
C'est officiel. Le gendarme du nucléaire a donné son feu vert à la prolongation de dix ans de la durée de vie des plus vieux réacteurs nucléaires français. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a publié, ce 25 février, une décision attendue portant sur les 32 réacteurs nucléaires de 900 MWe (mégawatts électriques) d'EDF. Dans ce texte, l'ASN fixe les conditions pour qu'ils puissent fonctionner au-delà de leur quatrième "réexamen périodique", qui a lieu tous les dix ans.
Ces réacteurs à eau pressurisée sont les plus anciens des 56 réacteurs que compte le parc nucléaire tricolore. Ils ont été mis en service à la fin des années 1970, et 13 d'entre eux ont d'ores et déjà dépassé les 40 ans de fonctionnement. Or, si les réacteurs nucléaires français ont été autorisés sans limitation de durée de fonctionnement, EDF avait initialement envisagé une durée de vie de 40 ans.
32 réacteurs de huit centrales concernés
Le gendarme du nucléaire devait donc se prononcer sur la poursuite, ou non, du fonctionnement de ces 32 réacteurs, qui concernent les centrales de Bugey (Ain), de Blayais (Gironde), de Chinon (Indre-et-Loire), de Cruas (Ardèche), de Dampierre (Loiret), de Gravelines (Nord), de Saint-Laurent (Loir-et-Cher) et de Tricastin (Drôme).
A la suite d'un long travail d'instruction démarré en 2013, l'ASN indique aujourd'hui dans une note d'information considéré "que l'ensemble des dispositions prévues par EDF et celles qu'elle prescrit ouvrent la perspective d'une poursuite de fonctionnement de ces réacteurs pour les dix ans qui suivent leur quatrième réexamen périodique".
Cette décision en faveur de la prolongation de durée de vie des réacteurs n'est pas une surprise. L'ASN avait, en effet, publié début décembre un projet de décision ouvrant la voie à la poursuite du fonctionnement des centrales au-delà de 40 ans, sous réserve "d'améliorations significatives de la sûreté". Ces prescriptions avaient fait l'objet d'une consultation publique ouverte jusqu'au 22 janvier dernier.
Trois grands défis de sûreté pour EDF
"Cette décision clôt la phase dite 'générique' du réexamen, qui concerne les études et les modifications des installations communes à tous les réacteurs de 900 MWe, ceux-ci étant conçus sur un modèle similaire. Ces prescriptions seront ensuite appliquées réacteur par réacteur, lors de leur quatrième réexamen périodique programmé jusqu'en 2031. Il sera alors tenu compte des particularités de chacune des installations. Les dispositions prévues par EDF pour chaque réacteur feront l'objet d'une enquête publique", détaille le gendarme du nucléaire dans le document.
Concrètement, l'électricien devra concentrer ses efforts pour améliorer trois aspects majeurs de la sûreté nucléaire. D'abord, réduire les conséquences des accidents et notamment des accidents graves (c'est-à-dire avec une fusion du cœur du réacteur), afin de contenir la radioactivité à l'intérieur de l'enceinte en cas d'accident. C'est ce que permet le récupérateur de corium intégré aux EPR (les réacteurs nucléaires de troisième génération) dès leur conception. "Pour les réacteurs de 900 MW, la construction d'origine ne le permet pas, mais nous avons prescrit des mesures produisant des effets comparables", explique Bernard Doroszczuk, le président de l'ASN, dans un entretien à Ouest France. Ensuite, rendre plus robustes les réacteurs de 900 MW face aux agressions pouvant être d'origine interne (inondation, incendie...) ou externe (séismes, canicules...) Et enfin, améliorer la sûreté de la piscine de refroidissement du combustible.
Une "zone de danger" pour les opposants au nucléaire
Les opposants au nucléaire réclamaient depuis longtemps une fermeture des centrales les plus anciennes, comme cela avait été décidé pour la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), la doyenne arrêtée l'an dernier. L'ONG Greenpeace voit dans cette prolongation "une zone de danger". Elle estime, en effet, que les prescriptions de l'ASN ne permettent pas d'atteindre le même niveau de sûreté que celui des EPR.
De son côté, la Société française d'énergie nucléaire (Sfen), le lobby de la filière, estime que ces centrales sont "plus sûres aujourd'hui que quand elles ont démarré car les outils d'analyse et de diagnostic se sont perfectionnés". L'association met aussi en avant l'existence de nombreux réacteurs nucléaires en fonctionnement depuis plus de 40 ans. Dans une note de janvier, elle rappelle que, "fin 2019, 92 réacteurs nucléaires en exploitation dans le monde (représentant 17% de la capacité de production nucléaire mondiale) avaient plus de 40 ans".
Vers un nouveau programme nucléaire ?
"Il y a encore des points de faiblesse sur l'état des matériels importants pour la sûreté, et donc une vigilance à avoir, il n'y a pas de débat là-dessus", reconnaît dans Ouest France, le président de l'ASN Bernard Doroszczuk. "D'un autre côté, nous ne pouvons pas nier les améliorations qui sont constatées chez EDF", ajoute-t-il.
L'ASN souligne par ailleurs qu'elle fonde ses décisions uniquement en fonction de la sûreté. "En rien les besoins en production d'électricité actuels ou futurs n'ont pesé" dans sa décision, précise Bernard Doroszczuk.
Aujourd'hui, la France tire près de 70% de son électricité du nucléaire, un record mondial. Elle veut ramener cette part à 50% à l'horizon 2035 pour faire plus de place aux renouvelables. Toutefois, elle pourrait aussi relancer un nouveau programme de construction de six nouveaux EPR. Dans cette éventualité, EDF a déjà passé des premières commandes à Framatome.
(Avec AFP)
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