Zone euro : les banques ont durci les conditions de crédit à un niveau inédit

Au premier trimestre 2023, les banques de la zone euro ont procédé à un durcissement des conditions d'octroi des prêts à l'économie, à un niveau inédit. Selon la Banque centrale européenne, il s'agit du rythme le plus élevé depuis la crise de la dette souveraine en 2011.
La publication du rapport de la Banque centrale européenne n'est pas anodine. Elle intervient à deux jours d'une réunion décisive de la BCE.
La publication du rapport de la Banque centrale européenne n'est pas anodine. Elle intervient à deux jours d'une réunion décisive de la BCE. (Crédits : Reuters)

En ce début d'année, les établissements bancaires continuent à fermer le robinet du crédit. Les banques de la zone euro ont, en effet, durci leurs critères d'octroi de prêts à l'économie au premier trimestre au rythme le plus élevé depuis la crise de la dette souveraine en 2011, souligne la Banque centrale européenne ce mardi 2 mai.

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De janvier à mars, « les critères d'approbation des prêts et lignes de crédit aux entreprises ont encore été sensiblement resserrés » en net, selon un rapport trimestriel. La baisse de la demande de crédits s'avère, elle, la plus forte « depuis la crise financière mondiale », a complété l'institution. Le resserrement en cours du robinet du crédit fait suite une décennie d'argent bon marché. Il a été enclenché en réponse à l'envolée des prix dans le sillage de l'offensive russe en Ukraine.

Les critères de prêts au logement consentis aux ménages ont également été fortement resserrés en net, et dans une moindre mesure ceux du crédit à la consommation. Ce durcissement intervient après un resserrement déjà observé aux trimestres précédents et confirme que la politique de hausse des taux d'intérêt et de diminution des injections de liquidités de la BCE pour combattre l'inflation produit ses effets.

En effet, la BCE ne réinvestit que partiellement les obligations à son bilan parvenant à échéance et met fin pas à pas aux prêts géants et ciblés aux banques (TLTRO). Un choix qui a un effet négatif sur les conditions de financement et les positions de liquidité des établissements, les amenant à resserrer les conditions de crédit.

Un assouplissement des conditions en France ?

En France, Bercy réfléchit sérieusement à un assouplissement des conditions actuelles d'octroi du crédit immobilier. Dans une note publiée début avril, la Banque de France alerte toutefois sur le fait qu'une telle mesure « risquerait de pousser nombre de ménages vers des situations de surendettement ».

Depuis le 1er janvier 2022, les banques françaises doivent respecter certains critères, définis par le Haut conseil à la stabilité financière (HCSF), pour accorder un crédit immobilier : un taux d'effort, c'est-à-dire le montant total des dépenses liées à l'habitation rapporté aux revenus, de 35% maximum et une durée d'endettement de 27 ans au plus dans certains cas (comme des travaux préalables à l'emménagement).

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Les établissements ont toutefois la possibilité de déroger à ces critères pour 20% des crédits mais, selon la Banque de France, cette flexibilité « n'est utilisée que partiellement par les banques, à 14,5% ». A l'instar du constat dressé par la BCE ce mardi, plusieurs acteurs de l'immobilier tirent donc la sonnette d'alarme en France ces derniers mois, disant craindre un effondrement des crédits octroyés au dernier trimestre 2022.

Réunion décisive de la BCE ce jeudi

La publication du rapport de la Banque centrale européenne n'est pas anodine. Elle intervient à deux jours d'une réunion décisive de la BCE. La BCE se prononcera sur sa politique monétaire ce jeudi, juste après la Fed américaine qui se réunit les 2 et 3 mai. Selon toute vraisemblance, la BCE se prépare, elle aussi, à relever une nouvelle fois ses taux d'intérêt cette semaine, et ce, malgré la quasi-stagnation de l'activité. D'autant que l'inflation est repartie à la hausse en avril au sein de la zone euro à 7% sur un an contre 6,9% en mars.

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Les données actuelles « indiquent qu'il faudra augmenter de nouveau les taux d'intérêt », a déclaré l'économiste en chef Philip Lane dans une interview au quotidien Le Monde, « ce n'est pas encore le moment d'arrêter ». Et, vendredi, le directeur du Fonds monétaire international (FMI) pour l'Europe, Alfred Kammer, a exhorté les banques centrales européennes à « tuer la bête » de l'inflation, sans être tentées de faire une « pause » dans leur relèvement des taux d'intérêt.

