Un an après l’accord sur le méthane à la COP26, les émissions de ce gaz à effet de serre crèvent le plafond

Avant l’ouverture dimanche de la COP27 à Charm-El-Cheikh en Egypte, l’accord crucial décroché l’année dernière à la COP26 sur la baisse des émissions de méthane semble mal parti. De fait, les rejets de ce puissant gaz à effet de serre continuent d’augmenter, et atteignent des niveaux record. Et pour cause, les outils de mesure et de contrôle manquent toujours sur le sujet.
Marine Godelier

Ce fut l'un des principaux accords dégagés à la COP26, et une première en termes d'engagement politique global sur le sujet : en novembre dernier, le « Pacte global sur le méthane » voyait le jour à Glasgow. À l'initiative de l'Union européenne et des Etats-Unis, 122 pays s'unissaient pour réduire de 30% d'ici à 2030 leurs émissions de méthane, ce puissant gaz à effet de serre redoutable pour le climat, mais bien moins encadré que le CO2. « C'est la stratégie la plus efficace que nous avons pour ralentir le changement climatique à court terme », répétait alors le président américain Joe Biden, appelant chacun à afficher « ses plus grandes ambitions » en la matière.

Mais quasiment un an plus tard, les signaux alarmants s'enchaînent. Celui de l'Organisation météorologique mondiale, d'abord, qui a souligné fin octobre que les émissions de méthane n'ont jamais augmenté aussi vite d'une année sur l'autre « depuis que les mesures systématiques ont commencé, il y a près de quarante ans ». « Cela montre que nous allons dans la mauvaise direction », avait alors alerté son secrétaire général, Petteri Taalas. Lequel ne fut pas contredit par le rapport annuel de l'Observatoire international des émissions de méthane, une instance placée sous l'égide de l'ONU. Publié quelques jours plus tard, l'épais document souligne en effet que les rejets de méthane dans l'atmosphère « augmentent toujours à un niveau record » malgré la « nécessité d'agir rapidement ». Et selon les experts climat de l'ONU (GIEC), ceux-ci atteignent un niveau inédit depuis au moins 800.000 ans. Entre la trajectoire souhaitée et la réalité observée, force est de constater que l'écart semble se creuser toujours un peu plus.

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80% des émissions du secteur gazier pourraient être évitées sans fermer de sites

Pourtant, réduire ces émissions de 30% d'ici à la fin de la décennie « aurait le même effet sur le réchauffement climatique d'ici à 2050 que de faire passer l'ensemble du secteur des transports à zéro émission nette de CO2 », si l'on en croit le directeur de l'Agence internationale de l'Energie (AIE), Fatih Birol. Alors que le méthane est responsable d'un quart de la hausse des températures depuis l'ère pré-industrielle, il faudrait même diminuer ces rejets de 45% d'ici à cette date, selon le GIEC. Ce qui permettrait d'éviter une hausse de près de 0,3°C d'ici à 2040, et jusqu'à 0,8°C d'ici à la fin du siècle.

Et pour cause, ce gaz s'avère 25 fois plus réchauffant que le CO2 sur une échelle de cent ans, et 80 fois plus sur une échelle de vingt ans. Autrement dit, ses effets peuvent être très puissants, mais un atout considérable le distingue du gaz carbonique : il reste beaucoup moins longtemps dans l'air. Par conséquent, les actions entreprises dès maintenant pourraient porter leurs fruits presque immédiatement, contrairement à celles sur la réduction du CO2, voué à perdurer dans l'atmosphère pendant des décennies quelle que soit la politique entreprise aujourd'hui.

Notamment dans le secteur pétro-gazier, qui représente 35% des émissions de méthane selon le dernier baromètre de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Car selon l'ONU, jusqu'à 80% des mesures d'atténuation dans ce secteur pourraient être mises sans avoir à fermer de sites d'extraction gazière et pétrolière. La clé : une meilleure détection et une réparation des fuites de méthane, appelées émissions « fugitives », lors de la production, du transport et de la distribution des énergies fossiles. En effet, lorsque le gaz est brûlé afin de générer de la chaleur, il relâche du CO2, mais lorsqu'il est relâché tel quel dans l'atmosphère, c'est du méthane qui se dégage.

