
Au lendemain de la publication d'une étude dans la revue « Nature » sur les « incendies zombies » en Arctique - qui couvent sous la neige pendant tout l'hiver et repartent au printemps à cause du réchauffement -, les projections, déjà alarmantes, s'assombrissent encore un peu plus pour la région. Car, selon un rapport du Programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique (AMAP), rendu public le 20 mai, la zone entourant le pôle Nord se réchauffe trois fois plus vite que le reste de la planète.
« L'Arctique est véritablement un point chaud du réchauffement climatique », a ainsi alerté Jason Box, glaciologue au Service géologique du Danemark et du Groenland, à l'occasion de la réunion ministérielle du Conseil de l'Arctique qui rassemble à Reykjavik cette semaine les Etats-Unis, la Russie, le Canada, l'Islande, le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède.
Et ce phénomène en entraîne un autre, lucratif pour quelques-uns : la région est aussi devenue un point chaud géopolitique, où les intérêts charognards des Etats vont parfois à rebours des objectifs environnementaux ambitieux qu'ils se sont fixés. Nouvelles zones de pêche, routes maritimes dégagées, ou encore meilleur accès à de potentielles ressources pétro-gazières... Certains pays voient en effet dans le recul de la banquise des opportunités économiques majeures.
A l'image de la Chine qui, si elle n'a qu'un statut d'observateur dans le forum organisé cette semaine, ne cache pas son intérêt pour ce vaste territoire. Ou encore la Russie - occupant plus de la moitié de l'espace côtier arctique, et tirant déjà 10% de son PIB de ses matières premières -, satisfaite du développement stratégique d'une route commerciale maritime reliant Europe et Asie, plus praticable grâce à la hausse des températures. Moscou avait d'ailleurs martelé lundi que l'Arctique était « sa zone d'influence » et défendu son droit à la défendre, mettant en garde l'Occident contre ses ambitions sur ces terres.
Un premier plan stratégique
De quoi pousser les dirigeants des pays concernés à s'unir contre des tensions commerciales aux conséquences désastreuses pour la planète.
« La compétition stratégique qui caractérise l'Arctique attire l'attention du monde mais sa marque de fabrique doit demeurer la coopération pacifique [...] Nous nous engageons à promouvoir une région où la coopération l'emporte en matière de climat, d'environnement, de science et de sécurité », a ainsi déclaré lors de la conférence le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, au moment où les Etats-Unis espèrent revenir sur le devant de la scène dans la lutte contre le réchauffement.
Si les questions militaires ne sont pas du ressort du Conseil de l'Arctique, la Russie y a proposé une concertation entre chefs d'état-major des huit pays riverains - impossible car les contacts militaires avec la Russie sont « gelés » depuis l'annexion de la Crimée en 2014. Antony Blinken, qui a rencontré mercredi le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors d'un premier face-à-face qualifié de « constructif » par les deux pays, a mis l'accent sur la « coopération » avec Moscou et les autres pays membres, plutôt que sur les tensions.
En 2019, c'est le climato-scepticisme de l'administration Trump - et sa proposition cavalière de racheter le Groenland - qui avait pour la première fois empêché une déclaration commune du Conseil (créé il y a 25 ans), les Etats-Unis refusant d'y voir figurer le changement climatique. Cette fois, la déclaration commune a été adoptée sans accroc, ainsi que, et c'est une première, un « plan stratégique » pour les dix prochaines années.
Entre 3,3 et 10 °C de plus d'ici à 2100
Car les enjeux sont colossaux. En moins d'un demi-siècle, de 1971 à 2019, la température moyenne annuelle y a grimpé de 3,1°C, quand la Terre se réchauffait au même moment de 1°C. Une poussée du thermomètre plus rapide que celle anticipée - la précédente actualisation, en 2019, indiquait que le réchauffement atteignait « plus du double de la moyenne mondiale ».
Et ce rythme déconcertant est loin de s'essouffler, puisque, selon les projections citées par le rapport, les températures moyennes de l'Arctique devraient, d'ici à la fin du siècle, grimper entre 3,3°C et 10°C au-delà de leur moyenne sur la période 1985-2014 (le chiffre exact dépendant du volume des futures émissions de gaz à effet de serre).
D'autant que chaque fraction de degré supplémentaire compte : les probabilités pour que la banquise, emblématique de cette zone de la planète, disparaisse totalement l'été sont dix fois plus élevées si la température sur Terre augmente de 2°C, plutôt que de 1,5°C, comme prévu par l'Accord de Paris. A cet égard, un point de bascule s'est produit en 2004, estiment les chercheurs, avec un bond encore largement inexpliqué du thermomètre au-dessus du cercle polaire. Après quoi le réchauffement s'y est poursuivi à un rythme 30% plus élevé qu'avant.
Elevation du niveau des mers
Les conséquences sont multiples : modification de l'habitat, migration de certaines espèces... et perturbation du mode de vie des 4 millions de personnes qui vivent sous ces latitudes, dans leurs déplacements à traîneaux et leurs pratiques de pêche. Sans compter les feux de forêts incontrôlables, devenus récurrents de la Sibérie à la Suède, en passant par l'Alaska.
Surtout, les effets dépassent les frontières de la zone : la fonte de centaines de milliards de tonnes de glace chaque année au Groenland, par exemple, se traduit par une élévation du niveau des mers qui met en péril des populations à des milliers de kilomètres de là.
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