Agriculture : « Les appels au productivisme ne sont qu'une instrumentalisation du conflit ukrainien » (Philippe Camburet, président de la Fnab)

Plan de résilience, politique agricole commune européenne, restauration collective... Confrontée depuis des mois à une crise inédite, l'agriculture biologique attend du nouveau gouvernement, et du nouveau ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Marc Fesneau, des mesures de soutien fortes. Philippe Camburet, président de la Fédération nationale de l'agriculture biologique (Fnab) a expliqué à La Tribune les principaux enjeux et ses priorités.
Le plan de résilience actuel va destiner beaucoup d'argent à des filières, comme l'élevage porcin, qui ne répondent en rien aux attentes en matière de durabilité, de bien-être animal, de provenance de l'alimentation. Il privilégie l'agriculture industrielle, bien qu'elle soit à l'opposé du bien commun et du bon sens, déplore le président de la Fnab.
"Le plan de résilience actuel va destiner beaucoup d'argent à des filières, comme l'élevage porcin, qui ne répondent en rien aux attentes en matière de durabilité, de bien-être animal, de provenance de l'alimentation. Il privilégie l'agriculture industrielle, bien qu'elle soit à l'opposé du bien commun et du bon sens", déplore le président de la Fnab. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous dénoncez un échec du gouvernement face aux objectifs qu'il s'était fixé en matière de développement de l'agriculture biologique. Lesquels?

PHILIPPE CAMBURET - Le premier objectif raté est celui d'atteindre en France 15% de  surface agricole bio en 2022. Nous avons à peine dépassé 10% et atteindrons au mieux 12% à la fin de l'année. Le deuxième, c'est celui, fixé par la loi Egalim 1 en 2018, d'atteindre 20% d'alimentation bio dans la restauration collective avant le 1er janvier dernier. Or, le ministère de l'Agriculture lui-même ne connaît pas les taux actuels. On estime toutefois qu'on atteint entre 5-6% et 10-13% selon les produits et les régions. Ce qui est sûr, c'est qu'on est encore très loin de l'objectif fixé par la loi. On a du mal à comprendre que le gouvernement ne soit pas déjà au rendez-vous sur ces questions.

Le bio est  confronté à des difficultés inédites depuis quelques mois. Les gouvernements du dernier quinquennat peuvent-ils être tenus responsables de cette situation?

Il y a effectivement une responsabilité de l'Etat. En 2017, le gouvernement a supprimé les aides au maintien de l'agriculture bio, qui permettaient de compenser les coûts de production. Il a ainsi estimé que l'agriculture biologique devait se développer par elle-même, selon les lois du marché, qui à l'époque affichait une croissance à deux chiffres mais dont aujourd'hui on constate le manque de stabilité. Nous pensons que dans son plan "Ambition bio", qui arrive à son terme cette année, le gouvernement aurait dû prévoir une forme de régulation du marché adossée à un soutien de la consommation, afin que la confiance perdure et qu'on évite d'arriver à un plateau de la croissance comme c'est le cas aujourd'hui.

Du côté de la production, il aurait notamment fallu prévoir un système d'organisation des conversions au bio, pour qu'elles soient plus régulières au cours du temps et qu'on ne se retrouve pas, sur certaines filières, dans des situations de surproduction. On manque de surcroît de données officielles et d'outils statistiques neutres et efficaces, essentiels afin de gérer la production agricole: sur les quantités de produits qui vont arriver sur le marché, sur les filières en construction ou en transformation, sur les capacités de stockage, sur la consommation etc. On aurait donc besoin d'un investissement étatique fort sur l'observation de l'agriculture biologique, afin d'anticiper les évolutions et d'orienter les producteurs vers les filières avec les meilleurs débouchés.

Du côté de la consommation, l'Etat n'a pas mis d'argent suffisant. Les fonds dédiés à la promotion de l'agriculture biologique alloués à l'Agence Bio sont très inférieurs aux moyens dont bénéficient l'agriculture conventionnelle et les labels concurrents.

Vous réclamez un plan de résilience des filières bio. Pourquoi un plan spécifique, alors que de nombreuses filières de l'agriculture française non bio sont aussi confrontées à des difficultés liées à l'inflation des coûts de production et à la difficulté de la répercuter sur les prix en rayons? Pourquoi notamment, comme vous l'affirmez, 75% des élevages de porc bio ont été exclus du plan de sauvegarde destiné à la filière porc française? Que devrait prévoir ce plan de résilience?

Les indemnisations prévues dans le plan de résilience actuel (annoncé le 16 mars pour répondre aux conséquences de la guerre en Ukraine, NDLR) prennent en compte les augmentations des coûts de production des agriculteurs dus à l'inflation des prix de l'énergie, des engrais azotés, de l'alimentation des troupeaux. Mais pour en bénéficier, il faut des tailles d'élevage très importantes. En dessous d'un certain seuil, on ne peut prétendre à aucune aide. Souvent l'agriculture biologique, plus diversifiée et à taille plus humaine, ne rentre pas dans les critères d'accès. On voudrait donc un plan de résilience plus axé sur le soutien de la qualité des productions que sur leur taille.

Le plan actuel va en effet destiner beaucoup d'argent à des filières, comme l'élevage porcin, qui ne répondent en rien aux attentes en matière de durabilité, de bien-être animal, de provenance de l'alimentation. Il privilégie l'agriculture industrielle, bien qu'elle soit à l'opposé du bien commun et du bon sens.

Les inquiétudes sur la sécurité alimentaire mondiale semblent en effet légitimer les appels au retour à une agriculture davantage productiviste...

