Luxe : plus écologique, moins cher... L’irrésistible ascension du diamant de synthèse

Longtemps resté dans l’ombre du gigantesque et dominant marché du diamant naturel, le diamant synthétique gagne des parts de marché de plus en plus significatives dans le monde. Fabriqué en laboratoire, sans extraction minière polluante, ce diamant d’un nouveau genre revendique sa place de concurrent moins cher et plus écologique. Une promesse dont se sont emparées de nouveaux joailliers et qui séduit de plus en plus de consommateurs. Décryptage.
Mathieu Viviani
Les diamants de synthèse sont fabriqués dans des fours spéciaux capables de reproduire les conditions naturelles dans lesquelles se forment les diamants miniers. Une prouesse technologique sans précédent.
Les diamants de synthèse sont fabriqués dans des fours spéciaux capables de reproduire les conditions naturelles dans lesquelles se forment les diamants miniers. Une prouesse technologique sans précédent. (Crédits : Reuters)

Un luxe qui, depuis plus d'un siècle, séduit les générations de futurs mariés. Aujourd'hui encore, le diamant s'achète, s'offre et rapporte plus que jamais. Mais pour quel impact écologique au regard de son arrière-boutique, les mines, d'où il est extrait ? Cette question, des nouveaux joailliers français se la posent désormais. Leur réponse se trouve dans le « diamant de laboratoire », une innovation technologique connue par les industriels et diamantaires depuis les années 1950, mais dont la viabilité commerciale n'est devenue possible qu'il y a une dizaine d'années.

Tout comme son homologue naturel, le « diamant de synthèse », ou de « culture » (appellation préférée par ses vendeurs), est obtenu à partir de fragments de carbone pur. La différence se trouve dans le procédé de cristallisation : là où la pression et les températures élevées des entrailles de la terre mettent plusieurs millions, voire milliards d'années, pour transformer l'atome de carbone en diamant, ici, ce sont les machines qui se chargent de la sublimation. Et ce, en quelques semaines seulement.

Un procédé ultra-rapide

Pour y parvenir, deux procédés éprouvés existent. Baptisée « HPHT » (« High pression, High temperature », ndlr), la première méthode recourt à un four spécial. Ce dernier est en mesure de reproduire la très forte pression (70 bars environ) et haute température du sous-sol de la terre (aux alentours de 1.500°C). Soumise à celles-ci, une « graine » de carbone, soit un minuscule fragment de diamant (issu en général d'un autre diamant de laboratoire) se cristallise et grandit, atome par atome, jusqu'à devenir une pierre précieuse.

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L'autre méthode, appelée « CVD », ou « déposition chimique en phase vapeur », est proche de la précédente, mais comporte une variante. Ici, une plaque de fragments de diamant est mise dans une sorte de « four à micro-ondes » dans lequel elle est exposée à du gaz d'hydrogène et de méthane. Soumis à une pression et une température toutes aussi colossales, les fragments déposés sur la plaque vont se développer « couche par couche » et former la gemme.

Qu'on utilise un procédé ou un autre, les diamants bruts obtenus devront, comme leurs collègues naturels, être taillés et polis pour révéler toute leur brillance. Et c'est là que se trouve le premier intérêt commercial de ces méthodes pour les joailliers : lorsqu'on l'observe à l'œil nu et ou avec une loupe, le diamant de laboratoire est le même que son homologue naturel. Seuls des outils sophistiqués d'un gemmologue peuvent détecter quelques différences dans sa structuration interne. La propriété physique et chimique, elle, est bien la même.

