Hydrogène décarboné : encore une “falaise à gravir” pour la filière tricolore

Mercredi et jeudi se tiendra la 5ème édition du salon Hyvolution, devenu la grand-messe de l'hydrogène dans l'Hexagone. L'occasion de mettre en avant l'effervescence de la filière française. Si depuis quelques mois les annonces se multiplient, aussi bien du côté des grands groupes que des startups et des collectivités, le défi industriel reste immense. En huit ans, la France doit multiplier par 1000 ses capacités de production et trouver des dizaines de milliers de personnes qualifiées, alors que de nombreux métiers sont déjà en forte tension. Une quinzaine d'incubateurs, dispensant des formations accélérées, va voir le jour dans les différentes régions.
Juliette Raynal
La start-up Lhyfe, pépite tricolore de l'hydrogène, espère lever jusqu'à 145,5 millions d'euros sur Euronext dans les prochains jours.
La start-up Lhyfe, pépite tricolore de l'hydrogène, espère lever jusqu'à 145,5 millions d'euros sur Euronext dans les prochains jours. (Crédits : Lhyfe)

Encore ignoré il y a quelques années, l'hydrogène est devenu un sujet majeur, sinon stratégique, pour de nombreuses entreprises du CAC 40. Air Liquide, Airbus, Alstom, Engie, Total Energies, Michelin, ou encore Renault, Schneider Electric et Vinci... Toutes participeront ces 11 et 12 mai au salon Hyvolution, la nouvelle grand-messe tricolore dédiée à l'hydrogène décarboné. Pour sa cinquième édition, le salon accueillera près de 300 exposants, les délégations de 11 régions françaises mais aussi cinq pavillons étrangers (Royaume-Uni, Corée du Sud, Danemark, Allemagne et Chili).

"Le salon est une vitrine de la filière française. Il vise à fédérer les acteurs pour accélérer le déploiement des projets sur le territoire", a expliqué Pierre Buchou, organisateur du salon, lors d'une conférence de presse.

C'est aussi une manière pour la France d'affirmer son leadership aux yeux de la communauté internationale. Alors que plus de 30 pays se sont déjà dotés d'une stratégie hydrogène, l'Hexagone veut se hisser dans le peloton de tête de cette nouvelle course mondiale. Car, cette toute petite molécule (elle est 50.000 fois plus petite que l'épaisseur d'un cheveu) est désormais considérée comme indispensable pour atteindre une économie neutre en carbone.

Une stratégie nationale ambitieuse

En effet, l'hydrogène propre, produit à partir d'une électricité bas carbone, promet d'éviter l'émission de millions de tonnes de CO2 chaque année. Toutefois, il reste encore trois fois plus cher à produire que l'hydrogène gris, fabriqué à partir d'énergies fossiles, et son développement à l'échelle industrielle se heurte à de nombreux obstacles, dont le prix des électrolyseurs.

Mais pas question de répéter les erreurs commises par le passé dans le domaine du photovoltaïque, où les panneaux sont aujourd'hui massivement importés de Chine. Pour remporter ce défi industriel, la France s'est dotée d'un plan hydrogène à l'automne 2020 de 7 milliards d'euros sur dix ans. S'y est ajoutée une rallonge de 1,9 milliard d'euros dans le cadre du plan d'investissements France 2030. Objectif : déployer une capacité de 6,5 gigawatts (GW) d'électrolyseurs sur le territoire pour produire 680.000 tonnes d'hydrogène propre par an et ainsi décarboner massivement l'industrie et la mobilité.

Plans d'investissements, levée de fonds et introductions en Bourse

Depuis ces annonces, c'est l'effervescence. Grandes entreprises, startups et collectivités territoriales se sont emparées du sujet. En novembre dernier, Engie a présenté son plan hydrogène pour atteindre 4 GW en 2030. C'est 1 GW de plus qu'EDF, qui entend co-investir dans ce domaine entre 2 et 3 milliards d'euros d'ici la fin de la décennie. De son côté, Air Liquide, spécialiste des gaz industriels, prévoit d'injecter plus de 8 milliards d'euros dans cette molécule verte à l'horizon 2035 et, dans la même échéance, tripler ses ventes dans le domaine pour atteindre un chiffre d'affaires d'environ 6 milliards d'euros. De son côté, TotalEnergies n'a pas encore présenté officiellement de plan hydrogène, mais son patron, Patrick Pouyanné, ne cache pas ses ambitions en la matière.

