La crainte de coupures d’énergie tourne au cauchemar pour les industriels français

D'éventuelles coupures de gaz et d'électricité chez les industriels cet hiver ne peuvent plus être exclues. Un tel scénario serait désastreux pour les entreprises de l'agroalimentaire, de la chimie ou encore de la métallurgie, grandes consommatrices d'énergie. Certaines d'entre elles, comme Michelin et Saint-Gobain, préparent déjà un plan B pour continuer leurs activités coûte que coûte et se tournent notamment vers le fioul. Témoignages.
Juliette Raynal
(Crédits : Stephane Mahe)

Le message est clair. Le scénario du pire doit être envisagé et il faut s'y préparer. Car, même si nos stocks de gaz sont remplis à 100% de leurs capacités, les risques de coupures ne sont pas nuls cet hiver, en particulier si toutes les hypothèses négatives se combinent : une rupture totale des livraisons de gaz russe, des températures particulièrement basses, et des difficultés d'approvisionnement sur le marché du gaz naturel liquéfié (GNL). Pour corser la tâche, les risques de coupure d'électricité ne sont pas écartés non plus, notamment en raison de l'indisponibilité historique du parc nucléaire tricolore, affecté, en autres, par un problème de corrosion.

Dans ce contexte extrêmement tendu, Elisabeth Borne a exhorté les entreprises à réduire rapidement leur consommation énergétique de manière à éviter des mesures de rationnement. Lors de son discours devant les patrons d'entreprise rassemblés par le Medef, lundi 29 août, la cheffe du gouvernement a ainsi expliqué vouloir privilégier la stratégie « des économies choisies, plutôt qu'un rationnement subi ». Hier, lors de l'émission Quotidien sur la chaîne TMC, la première Ministre a précisé ses propos : « On ne va pas couper le gaz chez les ménages français, mais c'est sur nos entreprises, les gros consommateurs, qu'il pourrait y avoir des coupures ».

Plus de produits laitiers dans les rayons et un « énorme gâchis »

Justement, une coupure de gaz ou d'électricité, chez les entreprises les plus consommatrices d'énergie (notamment celles du secteur de la chimie, de l'agro-alimentaire et de la métallurgie), qu'est-ce que cela signifie-t-il concrètement ?  « S'il n'y a plus de gaz, on ne peut pas faire tourner nos usines et nos produits ne seront plus en rayons », résume Christophe Piednoël, directeur général de la communication et des relations extérieures du groupe Lactalis, leader mondial des produits laitiers (marques Président, Bridel, Lactel...), qui exploite 66 laiteries et fromageries dans l'Hexagone. « Il n'y a pas d'alternative possible car pour pasteuriser le lait nous devons le chauffer », poursuit-il.

Une coupure d'électricité rendrait, elle, toute collecte de lait impossible. « Ce serait un énorme gâchis pour les agriculteurs producteurs », pointe Christophe Piednoël. « Il ne suffit pas d'appuyer sur un simple bouton pour redémarrer un process. Une coupure d'électricité implique une rupture de la chaîne du froid », souligne-t-il. Lactalis espère ne pas subir ce type de coupures en raison du caractère stratégique de son activité. « Lors du premier confinement, nous avons continué la collecte de lait », rappelle Christophe Piednoël. Le groupe travaille néanmoins à mettre à jour son plan de continuité.

Une coupure de gaz casserait l'outil industriel

Chez Saint-Gobain, aussi, une coupure de gaz serait désastreuse, notamment pour ses lignes de production de verre plat, « les floats » dans le jargon, qui fournissent les acteurs de la construction et de l'automobile. « Le verre est chauffé à 1.600 degrés. Nos fours fonctionnent en permanence, 24h/24, 7j/7. Ils ne peuvent pas être arrêtés soudainement. Sinon, le verre en fusion se rigidifie et cela casse l'outil industriel », explique un porte-parole du géant des matériaux de construction.

Au total, Saint-Gobain compte 13 « floats »sur le Vieux Continent. Pour assurer la continuité de ses lignes de production, même en cas de coupure de gaz, l'industriel mise sur le diesel et le fioul. Quatre sites sont déjà équipés de fours pouvant fonctionner avec ces combustibles alternatifs tandis que quatre autres sites sont en cours d'équipements. Pour les cinq « floats » restants, Saint-Gobain estime que les risques de coupures de gaz sont minimes. Ils ne sont, et ne seront, donc pas équipés de tels dispositifs.

Le géant des matériaux n'est pas le seul à envisager recourir à ces combustibles dérivés du pétrole, bien plus émetteurs de CO2 que le gaz naturel. « On a converti nos chaudières, pour qu'elles soient capables de fonctionner au gaz ou au pétrole et même qu'on puisse passer au charbon si on en a besoin », avait déclaré à Reuters le président de Michelin, Florent Menegaux, en juillet dernier lors des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence : « L'objectif est de ne pas avoir à arrêter d'usine en cas de tension ».