Moitié moins cher que le diamant naturel

Ceci, à un très gros détail près, qui a toute son importance pour Dorothée Contours, fondatrice de JEM, une joaillerie française pionnière dans la vente de diamant de laboratoire et d'or « éthique » :

« Le prix à l'achat de cette gemme est clairement plus bas. Dans ma boutique, un diamant de synthèse d'un carat peut coûter jusqu'à 40% de moins qu'un diamant naturel. »

Et de poursuivre sa démonstration : « Par exemple, chez JEM, une bague de fiançailles classique, un des produits les plus populaires chez les bijoutiers, peut s'acheter aux alentours de 5.000 à 6.000 euros. La version en gemme naturelle va monter à 10.000 euros, voire plus. »  L'entrepreneure joaillière précise aussi que plus le diamant de laboratoire est volumineux, plus l'avantage coût est réel par rapport la version naturelle.

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Un facteur de prix qui ne passe pas inaperçu aux yeux des clients, de plus en plus nombreux à se tourner vers ce type de pierre. « Chez les trentenaires, la compréhension et l'envie sont sûrement devenues plus immédiates, car ils semblent plus sensibles aux enjeux écologiques. Mais plus on avance dans le temps, plus les autres générations s'y mettent », affirme la patronne de cette maison fondée en 2010.

Mais avant d'en arriver là, la joaillière confie qu'il a fallu faire « œuvre de pédagogie » pour expliquer que le diamant de laboratoire était de même qualité qu'un diamant naturel. D'ailleurs, pendant plusieurs années, la supposée « moindre qualité » de la gemme de synthèse fut une critique utilisée par les géants de l'industrie diamantaire traditionnelle.

Un marché en plein essor

« Mais aujourd'hui, ces grands acteurs constatent par eux-mêmes que le diamant de laboratoire est en train de devenir un concurrent de plus en plus sérieux », lance Manuel Mallen, patron de Courbet, une bijouterie vendant ces nouveaux diamants place Vendôme à Paris. Les tendances de marchés lui donnent raison.

Selon une estimation du cabinet d'analyse de la banque d'investissement américaine Liberum Capital Markets, la part de marché des diamants synthétiques, en volume, est à ce jour comprise entre 25% et 35%. « Les Etats-Unis sont les premiers vendeurs de ce type de pierre pour leurs joailleries », ajoute Manuel Mallen.

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D'ici à la fin de l'année 2024, Modor intelligence, un cabinet d'analyse de marchés évalue, lui, le poids financier de la branche à environ 20,3 milliards de dollars. Un chiffre qui, d'ici 2029, devrait croître de 7,5% par an. A titre de comparaison, le marché du diamant naturel a atteint en 2022 plus de 70 milliards de dollars, d'après le cabinet français d'étude de marchés Businesscoot.

Mais il connaît depuis quelques années une passe difficile, en raison de la guerre en Ukraine. Plusieurs pays du bloc occidental, dont ceux de l'Union européenne ont ainsi interdit l'importation de diamants venant de Russie, plus gros exportateur mondial. Par ailleurs, durant la pandémie de Covid, certains diamantaires ont été contraints de suspendre le fonctionnement de certaines de leurs sites.

L'empreinte environnementale sévère des mines de diamants

« Chez Courbet, notre slogan est : sans le bien, le beau n'est rien », fait valoir son patron qui, avant de lancer son entreprise en 2020, a fait toute sa carrière dans les montres de luxe (notamment Piaget, Baume et Mercier Harrison). Au-delà du prix, c'est en effet l'autre argument central de ces nouveaux bijoutiers « éco-responsables » : le diamant de laboratoire est clairement plus propre que son prédécesseur issu de l'industrie extractive.

Un argument globalement juste lorsqu'on analyse les conséquences environnementales directes des mines à ciel ouvert. Là où elles sont installées, celles-ci accaparent le plus souvent un terrain gigantesque, en lieu et place d'anciens écosystèmes naturels. Notamment des parcelles de forêts ou des cours d'eau, des abris d'espèces végétales et animales, qui sont bien souvent sources de biodiversité et d'alimentation pour les populations locales.

