[Article publié le mardi 08 août à 11H04 et mis à jour le mardi 22 août à 09H26]Le 11 mars 2011 est encore dans les esprits de nombreux Japonais. Ce vendredi, l'archipel est victime d'un violent séisme de magnitude 9,1 sur l'échelle de Richter, l'un des plus forts jamais enregistrés. Il provoque alors un tsunami atteignant plus de vingt mètres de hauteur par endroit. Déferlant sur les côtes, il endommage aussi et surtout la centrale de Fukushima Daiichi, située sur le littoral, et en particulier, son système de refroidissement entraînant la fusion des cœurs des réacteurs un, deux et trois.
Le pays du Soleil Levant subit, aujourd'hui encore, les conséquences de la catastrophe nucléaire, douze ans après. Et pour cause, des quantités gigantesques d'eau ont été nécessaires pour refroidir les cœurs en fusion. Or, les réservoirs qui stockent cette eau contaminée arrivent à saturation.
Résultat, le Japon se voit contraint de les déverser dans l'océan Pacifique. Au total, ce sont pas moins d'1,3 million de tonnes d'eau qui vont être rejetées à partir de jeudi « si les conditions météo le permettent », comme l'a annoncé le Premier ministre japonais mardi 22 août. Un procédé sans danger assure l'archipel malgré les critiques des pêcheurs japonais et des pays voisins, la Chine et la Corée du Sud.
Le plan de rejet présenté par le Japon et l'opérateur de la centrale nucléaire, Tepco, a d'ailleurs obtenu l'aval de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Le 4 juillet dernier, son chef, Rafael Grossi, a, en effet, annoncé qu'il « satisfai[sait] aux normes internationales de sûreté » et aurait un impact « négligeable ». Rejeter l'eau de Fukushima dans l'océan est-il vraiment sans danger ? Explications.
Un procédé bien connu
Le plan présenté par Tepco et le gouvernement japonais prévoit de traiter les eaux contaminées avant qu'elles ne soient rejetées dans l'océan. Et ce, grâce à un processus de filtration bien connu, rappelle Emmanuelle Galichet, enseignante-chercheur en science et technologies nucléaires au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), à La Tribune.
« C'est comme lorsque l'on utilise un tamis, les plus gros éléments ne passent pas à travers. C'est la même chose pour les radionucléides [substance qui libère de la radiation, ndlr] issus des cœurs en fusion, qui seront retenus par le filtre », explique-t-elle.
« C'est une méthode très efficace et qu'on retrouve également dans les réacteurs en France et en Europe. Dès qu'il y a un risque d'eau contaminée, on met en place ce type de système de filtration », ajoute-t-elle.
Le tritium, un risque limité
Reste néanmoins une substance qui ne peut être filtrée, car de trop petite taille : le tritium. Il sera donc déversé, avec l'eau filtrée, dans l'océan. Pour autant, cela ne représente pas un grand danger, explique Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire.
« Bien qu'il soit radioactif, il n'émet pas de rayons gamma qui sont particulièrement dangereux. Il a, en outre, un rayonnement peu énergétique. Or, plus un élément est énergétique, plus il va causer des dégâts importants », souligne-t-il.
D'autant que, même s'il ne peut pas être filtré, le tritium sera dilué avant d'être rejeté. Et Tepco a privilégié dans son plan des niveaux très faibles après dilution, bien en deçà des limites autorisées. « Une exposition typique en Occident à la radioactivité naturelle, industrielle ou médicale est de 5.000 microsieverts, rappelle l'ingénieur. « Or, Tepco s'est fixé l'objectif d'être sous les 50 microsieverts. Et d'après ses calculs, il est même possible d'atteindre des valeurs de l'ordre de 2 à 40 microsieverts. »
En résumé, « même en considérant l'ingestion du tritium par des poissons et crustacés qui seront ensuite consommés par l'Homme, l'exposition restera extrêmement faible, et donc dérisoire par rapport à la radioactivité naturelle », conclut-il, rappelant que « les moules sont un des aliments qui contient le plus de polonium, et pourtant cela n'a jamais dérangé qui que ce soit ».
D'autant que les eaux, une fois traitées, seront rejetées à plusieurs kilomètres des côtes et en profondeur « pour profiter des courants marins », explique Emmanuelle Galichet. En effet, grâce à ces derniers, elles seront encore davantage diluées.
Des critiques demeurent
Pour autant, les critiques et mises en garde continuent de pleuvoir à mesure que le début des rejets se rapproche. Notamment en Chine, où les autorités douanières ont annoncé le 7 juillet, quelques jours après l'accord de l'AIEA, qu'elles allaient « interdire les importations de denrées alimentaires en provenance de dix préfectures japonaises, dont celle de Fukushima » pour des raisons de sécurité.
« Les douanes chinoises maintiendront un niveau élevé de vigilance », a également assuré l'autorité dans un communiqué. En outre, la Chine a affirmé que l'archipel avait « encore de nombreux problèmes en ce qui concerne la légitimité du déversement dans l'océan, la fiabilité des équipements de purification et l'exhaustivité du plan de surveillance ». En outre, Hong Kong a annoncé, le 22 août, appliquer « immédiatement » des restrictions sur des denrées provenant du Japon, selon John Lee, le chef de l'exécutif du territoire.
La Chine n'est pas la seule à voir d'un mauvais œil ces rejets. Selon une récente enquête de Gallup Korea, environ 80% des personnes interrogées en Corée du Sud ont exprimé leur inquiétude. L'accord octroyé par l'AIEA a, d'ailleurs, déclenché des achats de panique de sel dans le pays, par crainte que l'eau de Fukushima ne pollue l'océan, ainsi que le sel provenant de l'eau de mer. Néanmoins, la Corée du Sud a mené sa propre étude du plan de Tokyo, concluant que le Japon respectera les principales normes internationales et que le déversement aura des « conséquences négligeables » sur les eaux sud-coréennes, a déclaré le ministre de la coordination des politiques, Bang Moon-kyu, le 7 juillet. De plus, il faudrait jusqu'à dix ans pour que l'eau traitée rejetée de Fukushima dans l'océan Pacifique parvienne près de la péninsule coréenne, a-t-il ajouté.
Au sujet des critiques et inquiétudes des Etats frontaliers, les deux experts interrogés par la Tribune invoquent les tensions économiques qui pèsent sur les relations entre les trois pays. Une crainte est toutefois bien palpable : celle des pêcheurs japonais qui s'inquiètent de voir leur marchandise boudée par des clients effrayés d'un potentiel risque de contamination. Et malgré les précautions prises par Tepco et le gouvernement japonais, leur image pourrait bien pâtir de cette décision.
Un bénéfice-risque en faveur du plan japonais
Mais aucune autre méthode ne saurait remplacer celle du rejet dans l'océan, rappelle Tristan Kamin. « L'autre option aurait été de continuer à ne rien faire, comme cela a été le cas ces douze dernières années, avec le risque qu'un accident humain ou un nouveau séisme viennent provoquer des rejets non contrôlés, alors qu'aujourd'hui, on atteint un risque sanitaire limité », résume-t-il.
« On ne peut pas empêcher tout rejet, admet-il. Il faut donc un compromis entre empêcher la pratique pour ce que ça engendre comme conséquences ou la mettre en place en limitant au minimum les rejets ». Un bénéfice-risque qui, selon l'ingénieur, est donc en faveur du plan japonais.
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