« Le Rwanda va devenir un hub santé pour tout le continent africain » (Sabin Nsanzimana, ministre de la Santé)

Le pays qui a préservé sa stabilité politique depuis le génocide perpétré par l'Etat contre les Tutsis en 1994 concentre désormais ses efforts sur la santé. La part des budgets publics consacrés à la santé, qui s'établit actuellement à 17 %, passera à 20 % en 2027, voire davantage. Le gouvernement entend implémenter un écosystème performant de la santé numérique, comme en atteste le projet de cité de la santé (Kigali Health City) sur 100 hectares en périphérie de la capitale. Sabin Nsanzimana, ministre de la Santé du Rwanda, répond aux questions de La Tribune.
Avec son projet Quatre par quatre, Sabin Nsanzimana, ministre de la Santé du Rwanda, entend accélérer la formation des soignants dans le pays : quatre fois plus de personnels en quatre ans.
Avec son projet "Quatre par quatre", Sabin Nsanzimana, ministre de la Santé du Rwanda, entend accélérer la formation des soignants dans le pays : quatre fois plus de personnels en quatre ans. (Crédits : Olivier Mirguet)

LA TRIBUNE - Le gouvernement du Rwanda a annoncé cette année une importante progression de ses investissements dans la santé publique, assortie d'une augmentation des effectifs soignants. Comment entendez-vous mettre en place cette réforme ?

SABIN NSANZIMANA - Le personnel soignant représente une personne en activité pour 1000 habitants au Rwanda. C'est quatre fois inférieur aux minima établis par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le 13 juillet, nous avons présenté la stratégie spéciale du gouvernement qui va permettre de multiplier par quatre le nombre de médecins, d'infirmiers et de sages femmes en seulement quatre ans. Notre projet s'appelle "Quatre par quatre". La situation qui prévaut avec un seul soignant disponible pour 1.000 habitants n'est pas spécifique au Rwanda. Elle apparaît dans la quasi-totalité des pays d'Afrique. Dans les pays développés, on va jusqu'à 20 soignants pour 1.000 habitants. Il nous reste un long chemin à parcourir.

Comment pouvez-vous combler un tel manque ?

Nous allons ouvrir de nouvelles écoles, créer des partenariats spéciaux pour former quatre fois plus de chirurgiens. Après le Covid, nous avons réalisé que le peu de médecins dont nous disposions avaient passé une période très compliquée. Certains ont connu des complications au péril de leur propre vie. Il faut commencer par établir des spécialités qu'on n'a pas, dans la chirurgie cardiaque et le cardio-vasculaire, la transplantation rénale, et nous donner les moyens de traiter les cancers qui augmentent. Le projet "Quatre par quatre" inspire déjà de multiples partenaires : les écoles privées qui forment les médecins, l'église catholique qui dirige des écoles où l'on forme les sages-femmes.

Quels sont vos moyens pour financer un tel effort ?

Il y aura différentes sources de financements. La part du budget public consacré à la santé s'établit cette année autour de 17 %. Elle doit passer à 20%, voire davantage. On réalise déjà qu'il y a des inefficiences, et on tente de les corriger. Des écoles privées qui forment des personnels soignants possèdent des espaces, des infrastructures, mais n'accueillent pas assez d'étudiants. Certaines ne tournent qu'à 20% de leur capacité. Les bourses précédemment réservées aux écoles publiques seront rendues accessibles pour les écoles privées. Les églises se concertent avec à leurs partenaires et on voit se former un esprit de solidarité. L'Unicef se montre intéressé par la formation des pédiatres et des sages femmes. L'Ircad s'implante à Kigali pour former des chirurgiens.

Quelles mesures préconisez-vous pour rendre plus attractifs les métiers de la santé, dans toutes les provinces du Rwanda ?

L'accès au logement fait partie des mesures pour attirer du personnel dans les zones reculées. Dans les hôpitaux, en milieu rural, il faut construire des maisons pour héberger les médecins et les personnels soignants, avoir des cuisines collectives. Cela aura un prix, mais le secteur privé est prêt à investir pour construire ces maisons. L'accès au transport sera déterminant. Le vendredi et le lundi, les hôpitaux peuvent organiser des transports pour ceux qui désirent aller voir leur famille à Kigali.

