
Oui aux incitations à produire de l'énergie nucléaire, mais pas avec la technologie actuelle. Ainsi pourrait-on résumer la position de la Commission européenne, qui vient de dévoiler, ce jeudi 16 mars, son projet de loi « Net Zero Industry Act » (NZIA) censé améliorer la compétitivité des Vingt-Sept dans les industries « propres », face au protectionnisme acerbe de Washington et Pékin.
Car si l'atome y est mentionné, ne seraient a priori concernées que les centrales de quatrième génération, qui restent aujourd'hui à un stade expérimental, et les petits réacteurs modulaires (SMR), lesquels n'existent même pas encore. Tandis que la Chine et les Etats-Unis entendent, eux, soutenir massivement leur parc existant aux côtés d'installations plus avancées.
« Technologies de pointe » pour produire avec un « minimum de déchets »
Il faut dire qu'en Europe, le sujet cristallise les tensions. Preuve en est : alors que le nucléaire existant figurait parmi les technologies à soutenir dans une première fuite du texte, divulguée début mars, toute mention de l'atome avait disparu dans une seconde mouture, obtenue par Contexte quelques jours plus tard. Résultat : dans la version finale, celui-ci n'est finalement cité qu'une seule fois (contre 90 fois pour les énergies renouvelables), via les SMR, donc, et les « technologies de pointe pour produire de l'énergie à partir de procédés nucléaires avec un minimum de déchets du cycle du combustible ». Autrement dit, cela devrait englober les réacteurs à neutrons rapides, qui permettent de traiter le combustible usé pour récupérer ses matières valorisables (comme Superphénix ou Astrid), aujourd'hui non commercialisés, ou encore les réacteurs à sels fondus, dont la faisabilité n'est pas encore prouvée.
Par ailleurs, l'atome civil fait figure de grand absent parmi les « technologies stratégiques pour atteindre le Net Zéro » identifiées par la Commission. Listées en annexe, celles-ci intègrent les panneaux solaires, les éoliennes, les batteries, les pompes à chaleur et la géothermie, les électrolyseurs, le biogaz, la captation du CO2 et les réseaux intelligents.
Baisse des coûts
En comparaison, le plan américain massif de 370 milliards de dollars présenté cet été par Joe Biden, l'Inflation Reduction Act (IRA), accorde de fortes subventions au parc nucléaire existant. En effet, à partir de 2024 et jusqu'en 2032, les services publics pourront obtenir un crédit de 15 dollars par mégawattheure (MWh) pour l'électricité produite par les centrales. Surtout, plusieurs crédits d'impôt « zéro émission » s'appliqueront à l'atome civil, quelle que soit la technologie employée.
« Cela va pouvoir faire baisser les coûts de la technologie nucléaire dans le pays, ce qui va lui permettre d'accélérer le déploiement de nouvelles installations, notamment à l'export. Or, on constate que les Etats-Unis sont très agressifs sur ce marché en Europe », estime un expert du secteur de l'énergie ayant requis l'anonymat.
En octobre, la Pologne a d'ailleurs choisi l'américain Westinghouse plutôt que le français EDF pour mettre au point sa première centrale nucléaire.
La question des fonds européens
Cependant, le « vrai sujet » du Net Zero Industry Act se trouve ailleurs, alors que ce texte ne constitue « qu'une brique » de la réponse que l'Europe compte apporter à l'IRA, oppose Thomas Pellerin-Carlin, directeur du programme sur l'UE à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE)
« Il ne faut pas tout confondre : le NZIA n'est pas un instrument financier, mais un règlement censé faciliter les processus d'autorisation pour mettre au point de nouvelles usines de fabrication de composants dans l'UE. Or, pour le nucléaire, on dispose déjà d'une filière en Europe. Ce donc n'est pas sûr qu'on ait besoin de plus de sites de production », estime le chercheur. Et d'ajouter :
« Ni aux Etats-Unis, ni en Russie, il y a un système démocratique avec une majorité anti-nucléaire. [...] L'idée qu'un jour, de l'argent de l'Union européenne ira financer cette technologie est démentiel. Il faut respecter le choix des autres membres, et assumer que, sur ce sujet, on fera sans fonds européens ».
La Commission est « neutre », affirme son vice-président
Selon le vice-président de la Commission européenne, l'Allemand Frans Timmermans (connu pour ses réserves sur l'atome), le texte proposé par l'institution bruxelloise « couvre » cependant « globalement le secteur du nucléaire », a-t-il affirmé jeudi lors d'une conférence de presse.
« Le choix du bouquet énergétique reste dans les mains des Etats-membres, ce n'est pas à nous de le décider. En ce sens, nous sommes neutres sur la question du nucléaire », a-t-il poursuivi.
Une intervention qui peine à convaincre certains observateurs favorables à l'inclusion des technologies existantes dans le projet de loi. « Cela ne va certes rien changer à la décision des Etats qui veulent en faire. Mais cela pourra déterminer si on le fera avec des technologies importées ou domestiques », ajoute la source anonyme. Reste à voir si le texte évoluera dans le sens d'un soutien plus marqué à l'atome, ou, au contraire, vers sa disparition totale.
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