Le spectre d’un « rideau de fer » plane sur l’Arctique, un espace hautement stratégique

Avec les sanctions contre les marchandises russes et l’élargissement de l’OTAN en Scandinavie, les points de friction ne manquent pas entre les pays occidentaux présents en Arctique et la Russie. A l’arrêt forcé, les instances de coopération dans la région subissent cette glaciation des relations. Après trente ans de paix et de multilatéralisme dans le Grand Nord, les grandes puissances lorgnent l’Arctique pour ses immenses ressources et sa localisation stratégique. Décryptage.
La guerre en Ukraine redessine les rapports de force dans l'Arctique.
La guerre en Ukraine redessine les rapports de force dans l'Arctique. (Crédits : NASA)

Sur le rivage septentrional de la Norvège, 20 tonnes de marchandises expédiées depuis la Russie ont été bloquées pendant plusieurs semaines au poste-frontière russo-norvégien de Storskog. Sa destination finale : une cité de mineurs russes à ravitailler sur le chapelet d'île du Svalbard en Arctique. De quoi provoquer le courroux de Moscou. Comme il l'a fait vis-à-vis de la Lituanie au sujet de l'enceinte de Kaliningrad, le ministère des Affaires étrangères russe a brandi la menace de « représailles » après ce qu'il considère être une « action inamicale ». Un temps inflexible en invoquant le strict respect des sanctions de l'UE contre la Russie pour justifier le blocage des marchandises, Oslo a fini par autoriser le transit du conteneur par un port sur sa côte arctique.

Bien que réglée, l'affaire traduit les relations désormais glaciales entre les puissances occidentales présentes autour de l'Arctique (Scandinavie et Amérique du Nord) et la Russie marginalisée dans le grand Nord depuis l'invasion de l'Ukraine. Par ricochet, la guerre entre la Russie et l'Ukraine est venue rompre l'architecture fragile de coopération construite dans les années 1990. Au plus fort des tensions Est-Ouest, l'Arctique était un point chaud de la Guerre froide, ultra-militarisé et équipé d'ogives nucléaires. Et puis la politique pacifique de Mikhaïl Gorbatchev qui appelait dès 1987 à ce que « l'Arctique, devienne une zone de paix » puis l'effondrement de l'URSS en 1991 avaient détendu les relations au nord du 66ème parallèle. Ce réchauffement diplomatique avait abouti à la création en 1996 du conseil de l'Arctique où se concertent les huit pays qui bordent la région (Canada, Etats-Unis, Danemark, Islande, Finlande, Suède, Norvège et Russie) et les populations autochtones qui l'habitent.

Le spectre d'un nouveau « rideau de fer »

Le dit conseil a suspendu sine die ses activités après que les chars russes aient violé la frontière ukrainienne. Avant de reprendre quelques semaines plus tard en écartant la Russie de ses projets. « Les institutions comme le conseil de l'Arctique ont été conçues en période de paix dans une logique de coopération a minima sur des sujets consensuels autour des peuples autochtones, des sujets climatiques et environnementaux. Rien n'est prévu en cas de boycott d'un Etat. Le risque est de voir un rideau de fer s'abattre entre d'un côté les sept Etats occidentaux qui veulent travailler ensemble et de l'autre la Russie », analyse Florian Vidal, chercheur associé à l'IFRI (Institut français des relations internationales). Ce spécialiste de la région y voit la fin de « l'exception arctique » des trente dernières années. Une parenthèse qui voulait que l'Arctique demeure comme l'espace une zone de coopération à l'abri des conflits qui secouent le reste du monde.

Ces antagonismes autour du pôle Nord ne sont pas si nouveaux. L'onde de choc de l'annexion de la Crimée et de la (première) guerre dans le Donbass s'était déjà propagée jusqu'aux confins nordiques du globe. Depuis 2014, la Russie y a modernisé ses infrastructures militaires datant de la Guerre froide et sa flotte du Nord, décidée à pousser son avantage sur la banquise alors que les exercices de l'OTAN s'y multiplient. L'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Alliance devrait accroître la militarisation du cercle polaire, qui offre une position géographique idéale pour intercepter ou tirer des missiles, à courte distance des grands pays de l'hémisphère Nord. Au temps de l'équilibre de la dissuasion nucléaire, URSS et Otan prévoyaient que les trajectoires respectives de leurs missiles passe par l'Arctique pour un temps de vol réduit. « La militarisation de l'Arctique reste loin de ce qu'elle était au paroxysme de la Guerre froide », tempère Florian Vidal. L'heure est toutefois au retour des puissances dans la zone.

Convoitises des grandes puissances

Riverains de l'océan Arctique grâce à l'Alaska, les Etats-Unis accordent une importance croissante à l'Arctique. En 2019, Donald Trump s'était même porté acquéreur du Groenland auprès des autorités danoises... qui avait qualifié l'offre d' « absurde ». Plus sérieusement, l'état-major de l'Armée américaine a publié en 2021 un document dans lequel il expose sa stratégie pour « retrouver la domination de l'Arctique » présentée comme une « zone de rivalité entre grandes puissances » dont « la Chine et la Russie » aux dépens des intérêts américains.

Les ressources arctiques suscitent autant leur convoitise que son intérêt militaire. Le sous-sol recèle d'immenses réserves de gaz et de pétrole essentiellement. Les richesses minières y sont colossales, qu'il s'agisse de l'or, du platine, des diamants, du titane ou encore des terres rares indispensables aux matériaux électroniques et aux batteries électriques. Le Pentagone chiffre les réserves minières arctiques à 1000 milliards de dollars. « La Russie qui possède plus de 50% de la façade arctique reste le principal pays à exploiter ces ressources, avec le Canada qui dispose d'un important secteur minier », rappelle Florian Vidal.

Le réchauffement climatique dévoile par ailleurs de nouvelles ressources, « essentiellement halieutiques (issues de la pêche) » considère Florian Vidal. Les eaux internationales de l'océan arctique vont s'ouvrir à la pêche lorsqu'elles seront libres de glace dans quelques décennies. Un accord signé en 2018 entre l'Union européenne, les huit Etats du conseil de l'Arctique, la Chine, le Japon et la Corée du Sud acte l'interdiction de la pêche  commerciale dans les eaux internationales du centre de l'océan Arctique. L'accord s'avère peu utile tant que les glaces obstruent cet océan, mais illustre l'appétit des grandes nations.

La fonte des glaces dégage une nouvelle route maritime par le Nord. Si elle est encore peu empruntée du fait des contraintes bureaucratiques qu'exige la Russie, des assurances et de l'équipement spécifique requis pour les bateaux, son ouverture progressive pendant l'été va réorienter les flux du commerce mondial. Se rendre de Shanghai à New-York en porte-conteneurs par la route du Nord prend sept jours de moins que par le canal de Panama. Les modèles climatiques annoncent des étés libres de glace en Arctique pour 2050. La carte de l'Arctique n'a pas fini de se redessiner.

Commentaire 1
à écrit le 07/07/2022 à 10:51
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On veut la guerre, on finira bien par l'obtenir...

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