Comment les patrons veulent relancer l'industrie française

France Industrie réfléchit sur comment relancer l'industrie française sur un plan en trois étapes. Des pistes de travail qui sont évoquées dans un document interne que La Tribune a pu consulter.
Michel Cabirol
La récession économique provoquée par le Covid-19 va générer une chute probable de 15% à 30% de l'investissement productif en 2020, estime France Industrie
La récession économique provoquée par le Covid-19 va générer une "chute probable de 15% à 30% de l'investissement productif en 2020", estime France Industrie (Crédits : Sipa)

Dans un document interne que La Tribune a consulté, France Industrie, l'organisation professionnelle représentative de l'industrie en France, tente d'anticiper au mieux l'après-crise pour l'industrie française en partenariat avec l'État, notamment avec la direction générale des entreprises (DGE). Elle réfléchit évidemment sur au moins trois étages de la fusée : l'un sur les enjeux de très court terme liés à la survie même des entreprises, l'autre sur les enjeux de moyen et long terme pour relancer l'industrie.

Au-delà, le troisième étage, "la crise Covid-19 a induit de nouveaux circuits et révèle de nouvelles expériences qui vont modifier les organisations, les comportements de travail, de consommation... donc les business models", estime France Industrie. Le président de France Industrie Philippe Varin devrait détailler ce mercredi tout ou partie de ces mesures devant la commission des affaires économiques du Sénat.

Des solutions de court terme pour sauver l'existant

A très court terme, quels sont les enjeux pour l'industrie française en sortie de crise ? France Industrie s'inquiète de la fragilité financière, qui est "un enjeu de survie pour les entreprises" même si l'organisation professionnelle estime que les mesures d'urgence mises en œuvre par Bercy fonctionnent bien et, selon elle, vont perdurer. Elle s'inquiète particulièrement des difficultés de trésorerie (fonds de roulement, crédit interentreprises et financement court terme). Elle se soucie également des baisses de notation des entreprises par les assureurs-crédit et la Banque de France. Ce qui renchérira le coût des prêts bancaires.

France Industrie se préoccupe également de la fragilité capitalistique des entreprises en raison d'un accroissement de leur niveau d'endettement durant la crise. Elle préconise de consolider le haut de bilan des entreprises à travers une enveloppe de Bercy (20 milliards d'euros) pour protéger des "actifs stratégiques" en perdition. C'est à l'Agence des participations de l'État (APE) de s'y coller en renforçant les fonds propres ou en lançant des "nationalisations temporaires". Elle pense également à Bpifrance, qui pourrait prendre des "participations minoritaires". Des pare-feux nécessaires pour repousser les menaces de "prises de participation prédatrices au capital de pépites fragilisées", selon France Industrie.

Après avoir constaté que la consommation des ménages est en forte baisse en raison du confinement, France Industrie recommande par ailleurs de s'assurer de la reprise de la consommation après-crise. Elle préconise de cibler "les plus fragiles" avec des mesures économiques : "primes de fin d'année, zéro hausse d'impôts pour les ménages, retour de l'inflation, hausse des taux d'intérêts..." Enfin, France Industrie souhaite un décalage ou une suspension de mesures législatives ou réglementaires  à l'échelle française et européenne, comme le report des décrets d'application de la Loi Économie circulaire. Une demande qui fait déjà grincer les dents, y compris dans la majorité.

Le député de Maine-et-Loire Matthieu Orphelin a envoyé un courrier très saignant aux organisations patronales (MEDEF, AFEP, CCFA et IATA) où il estime "inacceptable que cette crise économique soit utilisée comme prétexte pour contourner, voire supprimer, les lois et réglementations environnementales en vigueur, ou pour demander de différer les engagements pris sur la baisse des émissions".

A moyen terme, stimuler l'investissement

Pour France Industrie, il faut à tout prix maintenir les capacités d'investissement privé pour relancer l'industrie en sortie de crise. Car la récession économique provoquée par le Covid-19 va générer une "chute probable de 15% à 30% de l'investissement productif en 2020", estime l'organisation professionnelle. Soit 30 à 40 milliards d'euros en moins pour l'investissement industriel. D'autant qu'elle anticipe également déjà un ralentissement en 2021. Pour stimuler l'investissement productif, elle propose "des dispositifs fiscaux incitatifs" : suramortissement (un dispositif pourtant peu efficace si l'impôt sur les sociétés est faible) et remboursement anticipé des déficits fiscaux, des crédits d'impôts latents...