Les plus petites entreprises ne sont pas en reste, avec une multiplication des levées de fonds et d'introductions en Bourse, à l'image de la startup Lhyfe qui espère lever jusqu'à 145,5 millions d'euros sur Euronext, dans les prochains jours. Cette jeune pousse ligérienne s'est spécialisée dans la production d'hydrogène vert directement à partir d'énergies renouvelables, sans passer par l'électricité du réseau. Parmi les pépites du secteur, on retrouve également le grenoblois HRS, qui a levé 97 millions d'euros sur les marchés, ou encore l'entreprise girondine Hydrogène de France (HDF Energy) qui a réalisé une augmentation de capital de 132,2 millions d'euros en Bourse, en juin dernier.

Les régions, elles aussi, ont répondu présentes avec le développement de vastes projets territoriaux comme Normand'Hy en Normandie, qui consiste à construire un électrolyseur d'au moins 200 mégawatts dans la zone industrielle de Port-Jérôme, MosaHyc dans le Grand Est pour créer un réseau de transport, ou encore Corridor H2 et Hyport en Occitanie, et HyAmmed et Hygreen dans le Sud. Sept bassins se sont ainsi dessinés au niveau de la vallée de la Seine, de la vallée du Rhône, dans la zone frontalière avec l'Allemagne, celle avec l'Espagne, et autour des ports de Dunkerque, de Saint Nazaire et de Fos-sur-Mer. Ils devraient concentrer 85% de la consommation future de l'hydrogène.

Facteur 1000

Malgré cette ébullition, la route vers l'avènement de l'hydrogène décarboné est encore très longue.

"C'est une falaise que nous avons encore à gravir", reconnaît Philippe Boucly, à la tête de l'association France Hydrogène, qui fédère les professionnels du secteur. "Aujourd'hui, nous comptons à peine 5 mégawatts d'électrolyse spécifiquement dédiés à la production d'hydrogène. On parle donc d'un facteur 1000 pour atteindre nos objectifs", a-t-il ajouté, lors d'une conférence de presse. Et de poursuivre : "En matière industrielle, tout reste à faire. Il faut encore construire les usines où seront fabriqués les électrolyseurs, les piles à combustibles et les véhicules".

Les infrastructures dédiées à la distribution de l'hydrogène, elles aussi, doivent encore être largement développées. Dans son scénario "Ambition +", l'association France Hydrogène vise 1.700 stations de distribution pour la mobilité. Aujourd'hui, l'Hexagone n'en compte que 51, dont seulement 29 ouvertes au public. Quant aux véhicules légers à hydrogène, à peine 400 circulent actuellement sur les routes tricolores quand 450.000 sont visés à l'horizon 2030 dans ce même scénario.

Bruxelles se fait attendre

La filière tricolore doit donc accélérer, mais elle fait face aujourd'hui à plusieurs écueils. D'abord, au niveau des financements, plusieurs projets industriels sont dans l'attente d'une réponse de Bruxelles.

"La France a déposé une quinzaine de projets dans le cadre de l'IPCEI [Le projet Important d'Intérêt Européen Commun est un mécanisme qui autorise les pouvoirs publics des États membres à financer des initiatives au-delà des limites habituellement fixées par la réglementation européenne en matière d'aides d'État afin de favoriser l'innovation dans les domaines industriels stratégiques, ndlr]. Mais nous sommes toujours dans l'attente. La Commission s'attendait à recevoir une soixantaine de projets et les autorisations de lancement devaient tomber fin 2021. Au total, elle en a reçu 120. Une notification officielle devrait finalement arriver à la mi-2022", expose Philippe Boucly.

Retard dans les énergies renouvelables

La filière devra aussi composer avec le retard qu'a pris le développement des énergies renouvelables sur notre territoire. Les professionnels estiment, en effet, que la production nationale d'électricité en 2030 permettra de répondre à leurs besoins en électricité, si les objectifs de la PPE (la feuille de route nationale), sont atteints. Or la France est à la traîne dans l'éolien et le solaire. "Avec moins de 19 mégawatts fin 2021, l'éolien français terrestre est de plus en plus en retard sur sa trajectoire de développement", notaient les auteurs du dernier Observatoire des énergies renouvelables électriques. Côté photovoltaïque, le parc représentait 13,2 GW fin 2021, encore bien loin des objectifs de la PPE  (respectivement 20,1 GW à l'horizon fin 2023 et entre 35,1 et 44,0 GW raccordés fin 2028).

