
A trois mois du premier tour de l'élection présidentielle, LREM se met enfin en marche pour proposer un programme de défense. Un exercice délicat pour les "marcheurs", les propositions de campagne ne devant pas être interprétées comme des critiques de l'action menée pendant près de cinq ans par la ministre des Armées, Florence Parly. Et en même temps, le programme de la majorité doit symboliser un nouvel élan dans un domaine éminemment régalien et où le contexte géopolitique international exige également de l'audace. Pas simple pour le coordinateur du groupe de travail de la coalition défense de LREM Fabien Gouttefarde au sein d'une petite équipe de six/sept personnes, qui a travaillé en mode commando afin de bâtir des pistes de réflexions.
Selon nos informations, ce groupe commando a construit un programme autour de plusieurs prérequis, qui sont clairement des fondamentaux classiques de la stratégie défense de la France : modèle d'armée complet, dissuasion nucléaire, capacités à assumer un rôle de leader dans une coalition internationale et à entrer en premier sur un théâtre d'opérations.
Un groupe aéronaval permanent en Indo-Pacifique
Selon nos informations, une des pistes de réflexions les plus audacieuses de ce groupe de travail est de recommander le déploiement permanent d'un groupe amphibie dans la zone Indo-Pacifique avec un port d'attache, qui pourrait être la ville État de Singapour. Soit un groupe amphibie en "co-basing" avec d'autres pays européens et composé d'un porte-hélicoptères, d'une frégate et d'un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA). "Nous devons changer de dimensions en Indo-Pacifique, précise-t-on à La Tribune. Pour cela, il faut un nouveau point d'appui et de nouvelles capacités avec une présence forte dans cette zone".
Cette proposition a un coût. Elle implique le renforcement des capacités de la marine nationale avec la construction d'un quatrième porte-hélicoptères et celle d'un septième SNA ainsi que la conversion de deux sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) de la classe Triomphant en SNA (comme les Américains l'ont déjà fait avec leur SNLE Ohio) pour renforcer la flotte de sous-marins d'attaque. Soit neuf sous-marins nucléaires d'attaque au total. Ce changement de dimension en Indo-Pacifique passe aussi par l'augmentation de la flotte de dix patrouilleurs océaniques (contre 17 Aviso auparavant) ainsi que celle des avions de patrouille maritime (Falcon 2000). Il passe enfin par le maintien du nombre de frégates de surveillance mais aussi par l'accélération du programme European Patrol Corvette (EPC), dont certains bâtiments iraient renforcer la présence française et européenne dans cette zone.
Un état-major permanent au sein de l'Union européenne
La création d'un état-major permanent, à l'image du Grand Quartier général des puissances alliées en Europe (Shape), fait également partie des pistes audacieuses du groupe de travail. Actuellement, des état-majors sont constitués de façon temporaire par des "prêts" des pays membres d'officiers supérieurs pour des opérations menées par l'Union européenne comme la mission Atalanta. L'objectif du groupe de travail est de créer "une culture d'opérations à Bruxelles", précise-t-on à La Tribune. En outre, il recommande que l'Union européenne organise des exercices militaires grandeur nature comme ceux de l'OTAN de façon à ce qu'il y ait "une acculturation" de toutes les nations européennes à ce type de manœuvres. Cette piste de travail risque de se heurter à une opposition des pays européens très frileux face à ce type d'initiative venue de France, qui pourrait concurrencer l'OTAN, l'alpha et l'oméga de la presque totalité des pays européens.
Enfin, il préconise de confier à l'Union européenne au niveau des chefs d'État l'arbitrage en vue de décider qui est le mieux placé sur le grand export pour vendre tel ou tel système d'arme. Une piste qui permettrait de gommer les compétitions entre les pays européens. Pour autant, elle pourrait introduire une limitation de la souveraineté des États dans leur volonté de nouer des partenariats stratégiques avec des pays au Moyen Orient et en Asie, notamment. En outre, l'Union européenne mettrait un pas dans la porte dans les ventes d'armement de ses membres. En Allemagne, certains partis tentent de mettre en œuvre une stratégie commune au niveau européen dans les ventes d'armes. Ce qui serait inacceptable pour la souveraineté de la France et des autres pays ayant des politiques étrangères différentes les uns et les autres.
Un hélicoptère lourd en coopération européenne
Sans surprise, le groupe de travail LREM préconise le lancement de nouveaux programmes en coopération avec le principe du respect du principe du "Best Atlhete". Pour autant, ce principe n'a pas été respecté à la lettre dans les programmes lancés par le ministère des Armées. Car il est tout simplement impossible à respecter entre des entreprises françaises performantes sur le plan technologique et d'autres un peu moins. Mais si on veut absolument des programmes en coopération en Europe, le principe du "best Athlete" se substitue forcément au principe de retour géographique inévitable. Le groupe recommande le lancement d'un hélicoptère lourd de 13 tonnes sous la maîtrise d'oeuvre d'Airbus Helicopters. Il estime le marché à 300 appareils environ en Europe, dont une centaine pour l'Allemagne, une soixantaine pour la Grande-Bretagne et une cinquantaine pour la France (plus Italie, Pologne et Espagne). "Il y a une fenêtre d'opportunité", estime-t-on à La Tribune.
Par ailleurs, le groupe de travail a enfin identifié quelques lacunes capacitaires. Il a pointé du doigt le faible nombre de frégates de premier rang dans la marine. "En 2007, la marine en avait 21 et la Grande-Bretagne prévoit d'atteindre le format de 24 d'ici à 2030 (contre 18 actuellement, ndlr)", souligne-t-on. La France n'a que 15 frégates de premier rang face à des marines japonaise, indonésienne, coréenne, australienne et indienne qui font un gros effort de montée en puissance. La Chine va quant à elle augmenter de 138% sa flotte de guerre entre 2008 et 2030.
"On demande désormais à la Marine une présence permanente en Atlantique, mais aussi en Méditerranée, avec la mission Irini, et dans le golfe d'Oman, avec la mission Agénor, avait expliqué le chef d'état-major de la marine, l'amiral Pierre Vandier. De plus, la Marine est tenue de participer de manière régulière à des exercices et à des opérations dans l'océan Pacifique, pour incarner la stratégie française en Indo-Pacifique. Avec quinze frégates, nous ne pourrons pas tout faire. Du fait de la pression croissante exercée par les Russes en Atlantique, le besoin de frégates augmente, ce qui diminue notre capacité à réaliser d'autres missions ailleurs".
Le groupe de travail a également identifié deux une lacune dans les drones à la lumière de leur efficacité dans deux conflits récents (Arménie, Libye). "Nous entrons dans une nouvelle ère dans l'emploi des drones sur le plan tactique et stratégique, explique-t-on. Il ne faut pas manquer le tournant des essaims de drones". Il recommande de doter l'armée de l'air d'essaims consommables offensifs. Tout comme il n'oublie pas la lutte anti-drones, essentielle dans les opérations extérieures pour protéger les militaires et pour la protection des sites sensibles français et des grands événements organisés par la France.
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