Sûreté nucléaire : un constat globalement rassurant n’occulte pas les sujets d’inquiétude

Si son ton est moins alarmiste qu’il a pu l’être par le passé, l’Autorité de sûreté nucléaire pointe néanmoins dans son dernier rapport plusieurs dysfonctionnements dont les conditions de détection ou l’absence d’explications ne sont pas du meilleur effet, alors que l’opérateur souhaite obtenir la prolongation de 10, voire 20 ans, d’une grande partie du parc.
Dominique Pialot
L'ASN sera particulièrement vigilante concernant le démarrage de l'EPR de Flamanville.
L'ASN sera particulièrement vigilante concernant le démarrage de l'EPR de Flamanville. (Crédits : Benoit Tessier)

La cuve et le couvercle de Flamanville, la digue de Tricastin et cette semaine, les soudures de l'EPR... L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a eu fort à faire ces derniers mois. Mais c'est peu en comparaison de la fermeture de 12 réacteurs imposée à l'hiver 2016/2017, à la suite de la découverte des problèmes de teneur en carbone dans les générateurs de vapeur fabriqués dans l'usine du Creusot.

Aussi, dans son rapport annuel présenté ce 12 avril, à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), on peut lire :

« En 2017, la sûreté de l'exploitation de grandes installations nucléaires [...] se sont maintenues à un niveau globalement satisfaisant. »

EDF a des progrès à faire

Son président Pierre-Franck Chevet s'est également montré rassurant concernant le contexte de plus long terme « qui est un peu moins préoccupant qu'il ne l'était il y a encore quelques mois. » Il a rappelé que l'ASN est une autorité indépendante, exerçant une magistrature technique ayant pour vocation de protéger les personnes et l'environnement, vérifiant pour ce faire que les exploitants assument correctement la responsabilité qui leur incombe en matière de sûreté. Pour autant, à l'aube de visites décennales pour une grande partie du parc de 900 MW qui atteint les 40 ans (sa durée de vie initialement prévue lors de sa conception) dans les prochaines années et d'éventuelles prolongations de ces réacteurs, la vigilance s'impose.

"EDF a des progrès à faire sur la détection, le signalement et le traitement des écarts", note Pierre-Franck Chevet ajoutant que "l'ASN est vigilante et le restera".

C'est le cas également sur l'EPR de Flamanville avant son démarrage. D'ailleurs, des experts de l'ASN se sont rendus sur place le 10 avril dernier, après qu'EDF a révélé l'existence de défauts de soudures sur des circuits secondaires. De façon générale, ils multiplient ces visites sur le terrain, particulièrement opportunes dans le contexte actuel émaillé d'anomalies et de suspicion de fraudes. Un sujet qui a été beaucoup évoqué lors de la présentation du rapport. Un plan anti-fraudes doit ainsi être présenté à la fin du premier semestre, qui pourrait comporter des mesures propres à la création d'un "système organisé de lanceurs d'alerte", dont les contours juridiques restent à préciser, notamment en termes de protection des lanceurs d'alerte comme de protection des entreprises contre les "déclarations insincères".

Organisation défavorable à la qualité des contrôles

À Flamanville, si l'ASN estime que « les modalités de réalisation des nouveaux contrôles de ces soudures par EDF sont appropriées », elle considère également qu'« EDF devra proposer une extension de ces contrôles à d'autres circuits », notamment tous ceux également fabriqués par les sous-traitants Fives Nordon et Ponticelli. S'il ne s'avance pas sur les potentiels retards et surcoûts que cela pourrait entraîner - EDF maintenant pour l'heure son objectif de mise en service de l'EPR fin 2018/début 2019 - Pierre Franck Chevet reconnaît pudiquement « qu'il y a du travail à réaliser. »

Surtout, cette inspection a « mis en évidence que l'organisation et les conditions de travail lors des contrôles de fin de fabrication ont globalement nui à la qualité des contrôles. » Mais aussi « qu'une surveillance inadaptée de ces prestations par EDF et Framatome n'a pas permis d'identifier et de remédier aux difficultés rencontrées par les intervenants. »

Ces dysfonctionnements rappellent ceux dont la presse britannique s'était fait l'écho il y a quelques semaines sur le chantier de l'EPR d'Hinkley Point C. Outre les conditions d'identification très tardive de ces anomalies, que personne n'avait détecté jusqu'à cette « visite complète initiale », l'ASN manque d'explications sur leur origine même.

Défaut d'origine et prolongation des réacteurs

Son président relève d'ailleurs que certains problèmes, observés notamment à Tricastin ou encore sur les diesels de secours, semblent des défauts d'origine. Or, rappelle-t-il par ailleurs, « la prolongation des réacteurs après 40 ans ne peut s'envisager que sous l'angle d'une amélioration de la sûreté », laquelle « n'a de sens que si les réacteurs en question sont bien au niveau initial requis. »

Pierre-Franck Chevet a rappelé que l'ASN délivrerait en 2020 un avis générique concernant la prolongation du parc, qui sera suivi d'avis pour chacun des réacteurs concernés.