« C'est là qu'il sera le plus facile d'agir dans un premier temps. C'est juste de la plomberie, ce n'est pas sorcier ! D'autant qu'au moins la moitié de ces émissions pourraient être évitées sans coût net, voire à un coût négatif puisqu'il s'agit d'éviter des fuites de gaz [dont le prix est actuellement très élevé, ndlr] », explique à La Tribune Stefan Schwietzke, scientifique international pour Environmental Defense Fund, l'une des principales ONG luttant contre les émissions de méthane.

Pas de reporting harmonisé

Sur ce sujet néanmoins, le monde ne part pas de zéro : en 2014, les Nations Unies ont lancé un nouveau cadre de reporting international, le « partenariat pétrole et gaz sur le méthane » (OGMP). Depuis, environ 80 entreprises d'une soixantaine de pays représentant plus de 30% de la production pétrogazière mondiale l'ont rejoint, parmi lesquels BP, Eni, Equinor, Shell ou encore TotalEnergies. Le but : mesurer les rejets de leurs installations, évaluer les options pour réparer les fuites et rendre compte des progrès.

« C'est une étape cruciale vers la mise en œuvre du Pacte global sur le méthane, puisqu'il faut d'abord mesurer avant d'agir. Jusqu'alors, seuls les scientifiques et les ONG s'y attelaient », souligne Stefan Schwietzke.

Cependant, les entreprises n'effectuent ces mesures que depuis deux ans environ, et uniquement sur base volontaire. Si bien que « la grande majorité des rapports s'appuient en grande partie sur des estimations plutôt que sur des mesures », ajoute Stefan Schwietzke. Or, ces calculs seraient très optimistes : selon le Global Methane Tracker de l'AIE, les rejets de méthane par le secteur énergétique s'avéreraient 70% supérieurs aux chiffres officiels !

« Bien que la qualité des données déclarées se soit améliorée, la majorité des actifs ne communiquent pas encore d'estimations d'émissions basées sur des mesures », reconnait d'ailleurs l'Observatoire international des émissions de méthane dans son dernier rapport datant du 31 octobre. Pour ne rien arranger, « un nombre important d'actifs non exploités par les entreprises membres de l'OGMP n'ont pas encore été déclarés », écrit l'instance onusienne.

Nouvelle initiative à la COP27

Ce cadre pour le moins flou devrait toutefois évoluer : d'ici à 2026, toutes les entreprises membres de l'OGMP devront appliquer des méthodes de reporting harmonisées et plus précises, afin d'identifier le plus finement possible les taux et les lieux de fuite. Mais pour l'ONG Environmental Defense Fund, il faudrait aller plus loin encore, et rendre obligatoire des contrôles mensuels dans les entreprises pétrogazières, au moins dans l'Union européenne.

Reste à voir si les pays se mettront d'accord sur de nouveaux moyens pour atteindre leurs objectifs en la matière durant la COP27, qui s'ouvrira dimanche à Charm-El-Cheikh, en Egypte. Selon nos informations, l'Observatoire international des émissions de méthane y annoncera « une nouvelle initiative » pour « mieux comptabiliser les rejets dans l'atmosphère ». Le but : aider les parties prenantes à définir une trajectoire forte et, surtout, à réellement parvenir à la suivre.

Pourquoi les émissions de méthane liées à l'élevage ne s'arrêteront pas de sitôt

Les rejets de méthane ne proviennent pas que du secteur pétrogazier : l'agriculture et l'élevage sont responsables de plus de la moitié des émissions anthropiques, via les phénomènes de fermentation lors de la digestion du bétail. Les bovins sont particulièrement en cause : l'estomac des vaches digère facilement le fourrage et la cellulose, mais elles émettent de grandes quantités de méthane en rotant, et ce, quelle que soit leur alimentation. Avec plus de 60 millions de ces bêtes, souvent enfermées dans des « giga-fermes » de dizaines d'hectares, les Etats-Unis, à l'origine du Pacte Global pour le Méthane, sont loin d'y être étrangers.

Cependant, il est beaucoup plus compliqué d'agir sur ce levier que de réparer les fuites sur les installations gazières. « Il n'y a que deux solutions : diminuer le cheptel et passer à un modèle agro-écologique, ou capter à grande échelle le méthane dans des digesteurs, des machines qui transforment les effluents animaux et les déchets en biogaz », expliquait il y a quelques mois à La Tribune Jérôme Boutang, directeur du Centre d'études de la pollution atmosphérique (Citepa).

