagés.
A l'échelle internationale, après le Sommet des 1.000 maires, j'ai présidé pendant trois ans le C40. En réunissant les maires des plus grandes métropoles mondiales, nous en avons fait un outil très puissant pour agir sur plusieurs aspects. D'abord en s'inspirant les uns des autres. Mais aussi en nous épaulant quand nous étions confrontés à l'âpreté politique et aux pressions des lobbies.
Quand Donald Trump est arrivé au pouvoir et a très vite décidé de quitter l'accord de Paris, le C40 est devenu un lieu de résistance, un contre-pouvoir pour défendre le leadership des villes face au réchauffement climatique et appuyer les maires nord-américains qui ont continué à mener des politiques très actives, avec l'appui décisif de Michael Bloomberg. Au sommet du C40 de San Francisco, les villes ont montré qu'elles avaient pu accomplir des mutations rapides dès lors qu'il y avait de la volonté politique.
Laurent Fabius, qui a conduit avec l'immense talent qu'on lui connaît la négociation de la COP21, a reconnu que ce qui a marché, c'est l'action des villes et des entreprises. Beaucoup de secteurs de l'économie ont compris que c'était nécessaire d'aller plus loin. En revanche, les Etats sont restés à la traîne parce que les gouvernements ont encore trop d'hésitations lorsque des intérêts économiques sont en jeu. Depuis cinq ans, on constate toutefois la montée d'un courant du droit international autour de la justice climatique. L'inaction face aux risques climatiques n'est plus possible et c'est une dimension juridique qui a été prise en main par les ONG et les villes. On s'est engagé dans des contentieux, soit contre des entreprises, soit contre des institutions, comme la Commission européenne ou même contre des Etats. Si on va au bout de cette démarche, j'espère qu'il y aura un tribunal international qui sera compétent pour juger des faits d'écocide.
Quel a été l'impact du retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris ?
L'impact des villes sur l'environnement, notamment celles qui se sont engagées dans le C40, a été suffisamment significatif pour compenser le retrait des Etats-Unis qui a eu des effets terribles car ce n'était pas juste un retrait, cela s'est aussi traduit par la relance de la production de charbon, et des énergies fossiles... C'est pourquoi je me réjouis qu'avec l'élection de Joe Biden et de Kamala Harris, et la nomination de John Kerry comme Représentant Spécial pour le Climat, les Etats-Unis retrouvent leur place au sein de l'accord et relancent leur dynamique.
La crise Covid, intervenue cinq ans après la COP21, va t-elle jouer un rôle d'accélérateur par la prise de conscience des risques qui sont devant nous ? Ou bien est-ce qu'au contraire, en raison de l'impact économique, cela pourrait freiner l'action au nom de l'emploi ?
Cette crise sanitaire est une fragilité. Il faut bien sûr affronter la crise économique engendrée par la Covid-19, mais pas au détriment de l'action contre le réchauffement climatique. Ce serait pire encore. J'ai pris le parti d'accélérer en créant les « coronapistes » pour encourager encore plus le vélo. Si tout le monde reprend sa voiture, tous les efforts faits pour baisser la pollution vont être ruinés. D'où le réaménagement de la rue de Rivoli qui est un axe majeur de traversée d'Est en Ouest de Paris et aussi des pistes cyclables qui suivent le trajet des lignes de métro les plus empruntées, la 1, la 4, la 13. Et cela a vraiment marché.
Aujourd'hui, même si dans les discours, de temps en temps, on décèle une volonté de faire converger plan de relance et transition écologique, c'est loin d'être aussi évident quand on regarde sur le terrain ce que cela signifie concrètement.
On vous sent assez critique, voire caustique sur le plan de relance. Vous pensez à quoi ?
Le gouvernement lui-même considère que les coronapistes sont une très bonne idée pour les métropoles. Mais pour traduire en actes ce plan, il a choisi la voie la plus lente et la plus complexe en lançant un grand appel à projets national, ce qui va à l'encontre du bon sens et de l'efficacité. Il n'y a pas besoin d'appel à projets. Il faut laisser agir les collectivités locales qui ont l'habitude de ces projets concrets. Que les villes payent et inscrivent cela dans leur budget. Que le plan de relance vienne financer 10, 20 ou 30% de cet investissement et qu'on dise que c'est parce que l'Etat a mis de l'argent qu'on a réussi à le faire.
Sur les autres sujets du plan de relance, il faut que l'Etat nous aide sur le développement des véhicules à hydrogène. Ce qui suppose qu'on ait des installations, des infrastructures. Autre dossier sur lequel des crédits doivent être mobilisés, le nettoyage de la Seine. Aujourd'hui il y a 35.000 branchements d'eaux usées sur la Marne et la Seine, en amont de Paris, qui se déversent directement dans les eaux fluviales. Il faut y mettre fin. C'est un coût pour les particuliers que la collectivité doit prendre à sa charge.