Le Rwanda est l'un des rares pays africains en conformité avec le troisième objectif de développement durable de l'Organisation des nations unies, qui préconise une couverture sanitaire universelle pour toute la population. Comment l'avez-vous financée ?

Il n'existe pas de modèle unique pour financer la couverture sociale et le secteur de la santé. C'est un mélange de plusieurs projets partenariaux, d'initiatives publiques et privées. Nous avons eu besoin de 5 millions de dollars pour élaborer un plan d'élimination de l'hépatite C, en tests et en médicaments. En favorisant une action très rapide, sur quatre ans, cette campagne a coûté beaucoup moins cher. Au départ, les tests et les traitements étaient facturés 1.000 dollars par les industriels pharmaceutiques. Quand le président Paul Kagame et mon prédécesseur au ministère de la Santé ont approché les fabricants, le prix a chuté à 100 dollars. La campagne de détection a été bouclée en trois mois sur sept millions de personnes dans tout le pays. A l'époque, 4 % de la population vivait avec l'hépatite C. Quand nous avons répété la même étude à l'issue de la campagne, l'incidence était tombée 0,39 %. Nous travaillerons de la même façon sur le cancer du col de l'utérus, le deuxième cancer qui tue au Rwanda. Avec le vaccin et le traitement, on va le supprimer.

Le Rwanda apparaît excessivement exposé à la mortalité maternelle et infantile. Comment entendez-vous combattre ce fléau ?

La mortalité maternelle s'établit à 203 décès pour 100.000 naissances. On a établi un objectif de réduction à 70 décès pour 100.000 naissances, conforme avec l'objectif de l'OMS pour 2030. Au Rwanda, on va le faire en quatre ans. C'est une urgence. La plupart des mamans meurent pendant la prise de décision ou au cours de l'évacuation vers un grand centre hospitalier. Il n'y a pas assez de gynécologues dans notre pays. Ils sont environ 35. Former les gynécologues prendrait quatre ans au moins. On va donc apprendre aux médecins à faire la même chose, dans nos 500 centres de santé. Ils pourront réaliser une césarienne, de la chirurgie de base.

Le secteur du numérique a été érigé en priorité par le président du Rwanda Paul Kagame. Le numérique peut-il contribuer à votre politique de santé ?

Les avancées sont déjà intéressantes. On a fait tester des technologies numériques combinées à l'intelligence artificielle dans l'imagerie médicale. Les résultats sont envoyés immédiatement sur les téléphones portables des patients.

L'installation de l'Ircad dans le quartier de Masaka, à Kigali, a mobilisé 24 millions d'euros de fonds publics rwandais. Quels sont vos autres projets dans ce nouveau quartier qui émerge à l'Est de la ville ?

Nous construisons la Kigali Health City, la ville de la santé, sur 100 hectares. Les implantations arrivent très vite. La première unité, l'Ircad, a été inaugurée le 7 octobre. On y formera 1.000 chirurgiens par an. Notre plus grand hôpital universitaire, avec plus de 800 lits, viendra s'installer à côté de l'Ircad. Il y aura aussi un centre de recherche et de chirurgie cardiaque. Le laboratoire BioNTech va inaugurer en décembre la première usine de production de vaccins à ARN messager pour tout le continent africain. D'autres laboratoires pharmaceutiques suivront, ainsi que l'agence africaine du médicament. Kigali Health City va devenir un hub de la santé pour tout le continent africain.

Commentaires 3
à écrit le 17/10/2023 à 13:03
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Ben en France, l'État continue de sabrer les moyens et ressources à accorder à la santé publique. Ainsi, dans quelques années, le Rwanda n'aura plus rien à envier à la France dans ce domaine.

le 17/10/2023 à 17:22
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"dans quelques années" seront nous encore là?

à écrit le 17/10/2023 à 8:29
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Si vous voulez retrouver la santé débarrassez vous enfin des occidentaux et des orientaux mais pour ça faut vous débarrasser de vos dirigeants corrompus, pas de donneur de leçon hein, vu qu'en UE nous en sommes exactement au même point sauf que les n...

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