Conversion au fioul et au diesel

Dans une usine de fabrication de pneus, où de la matière est transformée, il faut plusieurs jours pour arrêter et redémarrer la production, avait expliqué le dirigeant du géant du pneumatique. D'où la nécessité de maintenir, en permanence, une alimentation en énergie stable.

Plusieurs entreprises de transports s'attellent également à convertir leur flotte de véhicules roulant au gaz naturel, à l'essence ou au diesel, pour garantir, coûte que coûte, les livraisons en cas de pénurie de gaz, rapporte Frank Roubanovitch, président du CLEE, l'association regroupant de grands consommateurs d'énergie dans le tertiaire et l'industrie. Mais toutes les entreprises n'ont pas les moyens d'investir dans ce type de conversion, d'autant plus qu'une chaudière au fioul, par exemple, deviendra très vite un actif échoué dans une économie bas carbone.

De lourdes conséquences économiques

« Il n'y a pas de souplesse dans l'utilisation du gaz dans les process industriels, c'est très binaire, abonde Frank Roubanovitch. Dans l'industrie agro-alimentaire, par exemple, le gaz est utilisé pour chauffer et sécher les produits. La seule façon de baisser la consommation de gaz, c'est de diminuer la production. Cela signifie moins de nourriture et moins de produits en magasins, ce qui peut provoquer une récession », pointe-t-il.

Selon lui, le gouvernement devrait donc orienter davantage sa communication en matière de sobriété sur la baisse de la consommation énergétique dans le tertiaire et chez les particuliers. « Dans le secteur industriel, nous pouvons le faire, mais il y aura de lourdes conséquences économiques », prévient-il.

Juliette Raynal

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Commentaires 13
à écrit le 02/09/2022 à 10:42
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L'intelligence de notre gouvernement s'arrête quand il s'agit de politique . On va rationner les entreprises qui produisent de la richesse ... Il est vrai que les entreprises ne votent qu'avec leurs fermetures de sites ....

à écrit le 01/09/2022 à 13:52
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Couper l'énergie aux industriels, voilà bien une brillante idée sortie de la tête de nos (in)compétents politiques. Résumons : on va empêcher les entreprises de produire, donc on va suspendre la production de richesse en France, donc avec quelle rich...

à écrit le 31/08/2022 à 22:04
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EDF a eu une gestion défectueuse de son parc nucléaire. Mauvais entretien à tous les étages. La renationalisation est une sanction méritée même si l'état ne peut être un gestionnaire permanent.. Vrai gâchis. Les Français vont en subir les conséquence...

à écrit le 31/08/2022 à 21:12
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Couper les industriels avant les particuliers souvent assistés, est bien la marque d'un pays en faillite dont le déficit commercial honteux ne semble interesser personne

le 01/09/2022 à 9:29
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Bref! Interdisez la publicité et vous résolvez le déficit! ;-)

à écrit le 31/08/2022 à 21:09
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Travailler avec un seul client ou fournisseur comporte des risques Idem avec l'énergie. Une chaudière à vapeur peut être rapidement équipé d'un brûleur fioul ou gaz. Pour l'alimenter en fioul, il faut avoir pensé à en stocker. Idem pour le propa...

à écrit le 31/08/2022 à 19:50
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Retour vers l'économie de guerre. Très largement du fait de nos propres sanctions et parce qu'on empêche la Russie d'utiliser les dollars avec lesquels on doit la payer. L'Etat est inconséquent...

à écrit le 31/08/2022 à 19:47
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Soyons clairs: Oui, cela va être un cauchemar, et nos politiques avec leurs politiques absurdes, sont les premiers responsables! Non renouvellement du parc nucléaire, incapacité de faire tourner EDF avec tous les bâtons que l’on a mis dans ses roues ...

à écrit le 31/08/2022 à 19:30
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Quelle incompétence nos décideurs depuis 20 ans!

le 04/09/2022 à 20:20
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Ce n'est pas de l'incompétence c'est du SABOTAGE effectué consciemment. Ces messieurs industriels auraient du s'en rendre compte depuis longtemps...l

à écrit le 31/08/2022 à 19:27
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Fréquemment dans les pays du sud est Asiatique, on se pose ni le problème du cout et encore moins de celui de coupures d'électricité ...

à écrit le 31/08/2022 à 19:10
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Vu le poids de l'industrie dans le pib...

à écrit le 31/08/2022 à 18:44
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Si le travail diminue faute d'énergie, le chômage ne risque pas de reculer! A moins de remplacer les machines, a la campagne!;-)

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