Pour l’Alsace, l’Allemagne est restée une locomotive économique

Surprise par l’accélération de l’histoire après 1989, la région frontalière du Rhin a tiré parti des bonnes relations avec l’Allemagne et préservé sa dynamique malgré la concurrence venue de l’Est.
(Crédits : Olivier Mirguet)

Trois décennies après la chute du mur de Berlin, l'Alsace a  perdu la place centrale qu'elle estimait occuper dans la géographie européenne et du fait des investissements étrangers dans son industrie. Les implantations de multinationales américaines (General Motors, Lilly) ou japonaises (Sony, Ricoh) entre les années 1960 et 1980 n'ont plus connu d'équivalents. La notion de « cœur du marché » a basculé plus loin vers l'Est. Pour Daniel Hoeffel, ancien sénateur et président centriste (1979-1998) du conseil général du Bas-Rhin, la chute du Mur le 9 novembre 1989 « portait en elle les germes d'une double faiblesse : celle d'une Europe élargie trop rapidement et celle de l'affaiblissement de la construction européenne ». Un constat amer.

En Alsace, région traditionnellement ouverte à la collaboration économique avec l'Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les élus n'avaient pas vu venir cette accélération soudaine de l'histoire. « Les choses se sont passées trop vite. Les inquiétudes sont venues après », confirme Jean-Marie Bockel, fraîchement élu en 1989 à la mairie de Mulhouse. Dans sa commune jumelée avec Karl-Marx-Stadt, la ville est-allemande qui allait redevenir Chemnitz, il a vécu la chute du Mur comme « une bonne nouvelle pour le couple franco-allemand. C'était un peu naïf ».

Un bon niveau d'activité

Dans les années suivantes, l'Allemagne allait en effet se retourner vers ses nouveaux Länder en ex-RDA. Avec ses salariés qualifiés mais une nouvelle génération de moins en moins bilingue, et malgré le différentiel favorable du coût de l'emploi maintenu dans les années 1990, la région a perdu de sa superbe. L'Alsace s'est trouvée en concurrence avec des territoires d'Europe de l'Est dont elle n'avait pas anticipé le développement. Sony, en difficulté en Europe, a favorisé la montée en puissance de sa nouvelle usine de Gödöllő, en Hongrie, au détriment de son site de Ribeauvillé (1 600 salariés).

Des PME locales ont commencé à investir à l'Est, tel le torréfacteur strasbourgeois Sati qui a ouvert une usine en Pologne. Malgré ces bouleversements, l'économie alsacienne a conservé un niveau d'activité enviable dans les années 1990. Dix ans après la chute du Mur, le chômage présentait un différentiel favorable de quatre points par rapport à la moyenne française. L'emploi frontalier et certaines désillusions dans les nouveaux Länder expliquent, en partie, cette situation. « Nous avons craint que les entreprises allemandes cessent d'embaucher des Alsaciens et soient obligées de recruter des Allemands de l'Est. Cela n'a pas été le cas », confirme Catherine Trautmann, qui était maire de Strasbourg et députée européenne en 1989.

Conserver le Parlement

Trente ans après la chute du mur, la région allemande du Palatinat et le pays de Bade ont confirmé leur dynamisme. Ils jouissent d'une situation de quasi-plein emploi. 45 000 personnes vivant dans le Grand-Est sont actuellement salariées en Allemagne. « Les salariés alsaciens n'ont pas la même attitude au travail que ceux de l'ex-RDA. L'Alsace et le Rhin Supérieur restent une bien meilleure localisation que Leipzig », estime le consultant Armand Braun, membre du cercle de réflexion patronal régional Timken, lors de la chute du Mur. Mais c'est sur le plan politique que l'Alsace a le mieux tiré son épingle du jeu. Siège du Conseil de l'Europe depuis 1949, la ville de Strasbourg, jadis symbole des déchirements européens, a vu son statut de capitale parlementaire  de l'Union européenne confirmé par le traité d'Édimbourg en 1992.

« François Mitterrand n'avait pas vu venir la chute du Mur, qui allait engendrer un affaiblissement de l'axe franco-allemand dans la construction européenne. L'inscription du siège du Parlement européen dans les traités nous a été offerte comme élément de compensation », estime Daniel Hoeffel. Strasbourg a conservé ses institutions européennes. Elle tente aujourd'hui d'empêcher le déménagement de « son » Parlement à Bruxelles, lâchée sur ce point par la quasi-totalité des élus européens originaires des pays de l'Est : ils entendent tourner cette page, vue comme un symbole passé de la relation franco-allemande.

Commentaire 1
à écrit le 08/11/2019 à 8:59
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Qu'on leur vende !

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