A Kigali, un campus médical relance la diplomatie franco-rwandaise

L'Ircad, institut strasbourgeois de recherche et de formation en chirurgie mini-invasive, s'implante à Kigali pour former des chirurgiens africains. Le campus établi à la demande du président Paul Kagame a mobilisé 35 millions d'euros d'investissements. Objectif : démocratiser des appareillages et des protocoles médicaux qui promettent une guérison plus rapide des patients.
A Kigali, les formateurs de l'Ircad entraînent à leurs confrères africains aux techniques de la chirurgie mini-invasive et à l'utilisation de la robotique dans le bloc opératoire.
A Kigali, les formateurs de l'Ircad entraînent à leurs confrères africains aux techniques de la chirurgie mini-invasive et à l'utilisation de la robotique dans le bloc opératoire. (Crédits : Olivier Mirguet)

L'Ircad (Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif) a ouvert le 7 octobre à Kigali, capitale du Rwanda, son premier centre de formation en chirurgie mini-invasive sur le continent africain. Les enseignements seront dispensés par une communauté de 800 experts internationaux, praticiens et chercheurs. L'Ircad Africa déploiera ses formations dans toutes les spécialités de la chirurgie mini-invasive ou laparoscopique (une technique d'endoscopie médicale utilisée pour le diagnostic ou l'intervention chirurgicale sur la cavité abdominale). Au rythme de 1.000 chirurgiens par an, les technologies enseignées seront mises en œuvre dans les hôpitaux africains pour soigner des affections gynécologiques, effectuer des résections d'organes ou l'ablation de tumeurs.

La construction de ce bâtiment moderne paré de pierres volcaniques, sur 12.000 mètres carrés en périphérie de Kigali, a mobilisé un investissement de 25 millions de dollars (24 millions d'euros), financé par l'Etat rwandais. « La technologie peut offrir des effets multiplicateurs et je remercie l'Ircad d'avoir pris le risque de s'implanter au Rwanda », a déclaré Paul Kagame, président du Rwanda, devant 200 chirurgiens et partenaires invités à la cérémonie d'inauguration.

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Avec son arsenal high tech, contrôles d'accès par empreinte digitale, écrans géants et endoscopes dernier cri, le campus africain n'a rien à envier aux hôpitaux occidentaux les plus modernes. De larges baies vitrées offrent une vue panoramique sur l'une des vallées verdoyantes de ce pays aux 1.000 collines. Au premier étage, dans le bloc opératoire, l'Ircad Africa a installé 16 tables d'opération. L'amphithéâtre est surmonté d'un dôme qui lui confère l'allure d'un volcan. Plus loin, dans les salles informatiques, une douzaine d'ingénieurs en imagerie médicale et en intelligence artificielle imaginent un dispositif de suivi de grossesse pour les femmes africaines.

Le ministère de la Santé du Rwanda a demandé qu'il soit accessible à la population pour moins de 10 dollars. Le matériel offert par les industriels fournisseurs de l'Ircad (Pentax, Medtronic, le fabricant d'endoscopes Karl Storz) englobe toutes les technologies de la robotique chirurgicale et de l'imagerie médicale, pour une valeur de 12 millions de dollars (11 millions d'euros).

Le rôle central de Paul Kagame

Dans ce pays meurtri après le génocide perpétré contre les Tutsi, qui a fait 800.000 morts au printemps 1994, Paul Kagame a revendiqué son appétence pour les nouvelles technologies dès son accession au pouvoir il y a 23 ans. Il endosse désormais le rôle de partenaire de l'Ircad, l'institut strasbourgeois qu'il a invité dès 2017 à s'implanter à Kigali. Lancé dès 2018, le chantier ralenti par la crise sanitaire du Covid n'a été bouclé qu'en octobre 2023. « Nous avons voulu investir le peu d'argent dont nous disposions dans l'alimentation, la santé mais également dans les nouvelles technologies, qui couvrent l'ensemble », a rappelé Paul Kagame en référence à ses premières années au pouvoir. « Ce programme de formation à la chirurgie mini-invasive affectera la vie de la population de façon très positive », juge Paul Kagame.

« L'implantation de l'Ircad Africa représente une nouvelle étape dans les relations diplomatiques entre Paris et Kigali », observe un diplomate français en poste en Afrique. « Les relations entre les deux pays ont été très compliquées depuis 1994 et depuis l'arrivée au pouvoir de Paul Kagame. Elles se sont un peu réchauffées après la visite d'Emmanuel Macron à Kigali, en mai 2021, suivie un mois plus tard par le retour de l'ambassadeur français », rappelle cette même source diplomatique. Le poste d'ambassadeur à Kigali est demeuré inoccupé pendant six ans, jusqu'en 2021, en raison des tensions sur le rôle joué par Paris dans le génocide. En mars 2021, une commission d'historiens présidée par François Duclert a reconnu les « responsabilités lourdes et accablantes » de la France dans le génocide des Tutsi, qualifiant le soutien de l'Elysée aux génocidaires de « faillite d'une histoire française ».

