Secteur automobile : une consolidation à marche forcée

Rapprochements et rumeurs de fusions entre constructeurs s'accélèrent. Car sous la pression financière et réglementaire, et face aux perspectives du marché, les industriels revoient leur périmètre d'activité et leurs alliances.
Nabil Bourassi
Best-seller de Fiat, la 500 (ici, au salon automobile  de Denver; en mars) devrait être déclinée en modèle 100% électrique.
Best-seller de Fiat, la 500 (ici, au salon automobile de Denver; en mars) devrait être déclinée en modèle 100% électrique. (Crédits : David Zalubowski)

Depuis plusieurs semaines, Les Échos spéculent sur une fusion entre PSA (Peugeot, Citroën, DS, Opel) et FCA (Fiat, Chrysler, Jeep, Alfa Romeo, Maserati...). Plus récemment, c'est le Financial Times qui, lui, croit savoir que Renault s'apprêterait à avaler le groupe italo-américain FCA. C'est probablement ce besoin impérieux de concentration qui a empêché l'explosion de l'alliance entre Renault et Nissan, alors que la chute spectaculaire de son patron historique, Carlos Ghosn, avait pu laisser penser que la partie japonaise désirait s'émanciper de la tutelle française. Mais la consolidation se manifeste par d'autres vecteurs que la fusion industrielle classique. Les grands groupes automobiles préfèrent ainsi cibler des partenariats industriels sur telle ou telle technologie : voiture autonome, voiture électrique, intelligence artificielle, partage de plateforme, mobilités alternatives... Les sujets ne manquent pas !

Le plus spectaculaire est le rapprochement entre Daimler et BMW. Après avoir fusionné leurs filiales spécialisées dans les nouvelles mobilités, réunissant des millions et des millions d'abonnés, les deux groupes premiums allemands travaillent désormais sur un rapprochement dans les voitures électriques et les véhicules autonomes. Il y a quelques années, avec un troisième larron, Audi, ils avaient pris le monde par surprise en annonçant le rachat de Here, la filiale de cartographie de Nokia.

Lire aussi : La voiture électrique sauvera-t-elle l'industrie auto française ?

Ainsi, les constructeurs sont prêts aux alliances les plus inattendues. Mais pourquoi aller aussi loin, jusqu'à démentir les rivalités les plus immuables ? Et pourquoi maintenant ? L'année 2018 a probablement été un déclic pour l'industrie automobile. Elle a offert un échantillon, en taille non contractuelle, de ce que seront les quinze prochaines années : les interdictions dans les villes des voitures les plus polluantes décidées par la justice allemande, la chute des ventes de diesels et la pénurie de moteurs essence, surtout l'épisode calamiteux du passage à la norme WLTP, l'été dernier, ont donné une idée de l'accélération en cours dans le secteur automobile.

Déstockages massifs

L'entrée en vigueur de cette norme qui se voulait plus proche de la réalité que la précédente (NEDC) a provoqué des embouteillages dans les organismes d'homologation, au point que certaines marques se sont retrouvées privées de leur best-seller, comme Volkswagen avec sa Golf. En outre, les constructeurs se sont retrouvés avec d'immenses stocks de voitures interdites à la vente après le 1er septembre et qu'ils ont dû déstocker massivement. Cet épisode, qui a coûté extrêmement cher au secteur, n'a pourtant pas convaincu le législateur européen de desserrer l'étau réglementaire, puisqu'il a été décidé que les constructeurs devraient baisser de 37,5 % leurs émissions de CO2 d'ici à 2030. « Une folie », ont répondu en choeur les principaux leaders du secteur.

Le seul cap de 2021 qui impose un objectif théorique de 95 g de CO2 aux constructeurs automobiles est déjà vécu comme un drame. À PSA, Carlos Tavares a constitué une task force, qui, chaque mois, fait le point sur l'avancée du programme de réduction des émissions de CO2.« On ne se lève pas le matin pour payer des amendes », aurait-il lancé à ses équipes. Car les sanctions financières prévues pourraient être astronomiques. On parle de centaines de millions d'euros, voire des milliards d'euros pour les moins vertueux. « Il va y avoir des morts », prophétise un bon observateur du secteur. Le rachat d'Opel - pour une bouchée de pain par PSA, en août 2017, était un premier acte de consolidation.