25 ou 50 points de base

La BCE a relevé ses taux de 3,50 points de pourcentage depuis juillet de l'année dernière dans le cadre d'une campagne sans précédent de resserrement monétaire visant à maîtriser la flambée des prix à la consommation. Les taux d'intérêt de référence de la BCE pour les banques se situent actuellement dans une fourchette comprise entre 3% et 3,75%, au plus haut depuis octobre 2008.

Désormais, avant sa prochaine réunion du 4 mai et, compte tenu du ralentissement de l'inflation dans les 20 pays de la zone euro, « la seule question semble être de savoir si la BCE optera pour 25 ou 50 points de base », selon l'analyste Carsten Brzeski de la banque ING. La majorité des économistes tablent cette fois sur une hausse limitée à 0,25 point.

Culminant au-dessus des 10% en octobre, l'inflation est revenue à près de 7% en mars, très loin encore de l'objectif de 2% que vise la BCE. En renchérissant le crédit, la BCE veut freiner la demande de prêts immobiliers, à la consommation ou pour les investissements des entreprises, et ainsi faire ralentir la hausse des prix.

L'Irlande tire la sonnette d'alarme

Si l'inflation d'avril surprenait à la hausse, certains « faucons » à la BCE, partisans d'une politique monétaire stricte, pourraient plaider pour une hausse de 0,50 point de pourcentage et ainsi « exacerber les divisions qui sont de plus en plus évidentes » au sein du conseil de l'institution sur la marche à suivre, selon HSBC.

Les récentes turbulences du secteur bancaire, parties de Californie, semblent elles s'être « dissipées sans grande incidence sur les conditions de crédit », abonde Capital Economics, qui table sur une hausse de 0,5 point. Les acteurs du marché tablent sur une nouvelle hausse des taux d'un quart de point.

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Le ministre irlandais des Finances, Michael McGrath, a appelé samedi dernier la BCE à modérer ses hausses de taux d'intérêt compte tenu de leur impact « sur les gens », estimant qu'il fallait mettre à contribution les entreprises dont les marges augmentent. Le responsable irlandais a notamment souligné les effets des hausses de taux d'intérêt sur le coût des emprunts immobiliers, lors d'une réunion avec ses homologues des Vingt-Sept et la présidente de la BCE, Christine Lagarde, à Stockholm.

« Les autorités monétaires doivent tenir compte de l'impact réel sur les gens des décisions qui sont prises et nous constatons (...) une certaine pression sur les détenteurs de prêts hypothécaires qui voient leurs taux d'intérêt augmenter maintenant de manière très significative », a-t-il averti devant des journalistes.

Les banques centrales sur le qui-vive

Preuve d'une certaine fébrilité des banques centrales face à l'inflation persistante, la Banque centrale australienne a surpris, en relavant une nouvelle fois ses taux d'intérêt à leur niveau le plus élevé depuis 11 ans ce mardi 2 mai. La Reserve Bank of Australia (RBA) a augmenté ses taux de 25 points de base à 3,85%, prenant à contre-pied les économistes qui tablaient sur un statu quo. Le taux d'inflation qui s'établissait à 7,8% fin décembre est tombé à 7% en avril, mais reste nettement supérieur à l'objectif fixé dans une fourchette entre 2 et 3% par la Banque centrale.

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La BCE en dira peut-être plus jeudi sur un autre chantier en cours, à savoir la réduction de son bilan encore gorgé de dettes acquises pendant les années de crise et d'inflation trop basse. Le stock d'obligations publiques et privées qu'elle détient se réduit de 15 milliards d'euro par mois en moyenne depuis mars et la BCE a prévu de revoir la vitesse de ce désengagement après le mois de juin.

Avec un risque à la clé : l'institution n'étant plus là pour racheter les dettes des pays membres de l'euro, les taux obligataires pourraient se tendre pour les emprunts de pays fragiles, et donc rendre plus compliquées leurs conditions de financement sur les marchés pour trouver de l'argent frais.

(Avec AFP)

Commentaires 3
à écrit le 02/05/2023 à 22:51
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Le problème c'est que rien n'est prévisible et donc ce qui n'est pas prévisible n'est pas sûr ! ;-) Mais il y a toujours des pigeons dont on peut être sûr ! ;-)

à écrit le 02/05/2023 à 14:14
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Je me demande bien pourquoi l etat veut preserver la bulle immobiliere. Une explosion de celle ci serait benefique. les gens pourraient se loger pour moins cher, l investissement irait vers autre chose que la speculation immo (vu qu il n y aura que d...

le 03/05/2023 à 3:20
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@CD. Detail que vous oubliez et pas des moindres. Les boomers ont souvent des enfants qui vont heriter. Certes l'etat va se servir au passage mais les choses ne changeront pas foncierement. Seule une recession durable remettra les pendules a l'heur...

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