Face à la crise du gaz et de l'électricité, le gouvernement souffle le chaud et le froid. Tandis qu'Emmanuel Macron a alerté il y a quelques jours sur la « fin de l'abondance » et convoqué un Conseil de défense exceptionnel sur l'énergie ce vendredi, l'exécutif s'est montré plutôt rassurant à l'issue de la fameuse réunion, qui se déroulait à huis clos. « Nous avons activé tous les leviers à notre main pour préparer l'hiver », a ainsi affirmé la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, à des journalistes.
Le mot d'ordre, lui, n'a pas changé : économiser l'énergie, et « faire jouer la solidarité européenne » afin d'éviter le pire, a-t-elle précisé. Autrement dit, alors que la France risque de manquer cruellement d'électricité cet hiver et l'Allemagne de gaz, un échange de bons procédés entre les deux pays devrait prémunir les deux puissances économiques d'un scénario noir, ponctué de pénuries et autres rationnements.
« La solidarité européenne permet d'assurer la sécurité d'approvisionnement en France et en Europe [...] Nous travaillons avec l'Allemagne pour renforcer les échanges de gaz et d'électricité », a poursuivi Agnès Pannier-Runacher vendredi.
« La vulnérabilité française, c'est l'électricité, nous avons besoin d'en importer. La vulnérabilité de l'Allemagne, c'est d'importer du gaz et nous leur livrerons du gaz », avait déjà clarifié la ministre fin juillet sur LCI.
Manque de production électrique en France
De fait, l'Hexagone fonce tout droit vers un déficit de production électrique cet hiver, et devra donc largement faire appel à Berlin pour éviter les coupures. La situation est telle que le pays, habituellement exportateur net d'électricité pendant l'été, en importe aujourd'hui massivement depuis l'Allemagne ou l'Espagne.
Et pour cause, ces dernières années, la France a fermé nombre de ses capacités, de la centrale nucléaire de Fessenheim aux centrales à charbon polluantes...sans pour autant les remplacer par des moyens de production équivalents, entre retards sur le chantier de l'EPR de Flamanville et atermoiements sur l'installation d'éoliennes et de panneaux solaires. Surtout, le pays fait actuellement face, au pire moment possible, à une disponibilité historiquement basse de son parc nucléaire, liée entre autres à un défaut de corrosion aux causes et à l'évolution encore inconnues.
« Aujourd'hui 32 réacteurs sont à l'arrêt », dont certains pour cette raison, a rappelé la ministre de la Transition énergétique. « Mais EDF est engagé à les redémarrer pour cet hiver, et nous le suivons au plus près, avec des points hebdomadaires », a-t-elle embrayé.
En février, EDF avait en effet présenté un programme de contrôles afin de vérifier le nombre de réacteurs concernés par l'anomalie. Il n'empêche que l'opérateur historique a fait savoir le 25 août que plusieurs de ces installations seront remises en service plus tard que prévu, ce qui entraînera un plus grand déficit d'approvisionnement en électricité pour octobre, novembre et décembre.
« Nous avons perdu toutes nos marges pour répondre à la demande d'électricité », a ainsi alerté vendredi dans Les Echos le président du réseau de transport d'électricité (RTE), Xavier Piechaczyk.
Les déboires du nucléaire français pourraient offrir un sursis à l'atome outre-Rhin
De son côté, l'Allemagne ne devrait pas, a priori, manquer à ce point d'électrons cet hiver. Pour conserver un minimum de marges, le pays a en effet décidé de garder en activité pas moins de 14 gigawatts (GW) de centrales à charbon qui devaient fermer cette année. Paradoxalement, les déboires actuels du nucléaire français pourraient même pousser Berlin à prolonger la durée de vie de ses propres centrales atomiques, afin de produire suffisamment de courant pour aider l'Hexagone. Selon les résultats préliminaires d'un test de résistance du réseau électrique publié jeudi, le pays devrait ainsi prolonger la durée de vie de deux de ses trois réacteurs nucléaires restants au-delà de la fin de l'année.
« Ce serait un signe important de solidarité européenne. Nous devons regarder au-delà de l'Allemagne et faire preuve de considération pour nos partenaires », a ainsi affirmé Christian Dürr, chef du groupe parlementaire du FDP.
Mais cet échange d'énergie ne se ferait pas à sens unique : outre-Rhin, c'est plutôt le gaz qui inquiète fortement les pouvoirs publics et les industriels, puisque Berlin ne peut plus compter sur sa principale source d'approvisionnement en cet hydrocarbure, la Russie (55% des importations allemandes de gaz avant la guerre). Certes, ses réserves de gaz pour cet hiver se remplissent « plus vite que prévu », a fait savoir il y a peu le gouvernement, avec un taux de remplissage actuel de 84%. Mais même si ces stocks souterrains atteignaient un niveau de 100%, le pays ne pourrait tenir que deux mois et demi, selon des estimations récentes.
Ainsi, dans un geste hautement symbolique, la France s'est engagée cet été à livrer jusqu'à 5% de son gaz pour sauver l'Allemagne en hiver - une grande première. De fait, le gouvernement d'Elisabeth Borne se veut rassurant sur l'approvisionnement en gaz : « Les terminaux méthaniers [qui permettent de regazéifier le GNL, ndlr] tournent à plein régime et les stocks sont quasiment remplis [presque 92%, ndlr] », s'est félicité vendredi Agnès Pannier-Runacher.
Possibilités d'échanges limitées
Reste que les possibilités d'échange entre les deux pays ne seront pas illimitées : concrètement, il faudrait que les Allemands acceptent du gaz odorisé sur leur réseau, ce qui n'est pas permis par leurs règles internes. A terme, pour permettre l'interconnexion, il faudrait installer une station de désodorisation, ce qui pourrait prendre au moins 18 mois, selon une source ministérielle.
Et les livraisons d'électricité risquent, elles aussi, d'être restreintes par des freins techniques, notamment lors des moments critiques de pointe de demande.
« Il faut s'attendre à des goulots d'étranglement liés aux capacités d'interconnexion des réseaux, aujourd'hui limitées à 13 GW environ. C'est pour cela qu'en période de tension, il y a toujours des congestions aux frontières. Cela explique aussi que le prix de gros ne soit pas le même partout », expliquait il y a quelques semaines à La Tribune Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (CREDEN).
Surtout, la situation tendue dans les deux pays, si elle appelle pour l'heure à la coopération, pourrait aussi, à l'inverse, accroître les tensions. Fin août, le parti d'opposition allemand Die Linke (La Gauche) avait ainsi demandé la suspension des exportations allemandes d'électricité vers les autres pays de l'Union européenne, en premier lieu la France. « Il est difficile d'expliquer aux citoyens pourquoi la nécessité d'économiser et la flambée des prix devraient s'appliquer dans ce pays alors que l'électricité est exportée en grande quantité en même temps ! », avait alors défendu Dietmar Bartsch, co-président du groupe parlementaire Die Linke au Bundestag. En ces temps troubles, la solidarité européenne promet d'être mise à rude épreuve.
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