D'un côté, le groupe français avait besoin d'augmenter sa taille critique pour mieux amortir ses coûts, de l'autre, le groupe américain General Motors mettait les voiles d'un continent où il n'a jamais réussi à gagner de l'argent de façon pérenne. C'est l'autre volet de cette consolidation nécessaire qui semble s'imposer sur cette vieille industrie : le repli tactique. General Motors avait ainsi décidé de se concentrer sur son marché domestique, plus profitable pour lui, et sur le marché chinois, où il est parvenu à réaliser une belle percée.

De son côté, Ford fait également l'objet de nombreuses rumeurs sur le scénario d'un retrait du continent européen. La fermeture de son usine de Blanquefort, près de Bordeaux, et les plans de restructuration dans ses usines britanniques (Brexit aidant) ou encore en Allemagne (5 000 emplois supprimés) alimentent cette rumeur. Sa décision, officielle cette fois, de quitter le marché russe, montre bien qu'il ne s'agit pas que de on-dit. L'année 2018 aura donc été chaotique à plusieurs égards, mais c'est sa traduction dans les comptes qui inquiète. Tous les constructeurs, ou presque, ont publié des rentabilités en baisse l'an passé, après une décennie de progression quasi ininterrompue et de désendettement : BMW, Volkswagen, Renault, FCA, Nissan, Jaguar Land Rover... Seul PSA a publié une marge opérationnelle en hausse.

Pour un « Airbus des batteries »

Les constructeurs sont donc sous pression financière et ils doivent trouver de l'argent pour investir dans tous les projets qui doivent assurer leur avenir. La voiture électrique est l'un des plus ambitieux. Plus de 74 milliards d'euros d'investissements ont déjà été annoncés par les constructeurs. Volkswagen à lui seul a budgété une enveloppe de 30 milliards d'euros. Mais il faut également investir dans l'intelligence artificielle et la voiture autonome. Sur ce front-là, les industriels se sont résolus à ne pas s'en remettre à leur seule R & D classée secrète, et ont inventé des consortiums avec tous types d'acteurs, dont les Gafa. PSA fait ainsi partie du programme PRAIRIE, qui réunit des équipementiers comme Faurecia et Valeo mais également des champions de l'Internet comme Amazon, Facebook ou Google. Tandis que Honda vient de rejoindre l'alliance nouée entre Toyota et SoftBank.

Lire aussi : Le secteur automobile divisé sur la question d'un "Airbus des batteries"

Signe de la fébrilité ambiante sur les marchés, le massacre des valeurs des équipementiers en Bourse : - 63 % pour Valeo, - 57 % pour Faurecia, - 49 % pour Continental. Les équipementiers sont souvent perçus comme des indicateurs avancés du marché, puisqu'ils enregistrent les commandes en amont et traduisent les anticipations de marché des constructeurs. Mais avant même d'envisager des consolidations, les constructeurs ont d'ores et déjà annoncé la facture sociale. Près de 20 000 emplois auraient déjà été supprimés (ou annoncés comme tel) depuis le début de l'année. L'industrie automobile emploie directement ou indirectement 13 millions de personnes en Europe.

Les constructeurs accusent les autorités européennes de mettre en danger 10 % de ces effectifs à travers ce qu'ils estiment être une surenchère réglementaire, tandis que la voiture électrique, poussée par les autorités, crée de la valeur et des emplois surtout... en Chine ! En attendant que les États constituent le très attendu « Airbus des batteries ». Paris et Berlin sont prêts à débourser 1,5 milliard d'euros pour démarrer le projet. Tantôt décriés, tantôt remerciés, les États pourraient bien, finalement, sauver la mise aux constructeurs automobiles européens... Mais la consolidation semble bel et bien en marche !

Nabil Bourassi

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Commentaires 2
à écrit le 14/04/2019 à 8:20
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la vente des droits de polluer doit etre interdite ceci est une magouile du meme genre que les paradis fiscaux et surtout le refus des derigeants de l'europe a armonise leur fiscalite. pour mieux manipuler les citoyens et de ce fait pouvoir les f...

à écrit le 12/04/2019 à 9:12
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Depuis que la voiture autonome a tué deux personnes il n'y a plus que vous autres journalistes à en parler hein les gars... -_-

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