Des métiers en très forte tension

Dernier écueil de taille : le manque de main d'œuvre qualifiée. Selon les prévisions, la filière pourrait créer entre 50 et 150.000 emplois nets à l'horizon 2030. Aujourd'hui, elle en compte à peine 4.000. Au total, France Hydrogène a identifié, en partenariat avec l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), 84 métiers, dont 17 sont en très forte tension.

"Les plus grosses tensions se concentrent sur les métiers de techniciens et techniciennes et d'ouvriers fortement qualifiés, comme les soudeurs, les tuyauteurs, les canalisateurs, ou encore les opérateurs de travaux et les techniciens électriques et de mise en service", détaille Christophe Sadok, directeur de l'ingénierie à l'Afpa.

Ces métiers sont également activement recherchés dans l'industrie nucléaire, qui, elle aussi, doit monter en cadence pour délivrer ses nouveaux EPR. Résultat, des gigafactories, dont les lignes de production seront opérationnelles dans les prochains mois, manquent cruellement de ressources humaines. Pour répondre à cet enjeu, il est possible de "colorer d'un vernis hydrogène des formations déjà existantes", explique Philippe Boucly.

Des incubateurs H2

Mais pour aller plus vite, les deux organisations vont déployer une quinzaine "d'incubateurs H2" dans les différentes régions. Il s'agira de dispenser des formations accélérées, co-construites avec les entreprises du secteur selon leurs besoins, dès l'automne prochain. En 700 heures, réparties sur 20 semaines, il sera ainsi possible de former un(e) soudeur(se) qui décrochera alors un titre professionnel du ministère du Travail. En 1.000 heures, de former un(e) technicien(ne) de maintenance. Ces incubateurs couvriront quatre secteurs clefs : la maintenance, le travail des métaux, la production et la mécanique sur véhicules lourds. L'objectif initial est de former 200 personnes d'ici le premier trimestre 2023.

Incubateurs hydrogène

Juliette Raynal

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Commentaires 8
à écrit le 11/05/2022 à 8:21
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Y a comme un petit manque de cohérence dans la transition énergétique qu'on nous vend. On lance un plan hydrogène sans se préoccuper de mettre en amont un plan électricité, un plan biogaz sans faire un plan biomasse (sur terre net il y en avait un qu...

à écrit le 10/05/2022 à 20:39
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Le Bresil veut livrer l Europe.Des nouvelles du Bresil ; la premiere mise aux encheres des espaces pour l eolien offshore se feront en octobre 2022. Le potentiel est estime a 700 GW (500 EPR), soit 4 fois la production electrique totale du pays, en 2...

à écrit le 10/05/2022 à 18:44
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L'hydrogène est la seule voie raisonnable possible. Elle n'est pas sans poser des problèmes techniques, c'est cher, pas facile à opérer et elle va nous obliger à changer nos habitudes et comportements, mais contrairement au pétrole et au gaz, la ress...

le 11/05/2022 à 9:36
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Partage votre point de vue … une rupture technologique a toujours des. Balbutiements et des équations à résoudre … mais l actualité politique économique et climatique va nous stimuler dans cette voie… Ca devrait nous rendre indépendant des capri...

à écrit le 10/05/2022 à 18:32
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C'est en 1804 que l'on a inventé le moteur à hydrogène les gars quand même, mais qu'est-ce que nos classes dirigeantes ont fait à part le pire cherchant à éviter systématiquement le vertueux ?

le 11/05/2022 à 9:32
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Classes dirigeantes? C était pas leurs sujets de l époque… ce sont les choix des industriels automobiles d alors…. Raccourcis un peu court …lol Et puis comment remplacer les milliards d euros de tva issues de l essence- gazole et qui manqueront a...

à écrit le 10/05/2022 à 18:13
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L'hydrogène décarboné, ça n'existe pas

à écrit le 10/05/2022 à 17:45
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La résilience dans l'innovation, une lubie sans le moindre progrès, on continue dans l'erreur!!

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