C'est une question de courage politique d'affirmer qu'aujourd'hui il existe d'autres modèles agricoles que celui productiviste et exportateur, qui sont de surcroît avantageux sur le plan environnemental, social, du bien-être animal etc. Et c'est ce même courage politique qui peut permettre d'orienter les fonds publics vers des agricultures vraiment favorables au bien commun et non pas seulement aux profits individuels.

Aujourd'hui, on sait qu'il est possible de produire autrement, et de nourrir plus de personnes avec moins. Et les appels au productivisme ne sont qu'une instrumentalisation du conflit ukrainien. Au contraire, l'agriculture industrielle, exportatrice et dépendante des marchés internationaux, produit trop: 40% des produits alimentaires sont gaspillés. Elle produit aussi en grande partie pour nourrir des animaux, malgré les conséquences négatives de ce déséquilibre sur l'environnement.

Financer par l'argent public la compétition de cette agriculture sur les marchés internationaux est une aberration totale. Mais sortir de cette logique demande une vision systémique des enjeux agricoles, alimentaires, sanitaires et politiques qui faut défaut aujourd'hui.

Vous demandez à la France de redonner à l'agriculture biologique sa place au sein de la prochaine politique agricole commune (PAC) européenne. Comment? Quel rôle peut jouer le plan stratégique national (PSN), que le nouveau ministre veut faire approuver par Bruxelles avant l'été?

Le Plan stratégique national (PSN) de la France nous inquiète car l'Etat a choisi un système d'attribution des aides insensible aux apports de l'agriculture bio. Il considère que l'agriculture biologique ne doit pas bénéficier d'aides particulières. C'est un pas en arrière par rapport aux paiements verts et aux aides au maintien jusqu'à présent attribués aux agriculteurs bio. Nous avons toujours basé notre fonctionnement sur une part de financement public, en échange des services qu'on apporte à la société: là où l'agriculture biologique est très développée, par exemple, les besoins de dépollution de l'eau sont réduits, ce qui est source d'économies.

L'Etat français ne reconnaît plus cette différence. Mais cette revendication vient d'être confirmée par la Commission européenne, qui a pointé du doigt l'absence de distinction entre l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique dans la première mouture du PSN de la France. Le gouvernement doit donc à présent travailler à une nouvelle version, que nous attendons et scruterons.

Comment rattraper  le temps perdu pour atteindre l'objectif de 20% de produits bio à la cantine?

De façon conjoncturelle, face au contexte inflationniste, nous demandons à l'Etat d'aider les collectivités qui organisent la restauration collective. Il s'agit de subventionner, jusqu'au moins à la fin de l'année 2022 et au niveau de 20 centimes d'euros par assiette, le coût d'achat des produits bio, afin d'éviter qu'à cause de l'inflation elles ne décident de les réduire. Nous demandons également le versement d'une prime de 30 centimes d'euros par repas pour former les cuisiniers et équiper les les cuisines à la préparation de davantage de produits bruts. Enfin, nous demandons aux prochains députés de s'engager à améliorer la loi Egalim en adoptant un régime de sanctions pour les collectivités qui n'atteindront pas l'objectif de 20% d'aliments bio.

Avez-vous pu trouver un accord avec les inter-professions agricoles concernant le contenu de la campagne de soutien à l'agriculture biologique que vous devez lancer prochainement?

Oui. Cela n'a pas été facile, mais nous avons lancé une campagne de communication dimanche, qui durera un mois. Nous avons convenu de ne pas parler de pesticides, ni de bénéfices pour la santé. Mais cette campagne nous permettra de rappeler que les produits sont certifiés et contrôlés systématiquement et au moins une fois par an dans toutes les fermes. Il s'agit de rendre de la confiance aux consommateurs, en insistant sur le fait que dans le bio il ne peut pas y avoir de demie mesure: on ne peut pas être "presque" bio, on est bio ou on ne l'est pas.

Nous allons évoquer aussi la question du goût, importante dans les décisions d'achat des consommateurs, en soulignant que les produits bio sont de saison, et issus de variétés traditionnelles aux saveurs plus prononcés. Nous rappelons aussi que l'agriculture bio est pourvoyeuse en biodiversité.

Les moyens alloués à cette campagne -un million d'euros- sont très limités. Mais nous espérons pouvoir lancer une opération semblable à la rentrée, et ensuite inscrire cette démarche dans la durée, à l'intérieur de chacune des inter-professions agricoles.

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Commentaires 6
à écrit le 31/05/2022 à 8:26
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Lettre ouverte : (Pour information à Giuletta Gamborini de La Tribune) A l’attention de Monsieur Marc Fesneau, Ministre de l’Agriculture, de Monsieur Philippe Camburet, Président de la FNAB, et de Monsieur Loïc Guines, Président de l’Agence bio, Me...

à écrit le 30/05/2022 à 16:45
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Combat de modèles déraisonnables. Nourrir plus de personnes avec moins, jesus l'avait fait, mais lui il marchait sur l'eau quand aux 40% de gaspi dans l'agriculture industrielle, je doute, si tu veux être rentable, la première réflexion est justemen...

à écrit le 30/05/2022 à 14:52
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Pourquoi le contribuable devrait-il subventionner l’agriculture et surtout l’agriculture biologique ?? Si on lui reconnaît tant de bienfaits, elle devrait pouvoir s’autofinancer elle-même………

le 31/05/2022 à 8:49
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le contribuable subventionne l agriculture pour que la production soit toujours superieure a la consommation. La raison ? eviter que des gens aient faim (c est ce qui se passe si production<consommation). apres que l agri bio demande un modele de sub...

à écrit le 30/05/2022 à 14:41
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Comment pensez vous qu'un banquier puisse apprécier une réussite? McKron ne travaille que sur "excell"!

à écrit le 30/05/2022 à 14:24
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dans ce cas. honte aux journalistes et médias pour informations cachées

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