Si la première option implique un changement considérable des modes de production, nécessitant un glissement culturel et l'accompagnement fort des agriculteurs, la seconde présente de nombreuses limites. Car si les Etats-Unis sont plus avancés que l'Union européenne dans l'installation de digesteurs à biogaz, c'est parce que l'élevage intensif favorise leur mise en place. « En France, les exploitations sont atomisées, beaucoup sont de taille modeste. Il faudrait alors autant de digesteurs que de petites fermes, et même là, il serait difficile de récupérer massivement le biogaz produit », selon Jérôme Boutang.

Dans ces conditions, le schéma à suivre sera-t-il celui des gigantesques exploitations, pourvues d'immenses digesteurs qui absorbent le méthane, mais aux impacts néfastes sur la biodiversité et le bien-être animal ? Une chose est sûre : contrairement à la chasse aux « émissions fugitives » des géants de l'hydrocarbures, s'attaquer aux rejets de méthane liés à l'élevage nécessitera de repenser le modèle agricole dans son ensemble.

Marine Godelier

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Commentaires 12
à écrit le 06/11/2022 à 1:16
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C'est sans doute la faute aux occidentaux qui ne reproduisent pas en nombre suffisant pour soulager la planète par la croissance du nombre de consommateurs responsables...

le 06/11/2022 à 12:46
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pour reduire les emanations de gaz methane il suffit d'un traite interdisant aux ecolos de peter sous peine de voir ces impots multiplier

à écrit le 05/11/2022 à 10:37
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Méthane, méthane nous produisons nous même ce gaz mais beaucoup moins que les bovins qui produisent en France autant de GES que les bagnoles, bon à la louche.. En outre il sert de base à la production de l'hydrogéne sacré (filière dite du reformage) ...

à écrit le 05/11/2022 à 8:16
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Oendant combien de temps va-t-on considérer ces COP qui ne servent à rien si ce n'est à accroitre les émissions de CO2 avec les avions. Cette année tourisme en Mer Roue en attendant le summum avec la Cop 28 aux émirats arabes unis. Au moins Greta a c...

à écrit le 05/11/2022 à 2:28
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Quel pays est prêt à sacrifier son économie pour diminuer ses émissions "nuisibles pour la planète"? L'Allemagne, non! La Chine, non! l'Inde, non! Les US, non! Le UK, non! Le tiers monde, comment voulez-vous, bien sûr que non ! Reste le dindon de cet...

le 05/11/2022 à 19:33
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enfin un peu de bon sens.....!

à écrit le 04/11/2022 à 19:52
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Et c' est tant mieux, car le plus "y'en a", le plus ça pousse. Merci donc au CO2, voir les vérités du physicien François Gervais sur les causes du réchauffement climatique (Sud Radio)/ Tout cela vous confirme que quel que soit les effor...

à écrit le 04/11/2022 à 19:50
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Y a pas un satellite qui mesure le méthane et a repéré des sites très fuiteux ? Les torchères brûlent le méthane (ça représenterait les 2/3 du gaz que l'UE achète) pour éviter les risques d'atmosphère explosive, les sites étant trop dispersés pour co...

à écrit le 04/11/2022 à 19:00
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Bla bla bla comme dirait l'autre. "Charm-El-Cheikh en Egypte," 120 pays avec leur délégation, les lobbyes, les piques assiettes. Qu'ils commencent par être vertueux et à montrer l'exemple en utilisant la visio conférence !

à écrit le 04/11/2022 à 17:55
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Ce n'est pas à grands coups d'hypocrisie qu'on sauvera la planète, et puis de toutes manières, il est trop tard

le 04/11/2022 à 19:53
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La planète n'a pas besoin d'être sauvée, la civilisation humaine plutôt. Elle en a vu d'autres, des dinosaures, des trucs comme ça, depuis si longtemps, et continuera à tourner (ouf, débarrassée de ces humains qui me perçaient la croûte pour trouver ...

à écrit le 04/11/2022 à 17:49
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Les cop une des plus grosses escroqueries de nos politiques que l’humanite va payer au prix fort....

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