Pourquoi la BCE dépense des milliards chaque mois sur les marchés ?

La politique monétaire menée par Francfort ne devrait pas bouger pendant plusieurs mois. L'occasion de revenir sur l'assouplissement quantitatif, cette mesure non-conventionnelle de la BCE qui consiste à racheter des milliards d'euros de dettes sur les marchés, afin de faire repartir l'économie et l'inflation.
Jean-Christophe Catalon
Francfort a décidé, fin octobre, de réduire de moitié ses achats de dettes à 30 milliards d'euros par mois dès janvier et jusqu'à septembre 2018, au plus tôt.
Francfort a décidé, fin octobre, de réduire de moitié ses achats de dettes à 30 milliards d'euros par mois dès janvier et jusqu'à septembre 2018, au plus tôt. (Crédits : Russell Boyce)

Près de 2.250 milliards d'euros, c'est le montant des dettes rachetées par la Banque centrale européenne (BCE) sur les marchés financiers en moins de trois ans. Couplée aux taux bas, cette politique a été lancée par Francfort dans l'espoir de dynamiser l'inflation et la croissance.

Le Conseil des gouverneurs de la BCE a tenu, jeudi, sa dernière réunion de politique monétaire de l'année. Son président, Mario Draghi, n'a pas annoncé de nouvelles mesures, l'essentiel ayant été détaillé lors de la précédente réunion, fin octobre, et concernait justement le rythme de ces achats sur les marchés financiers.

Les orientations de la politique monétaire de la zone euro devraient rester stables ces prochains mois, l'occasion pour La Tribune de faire le point et de revenir sur le fonctionnement et l'utilité de cet instrument dit "non-conventionnel" utilisé par la BCE.

■ "Programme d'achat de titres", "assouplissement quantitatif"... plusieurs termes pour un instrument

Depuis mars 2015, Francfort s'est lancé dans le rachat massif de dettes sur les marchés. Cette mesure est appelée "programme d'achat de titres", dans le jargon des financiers on trouve également le terme d'"assouplissement quantitatif" ou "quantitative easing" en anglais, souvent évoqué sous son acronyme "QE".

Cette mesure est qualifiée de "non-conventionnelle", car la BCE l'a mise en place uniquement pour répondre à un problème conjoncturel, mais elle n'a pas vocation à durer. Le mandat de la banque centrale est d'assurer la stabilité des prix, autrement dit que l'inflation se situe à un niveau inférieur à, mais proche de 2%. À l'époque de la mise en place du programme, le risque de déflation en zone euro était important et la reprise économique peinait à arriver.

En achetant plusieurs milliards d'euros de dettes chaque mois, la BCE fait indirectement baisser les taux d'intérêt et rend les emprunts moins chers. Ce programme permet donc d'assouplir les coûts de financement des acteurs économiques. L'objectif est donc de relancer l'investissement pour dynamiser l'activité afin de faire remonter les prix.

■ Comment ces achats sont-ils répartis ?

En 2015, le programme concernait uniquement ou presque les dettes souveraines, autrement dit les emprunts des États de la zone euro sur les marchés financiers. À partir de juin 2016, la BCE s'est mise à racheter également des dettes d'entreprises. Jusqu'à aujourd'hui, sur les 60 milliards d'achats mensuels, près de 80% concernent des dettes souveraines.

Sur les 19 pays de la zone euro, la Grèce est exclue par l'assouplissement quantitatif, car sa dette est jugée trop risquée par les agences de notation. La participation de Chypre a également été suspendue courant 2016. Du reste, chaque pays bénéficie du programme proportionnellement à sa part dans le capital de la BCE, dite aussi "clé de répartition". Cette règle n'est pas respectée à la lettre - même si l'écart reste minime -, l'Italie et la France en bénéficient davantage notamment, mais pour des raisons techniques et non pas politiques.

■ A-t-il rempli ses objectifs ?

Les données sur l'efficacité globale du programme ne sont pas légion. La BCE a en néanmoins publié une étude en juin dernier évaluant les effets du QE sur l'inflation et la croissance. À noter que ce document se focalise uniquement sur la première année après le lancement du programme.

L'étude estime qu'il a eu un effet important à très court terme sur la croissance en zone euro. En effet, le QE a apporté un gain de 0,18 point de PIB au premier trimestre 2015, qui s'est progressivement dissipé en 2016.

