Alors que le climat social reste tendu en France, après les récentes violences urbaines, le gouvernement a à coeur de prouver qu'il y a des espaces de dialogue. Ainsi, n'est-il pas peu fier de montrer qu'avec les syndicats, les échanges reprennent après des mois de conflits autour de la réforme des retraite, et de recul de l'âge légal de 62 à 64 ans. Sur fond de rumeur de remaniement ministériel, Matignon souligne combien cette rencontre est importante. Elisabeth Borne avait, certes, reçu les partenaires sociaux mi-mai, les 16 et 17, mais séparément. Et les discussions avaient été pour le moins froides.
La page des retraites tournée ?
Cette fois, Elisabeth Borne espère que les échanges seront plus chaleureux. Elle a pour objectif de « bâtir ensemble un nouveau pacte de la vie au travail », comme le demande Emmanuel Macron. Un thème au coeur des préoccupations du patronat et des syndicats. Ces derniers ont en effet souvent reproché au gouvernement d'obliger les actifs à rester plus longtemps en emploi, sans prendre le soin d'évoquer, au préalable, les conditions de travail, les aspirations des salariés etc.
Reste que cette rencontre risque d'être encore tendue entre les partenaires sociaux et le gouvernement. Même si tous les syndicats ont accepté l'invitation de la Première ministre, y compris Sophie Binet, de la CGT, tous entendent bien ne pas tourner la page de la réforme des retraites aussi facilement. « On a pas fait des manifestations tout l'hiver, pour que soit gommé d'un trait de crayon notre mobilisation », assure un cadre de la CFE-CGC.
Interrogée ce matin sur France Télévision, Sophie Binet, qui succède à Philippe Martinez assurait « que cette réforme n'est pas dernière nous, loin de là, car elle va s'appliquer pour des milliers de salariés dès le 1er septembre prochain avec des conséquences catastrophiques ».
Même son de cloche du côté de la CFDT. Sur le plateau de la Tribune vendredi dernier, en direct des rencontres d'Aix en Provence, Marylise Léon était dans le même état d'esprit et évoquait, elle aussi cet horizon de l'application de la réforme en septembre. Idem pour Fréderic Souillot de Force Ouvrière.
Par ailleurs, la plupart d'entre eux veulent porter la question des salaires et du pouvoir d'achat. Et regrettent que ce point ne soit pas à l'ordre du jour tandis que l'inflation reste élevée. C'est la première préoccupation des Français, et pour la majorité des syndicats, impossible de s'en tenir aux seules dispositions de la loi sur le partage de la valeur ajoutée.
De nouveaux interlocuteurs
Elisabeth Borne espère toutefois que la nouvelle composition des partenaires sociaux calmera un peu le jeu. En quelques mois, de nombreux chefs de file ont changé. Patrick Martin a été élu à la présidence du Medef la semaine dernière. Mais comme officiellement, selon les statuts, il ne prendra son mandat que le 17 juillet, c'est encore Geoffroy Roux de Bézieux qui se déplacera à Matignon, accompagné de son successeur.
A la CFDT, Marylise Léon a succédé à Laurent Berger le 21 juin dernier. Et Sophie Binet ne dirige la CGT que depuis deux mois. « Le dialogue social ce sont aussi des hommes et des femmes, avec des émotions, pas des intelligences artificielles », assurait un brin ironique Geoffroy Roux de Bézieux la semaine dernière, pour justifier la bonne relation qu'il entretenait avec ses homologues syndicaux. En sera-t-il de même entre les nouveaux ? A Matignon, on espère en tout cas, que cela permettra « de faire table rase de certaines rancoeurs ».
Rien n'est moins sûr cependant, car Sophie Binet comme Marylise Léon sont réputées plus dures en affaires que leurs prédécesseurs. Et aucun des grands chefs de file des syndicats - CFE-CGC compris- n'a envie de jouer la carte de l'apaisement ....
La loi Plein emploi, véritable irritant
Par ailleurs, la loi Plein Emploi, qui est actuellement discutée au Sénat, agit comme un puissant irritant. Tous les syndicats sont vent debout contre la volonté de la majorité d'obliger les bénéficiaires du RSA, à suivre un contrat d'engagement, qui les contraint à des heures de formation ou de travail. Cette nuit, les sénateurs ont voté deux articles clés de ce texte : l'inscription automatique des bénéficiaires du RSA sur les listes des demandeurs d'emploi ( et donc la possible radiation ) et la généralisation de ce contrat d'engagement. Surtout, les sénateurs sont allés plus loin que le gouvernement, en inscrivant une durée hebdomadaire d'au moins 15 heures d'activité. Là où l'exécutif ne souhaitait pas mettre de quotas. Pour les syndicats, ces dispositions vont précariser encore davantage les plus fragiles.
Le patronat n'est pas forcément dans un meilleur état d'esprit. Il est opposé à ce que l'Etat pioche dans les excédents de l'Unedic pour financer la création de France Travail, guichet unique qui doit remplacer Pôle emploi dès janvier 2024, selon le projet de loi. Plus de deux milliards d'euros pourraient ainsi échapper au régime de l'assurance chômage.
Enfin, les déclarations de Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, ce week-end, sur un probable report des baisses des impôts de production, dont la CVAE, inquiétant les chefs d'entreprise. Même s'ils ne sont pas une organisation représentative, conviée à Matignon, les entreprises de taille intermédiaire rassemblées dans le METI, a déjà fait savoir son mécontentement.
L'ensemble des organisations patronales sont aussi sur la défensive face à la demande unanime des syndicats de conditionner les aides publiques à des obligations de maintien dans l'emploi, de mises en place de dispositions en faveur de la transition écologique etc. « Cette idée de mettre des conditions n'est pas nouvelle, mais oui, on craint que, dans le climat actuel, les députés et même le gouvernement ne suivent cette requête », confie un membre du conseil exécutif du Medef.
Dans ce contexte, la réunion à Matignon pourrait bien tourner court. Sans attendre sa tenue ce mercredi à 10 heures, les syndicats ont d'ores et déjà prévu de se retrouver fin août, en intersyndicale, pour discuter de la rentrée sociale. Ils n'excluent pas de nouvelles grèves et journées d'action.