A quelques mois de la fin du quinquennat, le Parlement fait un grand pas en avant dans la réalisation d'une des principales promesses d'Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle de 2017 : celle de permettre aux agriculteurs de "vivre dignement de leur travail". L'Assemblé nationale doit voter mercredi 6 novembre au soir la proposition de loi dite "Egalim 2", "visant à protéger la rémunération des agriculteurs". La Commission mixte paritaire est en effet parvenue lundi, à l'unanimité, à un compromis entre deux textes soutenus respectivement par les députés et les sénateurs. Le processus législatif doit s'achever le 14 octobre par le vote du Sénat.
Egalim 2 vient compléter la "loi alimentation", dite "Egalim", de 2018, issue des Etats généraux de l'alimentation lancés tout de suite après l'élection du nouveau président. Visant également à soutenir les revenus des agriculteurs, elle n'est pourtant pas parvenue à enrayer les effets tragiques sur les producteurs de la guerre des prix entre distributeurs. Depuis 8 ans, les tarifs payés par la grande distribution à leurs fournisseurs ne cessent de dégringoler, contraignant souvent les agriculteurs à vendre leurs produits à perte.
Publiquement engagé sur le sujet de la souveraineté alimentaire de la France, l'exécutif a donc d'abord commandé un rapport à l'ancien patron de System U Serge Papin. Avant l'été, le député LREM Grégory Besson-Moreau en a ensuite transformé les principales suggestions en une proposition de loi.
Renverser le procédé actuel de fixation des prix
Le résultat final satisfait Grégory Besson-Moreau, lequel - cité par Notre Temps - estime qu'avec ce texte "les agriculteurs ne devront plus être la variable d'ajustement de la guerre des prix entre grande distribution et industriels". Le gouvernement - cité par Les Echos -, estime pour sa part que ce texte "va peser sur les rapports de force au sein des filières au profit des agriculteurs en agissant sur tous les maillons".
La loi exige en effet que les producteurs et leurs premiers acheteurs souscrivent des contrats écrits d'au moins trois ans, fixant les prix des matières premières agricoles et assortis d'une formule de révision automatique en fonction de l'évolution des coûts de l'énergie, des transport, des emballages etc. Il sanctuarise en outre ces prix dans les négociations successives entre les industriels transformateurs et la distribution : la part correspondant à la matière première agricole ne pourra plus y être remise en cause, et ce quel que soit le volume des divers ingrédients, et y compris lorsqu'il s'agit de produits de marques des distributeurs.
L'objectif est d'ainsi renverser le procédé actuel de fixation des prix, qui laisse tous pouvoirs aux distributeurs et aux grands industriels en étouffant les agriculteurs. Il s'agit également de promouvoir la transparence, et d'inscrire les prix alimentaires dans des temps plus longs, favorisant l'innovation et la durabilité.
Pour protéger les transformateurs, inquiets que les distributeurs s'acharnent désormais sur leurs coûts, en les revoyant à la baisse, Egalim 2 introduit le "principe de non discrimination tarifaire", obligeant les industriels à proposer le même tarif à tous leurs distributeurs, sauf en échange de conditions particulières de vente (mises en avant, publicités etc.). Ces dernières ne pourront d'ailleurs plus être négociées de manière globale, mais devront être précisées une par une, "ligne à ligne".
La question cruciale des contrôles
Le gouvernement se dit déterminé à ce que la nouvelle loi entre en vigueur avant les prochaines et imminentes négociations commerciales. Son application dans de si courts délais risque toutefois de s'avérer compliquée, s'inquiète déjà l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), qui pourtant approuve globalement le texte. Elle en réclame "une interprétation opérationnelle" par les pouvoirs publiques, ainsi que "la mise en place d'un comité de suivi mensuel des négociations commerciales afin de contrôler l'efficacité du dispositif".
La question des contrôles semble en effet cruciale. Le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, s'y engage. "Notre boulot, c'est de s'assurer que tout le monde respecte les nouvelles règles du jeu", a-t-il déclaré le 5 octobre lors du Sommet de l'élevage, près de Clermont-Ferrand. "Je continuerai fortement les contrôles" par les services de la répression des fraudes (DGCCRF), a-t-il promis, tout en appelant aussi les agriculteurs à pousser les autres acteurs de la chaîne alimentaire à jouer le jeu.
Les PME inquiètes
Si la Fédération nationale des syndicats agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs, satisfaits des avancées, appellent également les exploitants à s'emparer du dispositif, quelques critiques émergent toutefois déjà, notamment de la part des petits transformateurs.
"Le texte adopté ne concerne que 40% des revenus des agriculteurs, puisqu'il agit uniquement sur la part des matières premières agricoles vendue par les grandes surfaces. Pour réellement mettre un terme à la logique de déflation, on doit pouvoir garantir la répercussion des coûts de transformation auprès des distributeurs afin d'assurer le maintien de l'activité économique dans nos territoires", observe ainsi la Coopération agricole, syndicat des coopératives.
La Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF) regrette pour sa part l'oubli des PME françaises, qui représentent pourtant "98% des entreprises agroalimentaires et premiers transformateurs de la matière première agricole" du pays.
"Avec la non-négociabilité des coûts agricoles seuls, il est à craindre que la négociation se reporte désormais très fortement sur tous les autres coûts des PME (autres que agricoles) pourtant générateurs de création de valeur : innovation, investissements productifs, transition écologique, emploi", explique la fédération.
Les distributeurs ont d'ailleurs déjà menacé d'acheter davantage à l'étranger pour éviter les contraintes des règles françaises.
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L'expérimentation d'un "rémunérascore"
Des doutes surgissent aussi sur les effets de la loi sur les prix à la vente et la réaction des consommateurs. Grégory Besson-Moreau se dit convaincu que les prix n'augmenteront que de quelques centimes, et que les consommateurs seront prêts à les payer face à la garantie qu'ils profiteront aux producteurs. Egalim 2 prévoit d'ailleurs d'une part de rendre obligatoire l'indication du pays d'origine pour les produits agricoles et alimentaires, d'autre part d'expérimenter pendant au maximum 5 ans un "rémunérascore", affichant l'impact des prix sur la rémunération des producteurs.
Mais finalement, comme le souligne l'Ania, le résultat des prochaines négociations commerciales seront le meilleur indicateur de l'efficacité d'Egalim 2. Comme après l'adoption de la première loi Egalim, les acteurs sont encore une fois appelés de toutes part à prendre leurs responsabilités.
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