Diplomatie et expansion internationale

Rejetant malicieusement toute velléité diplomatique, le chirurgien Jacques Marescaux, fondateur et président de l'Ircad, souligne l'intérêt médical et scientifique d'une nouvelle croissance internationale. Le Rwanda ne constitue pas la première extension de cet institut de chirurgie, fondé en 1994 au sein des Hôpitaux universitaires de Strasbourg. L'Ircad s'est doté d'instituts jumeaux à Taiwan (2008), au Brésil (2011 et 2017), au Liban (2019) et bientôt en Chine, aux Etats-Unis et en Inde, en partenariat public-privé. « Quand Paul Kagame est venu nous demander en 2017 d'ouvrir l'Ircad à Kigali, j'ai été sceptique. Ce président, que je qualifie maintenant de visionnaire, a fait de la santé une priorité nationale et nous sommes tombés sous le charme », s'enthousiasme Jacques Marescaux. Le budget initial pour la construction de l'Ircad Africa, estimé entre 9 millions d'euros et 13 millions d'euros en 2018, a triplé au terme d'un chantier conçu par l'architecte strasbourgeois Patrick Schweitzer, et réalisé à Kigali par des prestataires chinois.

Le modèle économique de l'Ircad s'établit sur les contributions des chirurgiens qui viennent en formation et sur l'apport versé des partenaires industriels. A Strasbourg, des formations de cinq jours sont facturées entre 3.000 et 4.000 euros, « loin de couvrir nos coûts réels » selon Jacques Marescaux. Le modèle financier a été encore assoupli avec l'Afrique, où l'Agence française de développement (AFD) accorde une subvention de 200.000 euros pour l'accueil de praticiens de tout le continent. L'Ircad fera régulièrement appel à des dons de matériel et attend une dotation de l'Etat rwandais, financière et en ressources humaines, afin d'équilibrer ses premiers exercices. L'industriel Medtronic (32 milliards de dollars de chiffre d'affaires), inventeur du stimulateur cardiaque externe portatif et implantable, met à disposition du matériel médical à usage unique pour 2 millions d'euros par an. « Pour nous, c'est un investissement génial », s'exclame Jacques Marescaux.

Avec des technologies et des équipements similaires à ceux déployés dans ses autres instituts, et avec son centre de recherche (12 ingénieurs) en imagerie et en intelligence artificielle, l'Ircad revendique le leadership dans sa spécialité en Afrique. Sur place, les formateurs estiment que les prestations offertes à Kigali propulsent le Rwanda « au-delà de l'Afrique du Sud, l'autre pays expert de la chirurgie sur le continent ».

Limiter les infections

Dans ce pays de 12 millions d'habitants, où les dépenses de santé n'excèdent pas 125 dollars par an et par personne selon l'OMS, l'irruption d'une chirurgie high tech peut paraître incongrue. « Elle ne l'est pas parce qu'elle limite les risques d'infection et permet le retour au travail plus rapide des patients opérés », corrige Jacques Marescaux. « La chirurgie mini-invasive est apparue en Europe à la fin du vingtième Siècle, mais il ne s'est pas passé grand chose en Afrique pendant les vingt premières années », rappelle Olujimi Coker, chirurgien à Lagos (Nigeria) et formateur à l'Ircad. « 70 % des patients atteints de cancers sont encore opérés à un stade 4 trop tardif. 93 % des praticiens en Afrique se déclarent intéressés par la chirurgie mini-invasive pour réaliser une résection de la vésicule biliaire ou une appendicectomie. Mais des freins persistent dans la formation et l'équipement des hôpitaux », analyse Olujimi Coker.

A Kigali, l'Ircad se contentera de former les chirurgiens sans opérer aucun patient. Plusieurs hôpitaux sont en cours de construction dans son voisinage, sur les 100 hectares en devenir du « campus de la santé » de Kigali Health City imaginé par Paul Kagame. Le centre hospitalier universitaire en cours de déménagement et une nouvelle unité spécialisée en cardiologie, pourront bientôt s'approprier ses technologies. Dans ce pays où plus de 90 % de la population bénéficie d'une couverture sanitaire universelle d'après l'Association internationale de la sécurité sociale (AISS), « la part du budget de l'Etat consacrée à la santé passera 17 % en 2023 à 20 % en 2027 » selon le ministre de la Santé Sabin Nsanzimana.

A la recherche de revenus complémentaires pour équilibrer son budget de fonctionnement, l'Ircad envisage de construire un hôtel au cœur de la future Kigali Health City. A Strasbourg, le filon de l'hospitalité s'avère payant. L'institut exploite depuis 2013 l'hôtel et le restaurant des Haras, où il accueille les chirurgiens en cours de formation. Louées jusqu'à 460 euros en haute saison, les chambres ne désemplissent plus.

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