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A ce jour, les mines de diamants présentent toujours un risque élevé de pollution, malgré les précautions prises par les exploitants de ces sites, rappelait récemment un récent documentaire de l'émission Sur le front, présentée par le journaliste spécialisé sur l'écologie Hugo Clément

En cause ? Les bassins accueillant le substrat de terre humide duquel les diamants bruts sont filtrés. Si les exploitants des sites miniers assurent que les digues de ces cuves en plein air sont très solides, des accidents surviennent, comme celui survenu en 2022, sur le site de Williamson en Tanzanie, du diamantaire russe Petro Diamonds. Le bassin de résidus a en effet cédé et s'est déversé sur plusieurs kilomètres, ensevelissant habitation, végétaux et champs agricoles à proximité. Une pollution aux métaux lourds, notamment du mercure, a aussi été détectée.

L'autre problème des mines de diamant est la quantité d'eau astronomique utilisée pour le filtrage des terres extraites. Visité par l'équipe de Sur le front, le plus grand site minier du monde au Botswana, géré par le géant De Beers, utilise 50 millions de litres d'eau par jour. Si le numéro un mondial du secteur, ainsi que d'autres exploitants, en recyclent une partie, les quantités d'eau restantes, puisées dans les nappes phréatiques et rivières, restent problématiques.

Autre empreinte environnementale à signaler : les camions et autres équipements de ces mines consomment une quantité colossale de carburant diesel. Un seul camion du site botswanais de la firme De Beers en consomme 4.000 litres par jour. Sachant que le travail dans ce genre de mines ne s'arrête jamais, les émissions de carbone ne sont ici pas négligeables.

Quid de l'empreinte carbone des diamants de synthèse ?

« La facture environnementale des diamants de laboratoires est incomparable, car il n'y a pas d'extraction minière, c'est un atout majeur », insiste Manuel Mallen, de Courbet. Mais quid de celle des laboratoires fabricants des diamants de culture ? Sur cet aspect, le point crucial est l'énergie utilisée par les machines transformant les pierres. En raison des très hautes températures et pressions qu'elles produisent, celles-ci consomment une grande quantité de kilowattheures.

« C'est d'ailleurs une autre critique essuyée par les laboratoires de diamant de culture depuis le départ », se remémore le co-fondateur de Courbet. D'ailleurs, une étude de la Diamond Producers Association (DPA), organisme qui représente 75% de la production mondiale de pierre naturelle, avait conclu que le diamant naturel était moins émetteur de CO2 que son pair synthétique. Une étude critiquée en raison de son manque d'indépendance.

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Sur cette question, un rapport récent et fiable du prestigieux Imperial College London vient éclairer le débat. Selon son auteure, la chercheuse Gbemi Oluleye, les diamants miniers sont clairement plus polluants que leurs homologues de laboratoire. Et, d'après son évaluation, ces derniers rejetteraient 20 kg CO² par carat pour les diamants synthétiques produits dans l'Union européenne (ce chiffre est quasi le même pour les diamants de culture chinois). Un chiffre à comparer avec celui de l'extraction minière globale, qui rejette en moyenne près de 160 kg de CO² par carat.

Quand bien même. Conscients de cet enjeu énergétique, de plus en plus de diamantaires travaillant en laboratoire se mettent à utiliser des énergies renouvelables pour alimenter leurs installations. A l'instar de la société DF ou Fenix diamonds, Greenlab avec qui travaille JEM. D'autres, comme Ethica diamonds propose de compenser leurs émissions de CO2 avec des certificats. A noter : l'Inde est l'un des premiers pays producteurs de diamants de synthèse, mais sa première source d'énergie est encore aujourd'hui le charbon.

Mathieu Viviani

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Commentaire 1
à écrit le 11/04/2024 à 10:30
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Au sujet de la CVD pour fabriquer du diamant "Contrairement à la première méthode (HPHT) qui nécessite de hautes pressions, elle ne requiert pas de fortes températures, mais plutôt une faible pression." Des collègues 'en face dans le couloir' y a pl...

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