
Inclure des mesures "vertes" dans les plans de relance qui suivront la crise est un enjeu non seulement écologique, mais également d'efficacité. Les politiques de relance respectueuses du climat et conçues sur le long terme ont en effet souvent un meilleur impact économique, relève une étude publiée mardi 5 mai par l'Université d'Oxford.
"Les projets verts créent plus d'emplois, génèrent des rendements à court terme plus élevés par dollar dépensé, et conduisent à de plus grandes économies de coûts à long terme, par rapport aux mesures de relance budgétaire traditionnelles", résume le communiqué de presse de présentation de l'enquête, laquelle compte parmi ses auteurs, aux cotés du professeur Cameron Hepburn, le prix Nobel Joseph Stiglitz, ainsi que l'économiste britannique Nicholas Stern, auteur en 2006 d'un important rapport sur l'"économie du changement climatique". Une conclusion qui se fonde sur des entretiens menés avec 231 experts de 53 pays, notamment des responsables de banques centrales et des fonctionnaires de ministères des Finances, interrogés sur l'impact de 700 politiques de soutien ou de relance mises en œuvre depuis 2008 à travers le monde -classées en 25 catégories.
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Les plans de sauvetage des compagnies aériennes mal notés
L'étude, qui doit être publiée dans l'Oxford Review of Economic Policy, identifie notamment cinq politiques "avec un fort potentiel en termes d'effet multiplicateur comme d'impact climatique". Il s'agit tout d'abord des investissements dans des infrastructures physiques propres, notamment les énergies renouvelables telles que l'éolien ou le solaire, dont la construction, "particulièrement exigeante en main-d'œuvre, crée deux fois plus d'emplois par dollar que les investissements dans les carburants fossiles". Mais il s'agit également des investissements dans la rénovation énergétique des bâtiments, dans la résilience et la régénération des écosystèmes, dans la recherche et le développement "propres" ainsi que dans l'éducation et la formation permettant de lutter en parallèle contre le chômage découlant tant de l'épidémie que de la transition énergétique.
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Les auteurs ajoutent à cette liste une politique particulièrement efficace dans les pays en voie de développement -où en revanche les dépenses en recherche et développement se révèlent moins pertinentes-: le soutien du milieu rural, notamment de l'agriculture durable.
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"Au contraire, les plans de sauvetage des compagnies aériennes non assortis de conditions ont enregistré les pires évaluations en termes d'impact économique, climatique et de rapidité de mise en oeuvre", souligne l'étude.
L'allègement et les reports d'impôts figurent encore parmi les mesures jugées les moins efficaces.
L'opportunité de découpler la croissance des émissions
Certes, le contexte national doit aussi peser dans le choix des politiques plus appropriées, et ces spécificités auront un effet important sur leur efficacité, admettent les chercheurs.
Mais globalement, "les plans de relance budgétaire verte peuvent découpler la croissance économique des émissions de gaz à effet de serre, tout en réduisant les inégalités déjà existantes, qui seront d'ailleurs exacerbées d'abord par la pandémie puis par le changement climatique", estiment-ils.
Les politiques recommandées permettront en outre de profiter, en les pérennisant, des impacts déjà constatés "à court terme du Covid-19 sur la réduction des gaz à effet de serre", ainsi que sur les "comportements humains et institutionnels".
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"Les auteurs du rapport espèrent donc que les pays saisiront cette opportunité générationnelle pour intégrer les critères climatiques dans leurs plans nationaux - pour leurs économies et l'environnement", plaident-ils.
Il suggèrent notamment au Royaume-Uni, qui présidera la COP26 sur le climat -reportée à 2021- de donner le bon exemple, et d'oeuvrer en faveur d'une alliance internationale pour la relance durable.
Une multiplication des appels pour une relance "verte"
Les auteurs de l'étude viennent ainsi rejoindre les nombreux appels qui depuis quelques semaines se multiplient en faveur de politiques de relance "vertes". Dernier en date à l'international, celui signé par 40 membres de la Energy Transitions Commission (ETC), dont Nicholas Stern, la directrice de la Fondation européenne pour le climat Laurence Tubiana, mais aussi des dirigeants d'entreprises telles que Allianz, Bank of America, BP, Heathrow Airport, HSBC, Saint-Gobain, Schneider Electric, Shell, Vattenfall. La déclaration accompagne un rapport de l'ETC fixant sept priorités de politique publique pour relancer l'économie tout en promouvant la transition énergétique.
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En France, l'ancien ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot a également publié mercredi 6 mai une tribune proposant cinq mesures pour "appréhender l'ensemble des crises écologiques, climatiques, sociales, économiques et sanitaires comme une seule et même crise". Dans sa lignée, le 7 mai, plus de 70 ONG environnementales et associations citoyennes ont publié un texte ouvert à la signature des citoyens, proposant aux élus "une reconstruction écologique, sociale et sanitaire". Le 3 mai, 92 dirigeants d'entreprises françaises et internationales avaient pour leur part appelé à utiliser la relance économique pour accélérer la transition écologique.
Des craintes face au lobbying pour une "revenge pollution"
Ces appels interviennent alors que des ONG et des élus regrettent que le soutien d'urgence déjà apporté par la France à des entreprises dites "stratégiques", notamment Air France (signataire de l'appel des 92) et Renault, n'ait pas été conditionné à des engagements écologiques suffisants à leurs yeux. Ils répondent également à la demande formulée par le Medef et l'Association française des entreprises privées (Afep), dans un courrier adressé le 3 avril à la ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne, d'un "moratoire" sur la mise en oeuvre des normes environnementales prévues par la loi du 10 février contre le gaspillage et pour l'économie circulaire.
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Pour l'instant, le gouvernement a promis de ne pas revenir en arrière.
"Nous regarderons attentivement les conséquences de la crise secteur par secteur au regard de la loi, mais nous ne reviendrons pas sur les grands objectifs que nous avons fixés", a indiqué la secrétaire d'Etat au ministère de la Transition écologique et solidaire Brune Poirson, auditionnée par le Sénat le 29 avril.
Le ministère de l'Economie a pour sa part assuré qu'un "contrat de performance et de transition écologique", impliquant des engagements à réduire ses émissions de CO2, sera signé entre Air France et les actionnaires, dont l'Etat. Au niveau de l'Union européenne, le commissaire européen à l'Economie, Paolo Gentiloni, a défini d'"erreur tragique" l'éventualité d'un report du projet de Pacte vert européen visant la neutralité carbone d'ici 2050. Les villes du réseau C40 -parmi lesquelles Paris, Londres, Los Angeles, New York, Hong-Kong etc. - se sont publiquement engagée jeudi 7 mai à "garantir que la relance suite au COVID-19 soit solide, équitable et durable".
Mais face à l'intensité du lobbying d'une partie du patronat, la méfiance vis-à-vis du risque d'une "revenge pollution" -une pollution effet boomerang de la crise-, perdure. Elle alimente la mobilisation en faveur d'une relance verte. En France, le plan de relance de l'économie qui tranchera le débat est attendu à l'automne.
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