Au fond, ce plan de relance n'est pas bien adapté aux villes, selon vous ?
L'Etat conserve une vision très centralisée. Les collectivités sont considérées comme des sources de dépenses, des contre-pouvoirs et des pouvoirs périphériques, et non comme des acteurs à part entière sur lesquels l'Etat doit s'appuyer. On pourrait accélérer la sortie de crise si les collectivités étaient invitées à discuter avec l'Etat. Aujourd'hui, le plan de relance va directement et sans contrepartie vers les entreprises. Pourtant, 70% des investissements publics est porté par les collectivités territoriales. Ne pas associer les maires à la stratégie de sortie de crise est un non-sens car nous sommes des acteurs de terrain au cœur des enjeux de la relance verte.
Vous êtes pour un plan Marshall des villes ?
J'ai proposé à plusieurs reprises qu'il y ait un suivi qui se fasse avec les maires, les présidents de Région et des départements qui sont les plus gros investisseurs publics du pays.
L'association d'élu(e)s France Urbaine chiffre à 2 milliards d'euros les pertes pour les métropoles. Comment juguler ces pertes ?
La crise sanitaire va coûter sur l'année 2020 pour Paris 800 millions d'euros si on met bout à bout les dépenses exceptionnelles et les recettes non perçues. Et ce qui est fou, dans ce contexte-là, c'est que Paris doit continuer de verser 650 millions d'euros à la péréquation autrement dit, au profit du budget général de l'Etat. Je suis pour la solidarité entre les territoires, mais dans des situations exceptionnelles comme celle que l'on connaît, est-ce bien raisonnable ? Pour soutenir l'économie, nous avons voté un plan de 200 millions d'euros d'aides pour les entreprises, pour les commerçants, mais aussi des aides pour les familles les plus modestes car beaucoup se sont retrouvés sans revenus, dans des situations très précaires.
Cela met en péril la transition écologique ?
A Paris, j'essaye de garder une marge de manœuvre d'investissement suffisante. Mais pour beaucoup de collectivités, ce ne sera pas possible. Cela met en péril les plans d'investissement, donc les emplois. J'en ai parlé à François Bayrou, le commissaire au Plan. Il a raison quand il dit qu'il faut isoler la dette Covid. Je lui ai dit que cette réflexion, on ne pouvait pas l'avoir juste au niveau de l'Etat, sans intégrer les collectivités.
Sur le plan climat, votre objectif de 100% d'énergies renouvelables en 2050 est-il tenable alors que la ville a moins de capacité de production qu'ailleurs ?
Nous travaillons sur plusieurs sources propres d'énergies. Par une meilleure gestion des déchets, nous pouvons créer une source d'énergie recyclable. Il y a la géothermie que l'on utilise déjà dans les XIXème et XVIIème arrondissements. Beaucoup de bâtiments du parc social sont alimentés ainsi. On peut aussi réutiliser l'énergie des data centers. La piscine de la Butte-aux-Cailles est chauffée de cette façon-là.
Pour mieux maîtriser la production et la consommation locale, nous allons créer une SEM Energies. Cette Société aura pour vocation de mieux gérer la production et l'achat d'énergies renouvelables pour la consommation des Parisiens et de mieux articuler la production et la distribution. Les villes sont des acteurs clés de cette évolution.
Vous venez de tenir les Assises du stationnement. Qu'allez-vous faire des places retirées en surface ?
Des consultations citoyennes sont en cours. L'objectif est de diminuer la place de la voiture. Pour gagner de l'espace à Paris, pour faire des plantations, élargir les trottoirs, permettre l'installation de terrasses pour les restaurateurs ou des étalages pour les commerçants. Il faut prendre cet espace sur les places de parkings de surface qui occupent l'essentiel de l'espace. Paris a une offre de parkings souterrains importante, publics et privés.
Elles sont trop chères ?
Pour le résidentiel, nous avons mis en place des conditions favorables. Il faut travailler sur des propositions de forfait rotatif de longue durée. Par exemple, pour tous ceux qui arrivent très tôt ou sortent tard du travail, à des heures où les transports en commun sont moins fréquents. Dans ces conditions, la voiture peut être un recours. La concertation citoyenne le dira. Les parkings relais couplés avec le pass Navigo permettent aussi de laisser les voitures à l'entrée de Paris pour tout faire en métro ou en vélo. C'est vers ces solutions qu'il va falloir aller pour celles et ceux qui, compte tenue de certaines contraintes, sont contraints d'utiliser leur voiture.
Les parkings de deux roues payants, c'est très impopulaire.
Beaucoup de Parisiens attendent cette décision. Il faut que chacun contribue à l'occupation de l'espace public.
