
"Les centrales nucléaires ne sont pas éternelles (...) et il est nécessaire d'anticiper". Bernard Doroszczuk, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), auditionné, ce jeudi 27 mai, par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a tiré la sonnette d'alarme, à l'occasion de la remise de son rapport annuel.
Le chef de l'autorité de sûreté nucléaire a insisté sur un point de vigilance en particulier : celui de la prolongation, au-delà de 50 ans, des plus vieux réacteurs français. En début d'année, l'autorité a donné son feu vert pour une prolongation de la durée de vie des 32 réacteurs tricolores de 900 MW, de 40 à 50 ans. En revanche, l'ASN ne s'est pas prononcée sur une prolongation au-delà de ces dix années supplémentaires. Or, la tenue des cuves des réacteurs concernés (où se produit la réaction en chaîne produisant de la chaleur) est un sujet très sensible et décisif pour la suite.
L'usure des cuves, un point critique
"La tenue des cuves est un élément déterminant pour la durée de vie des réacteurs. Le métal des cuves est exposé au rayonnement et les caractéristiques mécaniques de ce métal s'affaiblissent au fil du temps", a expliqué Bernard Doroszczuk.
EDF a, certes, fourni un certain nombre de justifications probantes quant à la tenue de ces cuves pour un prolongement de 40 à 50 ans, mais nous "n'avons pas d'éléments pour nous positionner au-delà de 50 ans", a souligné le patron de l'ASN.
"Le point principal de préoccupation, c'est celui de l'horizon 2040, qui correspond au moment où la durée de fonctionnement des réacteurs atteindra entre 50 et 60 ans. Si les perspectives de développement de nouvelles capacités de production n'étaient pas au rendez-vous et si les gains en termes d'efficacité énergétique n'étaient pas suffisants, la tentation serait de vouloir prolonger la durée d'exploitation des réacteurs en service pour disposer d'un socle de production d'électricité pilotable et décarbonée suffisant. Or, rien ne permet aujourd'hui de garantir que ce sera possible" a alerté Bernard Doroszczuk.
Anticiper pour ne pas subir
Le président de l'ASN a notamment signalé qu'une dizaine de cuves des réacteurs concernés étaient affectées de défauts d'origine, des microfissures, qui n'ont toutefois pas évolué depuis leur constatation initiale. Il a aussi rappelé qu'un certain nombre de réacteurs ne disposaient que de très peu de marge pour un fonctionnement au-delà des 50 ans.
Selon lui, il est donc absolument nécessaire d'anticiper la décision de la prolongation, ou non, du fonctionnement de ces réacteurs "pour ne pas que ce soit une décision que l'on subit le moment venu". "Et compte tenu des délais nécessaires pour prendre cette décision, il conviendrait de poser dès à présent la question de la durée des réacteurs en fonctionnement", estime l'autorité de sûreté.
Une des pistes permettant de ralentir la dégradation des caractéristiques mécaniques des cuves consisterait à une meilleure gestion du combustible pour réduire l'exposition du métal de la cuve à travers le temps. "C'est un sujet que nous n'avons pas encore exploré en France", précise toutefois Bernard Doroszczuk.
Selon l'ASN, EDF doit prendre en compte la question de l'usure des cuves dans le choix des douze réacteurs de 900 MW qui devront être arrêtés entre 2028 et 2035, dans le cadre de la PPE (programmation pluriannuelle de l'énergie), qui prévoit de réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique de la France. "Il faut se pencher à fond sur le sujet", a insisté Bernard Doroszczuk.
Gestion des déchets et pic d'activité industrielle
L'ASN a également alerté les parlementaires sur la nécessaire anticipation de la gestion des déchets radioactifs alors que la capacité de stockage des déchets très faiblement radioactifs pourrait arriver à saturation entre 2028 et 2035. La question de la valorisation, ou non, de certains déchets métalliques doit être tranchée, a estimé le gendarme nucléaire. Cette valorisation permettrait alors de réduire le volume final de déchets à stocker.
A plus court terme, le gendarme du nucléaire a également émis un point de vigilance sur la capacité industrielle d'EDF à faire face aux travaux à venir. L'ASN anticipe, en effet, une montée en puissance des travaux dès cette année avec quatre examens de sûreté à réaliser dans le cadre des visites décennales des réacteurs dont le 40ème anniversaire approche, puis un pic d'activité industrielle en 2026.
"La charge de travail du génie civil et du contrôle-commande sera multipliée par trois dans les cinq à années à venir. Et, dans le secteur de la mécanique, cette charge sera multipliée par au moins six", a prévenu son patron.
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