Concernant l'inflation, les effets sont apparus à moyen terme. Il a fallu attendre la fin de l'année 2015 pour que le programme ait un effet notable sur l'inflation (+0,18), avant de s'amplifier pour atteindre +0,36 point de pourcentage fin 2016.

| Lire aussi : inflation, taux... quel bilan pour l'assouplissement quantitatif de la BCE ?

■ Le QE alimente-t-il des bulles ?

La longévité du programme n'enchante pas tout le monde. Sur les marchés, des acteurs alertent sur les risques de bulle, résultant des taux bas et du QE. Avec des rendements faibles, autrement dit des taux d'intérêts faibles, les titres de dette souveraine sont peu attractifs du point de vue des investisseurs. De plus, la BCE, en rachetant massivement ce type de titres, réduit l'offre sur le marché, incitant les investisseurs à s'en détourner.

Problème, il s'agit des actifs financiers les plus sûrs et, si les investisseurs s'en détournent, cela signifie qu'ils se reportent sur des actifs plus risqués. La BCE a conscience de ce risque, mais Mario Draghi répète à l'envie que les effets positifs du QE sont plus importants que ses effets négatifs.

Pour qu'on puisse parler de bulles, "il faut observer des valorisations excessives", a rappelé Vincent Juvyns, stratégiste à JP Morgan Asset Management lors d'un point presse mardi. "On est proche d'une déviation des standards, mais on n'y est pas", a-t-il observé.

■ Pourquoi la BCE n'a-t-elle pas donné de date de fin ?

Sur le plan économique, l'année 2017 est l'année de la reprise en zone euro. La croissance devrait approcher les 2,4% et l'inflation atteindre 1,5%. Face à ce dynamisme, la BCE veut enclencher le retour à la normale de sa politique monétaire, à commencer par mettre fin à sa mesure non-conventionnelle : le QE.

Francfort a décidé de réduire de moitié ses achats de dettes à 30 milliards d'euros par mois dès janvier et jusqu'à septembre 2018, au plus tôt. Mario Draghi a répété à maintes reprises qu'il se réserve le droit d'augmenter le volume ou de prolonger le programme au-delà si la conjoncture économique l'impose.

Pourquoi cette prudence ? Pourquoi n'a-t-il pas fixé de date de fin ? La reprise est là, mais elle est encore fragile, la BCE préfère rester accommodante, autrement dit maintenir l'argent bon marché, pour continuer de stimuler l'activité économique.

Par ailleurs, fixer une date de fin définitive signifie donner un horizon à la période des taux bas. Or, une remontée trop rapide des taux pourrait être préjudiciable, en particulier pour les États, dont le poids de la dette reste conséquent. Les experts ne voient guère Francfort poursuivre son programme d'achat après 2019.

| Lire aussi : "l'enjeu pour la BCE est de réduire la dépendance de l'économie européenne au QE"

Jean-Christophe Catalon

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Commentaires 6
à écrit le 15/12/2017 à 11:14
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La BCE, comme les autres BC, n'a plus aucune crédibilité. Les injections monétaires sont détournées dans les circuits financiers . Un article de Marc Berry dès 2015 vendait la mèche : " Véritable quête du Graal, le ciblage d'inflation poursuivi par l...

à écrit le 14/12/2017 à 21:01
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Le QE n'a pour seul effet que de laisser les taux des obligations publiques à un niveau bas. Car la demande de la BCE augmente la demande globale pour ces titres. Titres de dettes qui ont tendances à devenir plus rares, chaque pays étant engagés dans...

à écrit le 14/12/2017 à 20:57
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moi,j attends la fin du feuilleton car quand les taux remonteront et que les banques devront rembourser ainsi que les etats ,on verra la bourses et les assurances vies ....!!

le 15/12/2017 à 7:03
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Si la BCE retire sa dope (l’argent gratuit) au drogué (les marchés), ça va forcément coincé...

le 15/12/2017 à 9:31
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On verra surtout le populisme . Ces dettes d Etats ne sont là que pour faire ardoises , le jour d un Frexit , italixit etc etc . .

à écrit le 14/12/2017 à 20:38
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Curieux calcul car à l' élémentaire on nous apprenait qu' en remplissant zéro d' un faux 3 soit le QE, on obtenait un moins 3 qui permet d' annoncer un plus 3. Les temps changent et c' est sûrement dû aux ..réformes !

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