Total, qui avait été écarté pour les Jeux Olympiques, a été retenu dans l'appel d'offres pour l'attribution des anciennes bornes électriques Autolib. Le signe que le groupe pétrolier a changé d'image sur la transition énergétique ?
Le patron de Total, Patrick Pouyanné est un homme intelligent qui est en train de faire muter son groupe vers les énergies nouvelles. S'agissant des anciennes bornes Autolib, il s'agit d'un marché public attribué en toute transparence à la meilleure offre. Il se trouve que c'est Total qui a proposé la meilleure offre. Et tant mieux si on aide Total à sortir du pétrole.
Vous avez critiqué vos alliés Verts parisiens sur la question de leur conception sur la République. N'avez-vous pas les mêmes difficultés avec vos alliés à la Mairie pour concilier écologie et économie ?
Nous avons des conceptions différentes qui viennent d'histoires différentes. C'est l'intérêt de travailler ensemble. Ces différences doivent toujours nous amener à progresser. Nous l'avons fait pour permettre au monde ouvrier de disposer d'assurances collectives, et inventer l'Etat providence moderne. Les écologistes ont eu raison avant tout le monde sur la question environnementale, l'urgence climatique, y compris sur la nécessité de marquer des ruptures. Il faut donc penser le monde de demain à partir de l'écologie et de la planète, le penser en faisant une transition rapide, mais séquencée et organisée. La sociale-démocratie et les Verts se complètent très bien à Paris J'ai fait mienne les questions environnementales et de transition écologique. On ne peut plus penser l'économie en dehors de l'objectif de sortir d'une économie carbonée. Si on pense encore vivre dans une économie carbonée à dix ans, on est à côté de la plaque, on est dans le déni de l'urgence écologique.
Paris est un laboratoire de cette transition qui pourrait servir de tremplin à une telle coalition en 2022 ?
Paris est un lieu d'action, de pensée, de transformation, de réalisation, de débats politiques... Mais évidemment, il faut dialoguer avec tous les acteurs. La beauté d'un mandat municipal, c'est qu'on est toujours ramené au réel et si on s'en écarte, ça fait mal.
Où en est votre projet de créer une Académie du Climat ?
J'ai entendu le message des mouvements de jeunesse qui à l'image de Greta Thunberg nous demandent d'aller plus loin pour lutter contre le péril climatique. Nous devons répondre à cette angoisse en intégrant mieux les questions climatiques et la biodiversité en particulier dans l'éducation. Comment peut-on encore avoir des cursus scolaires qui du CP à la terminale font encore largement l'impasse sur le changement climatique ? Nous voulons y remédier en créant un lieu gratuit, public, pour les jeunes de 9 à 25 ans, du primaire à l'université qui sera un lieu de formation, d'échange de connaissances, en lien des scientifiques. Cette académie du climat permettra à un jeune qui viendra participer de son propre chef d'élaborer un projet. A une classe de porter un projet et d'être accompagné par exemple par un enseignant. Ou à des étudiants de venir avec un projet individuel ou collectif qui pourrait par exemple aboutir à la création d'une startup. L'académie du climat fera travailler en réseau des associations et des ONG. L'Académie du Climat ouvrira ses portes en septembre 2021, dans l'ancienne mairie du 4ème arrondissement. Il faut que les jeunes soient partie prenante de la définition du projet. On est en train d'y travailler avec Patrick Bloche, mon adjoint qui portera ce projet.
Vous avez repris l'idée de la Ville du quart d'heure. Est-ce que c'est de cette façon qu'on doit vivre après le Covid, dans son quartier ?
Le concept de "ville du quart d'heure" est une très belle idée qui consiste à marier la modernité et la proximité. Le principal problème dans les grandes métropoles mondiales vient du sentiment de gigantisme : l'anonymat, les distances, la vitesse font qu'on perd en qualité de vie et en humanité. Les Parisiens adorent que leur ville bouge, soit une métropole-monde, mais en même temps, ils aiment connaître leurs petits commerçants et savoir qu'on est à hauteur d'hommes ou de femmes dans l'hyper proximité. La ville du quart heure va humaniser les rapports et nous permettre de gagner en efficacité dans nos politiques publiques. Il faut gagner en qualité de vie dans son quartier, parce qu'on y trouve une école, des services publics et marchands, de la convivialité, y compris la capacité à discuter avec les autres habitants. Tout cela devrait avoir un effet positif et apaisant sur nos villes. Cela passe par aussi des services publics plus proches des citoyens, à l'exemple de la police municipale que j'ai enfin obtenue, ou par une direction de la santé publique très décentralisée. Dont une des fonctions sera de faire travailler ensemble les acteurs de la médecine libérale, les pharmaciens, mais aussi les services sociaux de la ville. Solidarité et proximité vont de pair, c'est aussi la leçon que nous avons tiré de cette pandémie.
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