Autrement dit, s'il s'avérait que tel n'est pas le cas, il ne pourrait être question de prolongation sans d'abord remettre les installations au niveau de sûreté prévu à l'origine. Ce qui génèrerait très certainement des coûts importants nuisant un peu plus à la compétitivité du nucléaire, mais jetterait surtout un voile de défiance sur l'ensemble du parc, à un moment où, comme l'a rappelé le député (LREM) Cédric Villani, président de l'OPECST, « le secteur nucléaire a plus que jamais besoin de transparence. »

De son côté Pierre-Franck Chevet, dont le mandat de 6 ans non renouvelable s'achève en novembre prochain, a reconnu que les prochains mois et années seraient intenses pour l'ASN, qui aurait à gérer des dossiers compliqués. Dans ce contexte, il plaide pour le rapprochement qui lui semble inéluctable de la mission de sûreté avec la mission de sécurité, comme l'exercent ses homologues étrangers. Autre suggestion : l'existence d'une formation parlementaire - qui pourrait être une partie de l'OPECST - à même de questionner la gestion des actes de malveillance, même s'ils sont classifiés.

Dominique Pialot

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Commentaires 16
à écrit le 16/04/2018 à 1:22
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L'éolien est à 14 euros le MWh au Mexique 16 euros au Brésil et si l'Europe s'implique dans les renouvelables de manière globale on atteindra ces prix ou quasiment et la méthanation dont le rendement est de plus de 80% est désormais compétitive avec ...

le 16/04/2018 à 19:59
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Vous répétez un argumentaire très à la mode, mais qui ne tient pas la route 5 secondes : Ca n'a pas de sens de comparer les coûts de deux moyens de production qui ne rendent pas le même service. Le solaire et éolien produisent au moment où la n...

le 06/07/2018 à 8:51
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L'éolien en France, 4000 moulins qui produit 4% de l'électricité consommée, il doit être possible également de fabriquer des voitures à voile.

à écrit le 15/04/2018 à 12:56
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Les rapports tombent les uns après les autres le secteur a de plus en plus besoin de l'Etat comme l'admet elle même la Société française d'énergie nucléaire SFEN dans son dernier rapport. Les temps changent il faut anticiper et ne pas recommencer com...

à écrit le 15/04/2018 à 1:41
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Le nucléaire n'est plus compétitif comme les derniers rapports de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN) entre multiples autres le confirment qui réclament une prise en charge publique totale des risques financiers, autrement dit un subventi...

à écrit le 14/04/2018 à 10:37
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Comme toujours, ce n’est jamais la technologie qui est le problème, c’est l’usage que l’on en fait. Il est bien que l’ASN prenne ses responsabilités, mais ASN a t elle le choix ? le gouvernement a t’il le choix ? le pays a-t-il le choix ? S’ils en ...

à écrit le 13/04/2018 à 22:52
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Sur la question de Flamanville, l'ASN pointe à juste titre le manque de surveillance d'EDF. Et oui trop de monde dans les bureaux, mépris de ceux qui s'impliquent dans la technique, etc. Ces messieurs preferent recruter des ingénieurs qui font des i...

à écrit le 13/04/2018 à 22:18
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Moi, quand je sais pas faire je fais pas !! la construction de ces nouvelles technologies toujours plus envahissantes et ingérables à moyen ou court terme me semble déraisonnables. Les rapports (plus ou moins objectifs) de l'ASN, des asso telles que ...

le 13/04/2018 à 22:56
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Le rapport de l’ASN est un peu le bulletin de notes dans une classe où il n’y a qu’un unique élève. Le résultat ne peut qu’être « peut mieux faire ». Mais vous remarquerez (si si, c’est précisé au début de l’article) qu’au final la conclusion généra...

le 15/04/2018 à 13:34
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@ Bachoubouzouc : écoutez les propos du président de l'ASN récemment en audition auprès des parlementaires, je résume : "il n' y a aucune garantie pour le stockage des centaines de milliers d'années pour les déchets de haute activité, il faut espérer...

à écrit le 13/04/2018 à 15:14
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Ca fait beaucoup de problemes pour une industrie qui s'est toujours vantée d'etre infaillible par nature et que taisez-vous si vous n'etes pas d'accord. Il est temps de mettre en place un planning de fermeture auquel on se tienne et qu'on cesse de v...

le 13/04/2018 à 16:25
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Le nucléaire est une technologie sous contrôle. On attend avec impatience un rapport de ce type pour les ENR qui nous expliquent que la durée de vie des batteries n'est pas élevée alors que l'impact environnementale de leur construction est considér...

à écrit le 13/04/2018 à 15:06
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Espérons pour la filière nucléaire, que le gouvernement aura plus de jugeotte qu'avec la SNCF, en gros phase I je casse (2018), phase II on bricole (fin du quinquennat) et phase III heu bon, on sait pas trop comment faire pour que ce soit efficace

à écrit le 13/04/2018 à 10:53
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"Bon tout va mal dans le nucléaire il faut donc qu'on soit plus rassurant afin de ne pas paniquer la population, mais faites gaffe quand même surtout, hein svp !?"

à écrit le 13/04/2018 à 10:36
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Il est essentiel de conserver une Autorité de Sureté Nucléaire puissante et indépendante de la pression des lobbies et autres pressions politiques. En outre, il serait bien venu de copier ce modèle pour le monde de la chimie.

à écrit le 13/04/2018 à 9:08
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Sur une masse de 59 (!) réacteurs, le bilan ne pourra jamais être mieux que « pas mal, peut mieux faire ». Il sera donc toujours aisé d’essayer de monter en mayonnaise dans des articles le moindre petit élément négatif du rapport puisqu’il y en aura...

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