Gaza : Rafah en proie à une interminable attente

Dans la ville palestinienne, les déplacés et les habitants craignent une énième évacuation par l’armée israélienne, sans savoir où aller.
Campement de Palestiniens près de la ville de Rafah, le 26 avril.
Campement de Palestiniens près de la ville de Rafah, le 26 avril. (Crédits : © LTD / MOHAMMED ABED/AFP)

Ils attendent les tracts largués par des avions. Ou un appel téléphonique. Au bout de la ligne, comme cela a déjà été le cas plusieurs fois, un message enregistré de l'armée israélienne leur annoncera : « Vous êtes dans une zone de guerre dangereuse, vous devez partir. » Alors, Mohamed et sa famille partiront. « On suivra les ordres », assure cet ancien agent de change de 36 ans qui préfère ne pas donner son nom de famille. Arrivés à Rafah il y a six mois, Mohamed, son épouse et leurs trois enfants ont déjà été déplacés cinq fois depuis le 7 octobre. « Qu'est-ce qu'on peut faire d'autre ? » demande le père de famille, qui avoue ne plus savoir comment décrire les sentiments qui l'habitent.

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Depuis plusieurs semaines, le gouvernement israélien le répète : il va lancer une offensive au sol sur Rafah. Pour Benyamin Netanyahou, seul un assaut contre cette ville à l'extrême sud de la bande de Gaza, collée à la frontière égyptienne, permettrait d'éliminer les derniers combattants du Hamas et de récupérer certains des 132 otages. Alors que le cabinet de guerre israélien s'est réuni jeudi pour discuter des préparatifs de l'offensive, l'opération serait imminente selon plusieurs médias israéliens et américains.

« On veut juste retourner chez nous »

Avant la guerre, 250 000 Gazaouis habitaient la ville. Aujourd'hui, 1,4 million s'y entassent dans des appartements ou sous des tentes de fortune. Mohamed a monté la leur sur un trottoir, recouvrant une structure en bois de bâches en matière plastique. « On ne veut pas bouger à nouveau, lâche-t-il. On n'est pour rien dans cette guerre, on voudrait juste retourner chez nous, même s'il n'y a plus qu'une carcasse. » De leur appartement de Gaza, il ne reste que la vidéo d'un amas de gravats.

La vague de chaleur de ces derniers jours, avec une température de 39 degrés, a exacerbé les tensions sous la tente familiale et la sensation que leur vie leur échappe définitivement. « Je n'arrive plus à élever mes enfants, reconnaît Mohamed. Je suis obligé de les laisser sortir dans la rue, car c'est invivable sous les bâches. On est tous épuisés. »

Pour se calmer, Fadi Selmi, lui, marche des heures dans la journée. Le restaurant Alqalaa qu'il possédait à Gaza, et dont la terrasse contemplait fièrement la mer, a été pulvérisé. Aujourd'hui, l'homme d'affaires vit dans un appartement à Rafah avec son père, ses frères et sœurs et leurs familles respectives - 22 personnes, dont 9 enfants, dans trois pièces. « Nous n'avons plus aucune intimité, plus de vie conjugale, alors parfois je reste dehors jusqu'à la nuit, avoue-t-il. Je rentre seulement pour dormir. »

450 000 déplacés selon l'UNRWA

En prévision de l'offensive, Fadi et son père devaient se rendre hier dans la zone du village d'Al-Mawasi. « On va voir si on trouve un logement ou un bout de terrain où installer quelques tentes, explique-t-il. On ne veut pas être obligés d'évacuer au dernier moment. »

Entre Rafah et Khan Younès, l'étroite bande de terre côtière d'Al-Mawasi, mélange de dunes et de terres agricoles, accueille déjà 450 000 déplacés selon l'UNRWA, l'office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. Depuis le début des représailles aux attaques du Hamas, les autorités israéliennes ont plusieurs fois appelé les Gazaouis à s'y rendre. Le ministère de la Défense a récemment commandé près de 40 000 tentes, dont une partie destinée à Al-Mawasi, qu'il qualifie de « zone humanitaire ».

Cet endroit ne dispose pas d'infrastructures pour une telle population

Juliette Touma, UNRWA

« Ce n'est pas une zone humanitaire, rétorque Juliette Touma, directrice de la communication de l'UNRWA. Cet endroit ne dispose pas d'infrastructures pour une telle population. » Pas de magasins, pas de centres de santé. Pas d'installations sanitaires suffisantes. La zone a même été bombardée plusieurs fois. « Les lois internationales stipulent que délimiter une zone comme "sûre" se fait en accord avec toutes les parties au conflit, ajoute la responsable onusienne depuis Amman. Aucune partie ne peut le décréter de manière unilatérale. De toute façon, personne n'est en sécurité à Gaza. »

Mais où aller ? Et comment ? Les ONG humanitaires s'alarment d'un plan d'évacuation d'une population déjà fragilisée par les déplacements et des conditions de vie à la limite du supportable. En dehors d'Al-Mawasi, des localités comme Khan Younès sont tellement détruites que les décombres empêchent l'installation de services de base ou de campements.

Les photos de famille sont ensevelies

C'est pour cela que Haneen Al-Samak et sa famille ont décidé de ne pas attendre pour trouver un toit en dehors de Rafah. Depuis un mois et demi, cette consultante pour les questions de handicap, son mari et leurs trois filles vivent dans une petite épicerie désertée à Al-Zawaida, au nord de Deir Al-Balah. Une pièce nue, un seau pour toilettes, des souris qui les défient puis déguerpissent, mais un lieu pour eux seuls où retrouver de l'intimité familiale après des appartements partagés.

Depuis plusieurs semaines, Haneen Al-Samak intervient auprès des déplacés ou de futurs déplacés. Elle essaye ainsi de préparer des habitants de Rafah à quitter leur logement pour la première fois. La volontaire sait ce que veut dire fuir dans la confusion, en emportant le strict minimum, persuadée de pouvoir revenir très vite. « Mes enfants m'en veulent toujours, reconnaît-elle. Je n'ai pas voulu prendre les affaires de foot et de karaté d'une de mes filles, l'ordinateur de l'autre. J'ai laissé mon vêtement traditionnel palestinien aussi. » Les photos de famille sont ensevelies dans les décombres de leur appartement. Pendant la deuxième évacuation, sa bague de mariée s'est perdue, et les sacs de farine, si précieux, n'ont pu être emportés.

« Partir rapidement sans savoir où on va engendre un énorme stress, de la nervosité, une extrême fatigue, raconte Haneen Al-Samak. Pour y faire face, je fais des séances avec des déplacés pour leur apprendre à respirer, à se détendre. » Celle qui ne pleure plus et a déjà croisé la mort quatre fois lors de bombardements - dans l'immeuble d'à côté, l'appartement voisin, la rue où elle conduisait et celle où elle marchait - tente de les amener vers des « pensées positives » : « Être toujours en vie donne aussi parfois de la force et le pouvoir de croire à l'avenir. »

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