France Industrie souhaite également bénéficier d'investissements publics sectoriels comme levier pour stimuler la demande. Des investissements à flécher en particulier vers les secteurs très touchés par la crise (transports, énergie, construction...) et en les calant également sur les objectifs de la transition écologique. Ce qui fera certainement plaisir à Matthieu Orphelin et à bien d'autres très à cheval sur la transition énergétique alors que les entreprises sont en état d'urgence absolue. Comme quoi les priorités ne sont pas les mêmes pour tous...

Quelles pistes pour remettre les salariés au travail

Dans ce document, France Industrie a consacré un chapitre sur le "capital humain" des entreprises. L'organisation professionnelle a constitué une "Task Force Sociale" qui a pour objectif d'élaborer une "boîte à outils de mesures sociales pour parer le risque d'un gel du marché du travail et d'un plan de licenciement massif dans l'industrie". Quelles sont les pistes examinées ? France Industrie ne s'interdit rien et cela risque de faire grogner les organisations syndicales même si, à ce stade, ce ne sont que des pistes de travail. France Industrie souhaite rendre "la situation d'arrêt moins confortable". Pourquoi ? Parce que "les organisations syndicales ne perçoivent pas assez l'ampleur des risques de faillite et de licenciements économiques".

Pour faciliter le retour au travail, l'organisation du travail devra faire preuve de souplesse, selon France Industrie : activité partielle, assouplir les régimes de travail et répartition du travail, faciliter l'utilisation des accords de compétitivité et garder les compétences, réduction temporaire du temps de travail (et des rémunérations), prolonger dans certains secteurs très fragilisés le chômage partiel (soit un coût mensuel de la mesure pleine : 3 milliards d'euros par mois), virage du télétravail. Les instances représentatives du personnel (IRP) doivent "assouplir leur fonctionnement (délais de prévenance...)", estime France Industrie.

France Industrie préconise de "revenir sur les excès de l'outsourcing à bas coût des fonctions nettoyage et sécurité". Tout comme elle souhaite "assouplir les règles sur l'intérim (extension et raccourcissement des durées). Sur la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), elle veut renforcer l'accès des entreprises au Compte Personnel de Formation (CPF).

Relance : produire en France, innovation et carbone

Premier axe pour France Industrie, s'appuyer sur le Pacte productif du gouvernement tout en mettant l'accent sur la stratégie ambitieuse de "produire en France" avec comme objectif de relocaliser et de sécuriser des chaines de valeurs. Comment ? Pour renforcer la compétitivité des industries françaises et l'attractivité des territoires, l'organisation professionnelle souhaite une baisse des impôts de production. Dans ce cadre, elle s'interroge sur quelles productions la France doit absolument relocaliser dans le cadre de la souveraineté économique. A la lumière de la crise actuelle, France Industrie cite la production des médicaments, de certaines pièces détachées, de certains composants, qui ont fait l'objet de pénuries. L'organisation réfléchit également à l'agroalimentaire, à l'énergie... Elle réfléchit également sur les facteurs permettant une relocalisation efficace. Enfin, elle étudie comment sécuriser les chaînes d'approvisionnement, en particulier celles des matières premières critiques.

Deuxième axe, soutien à l'innovation. France Industrie préconise de "financer les stratégies d'accélération de marchés-clés identifiés comme prioritaires".  Elle cite le cas du développement de la filière européenne pour la mobilité hydrogène. Elle recommande de "soutenir la modernisation" du tissu industriel en accélérant la transition numérique et l'industrie du futur. Pour réussir ce challenge, France Industrie souhaite mobiliser les outils à sa disposition comme le Programme d'investissements d'avenir (PIA 4) au plan national et des Projets importants d'intérêt européen commun (PIEEC) au plan européen. Enfin, troisième axe, la transition carbone. Il faut "maintenir les ambitions prévues sur la transition carbone", estime France Industrie. Cela passe par la décarbonation des filières et le soutien aux investissements verts. Les industriels se tournent vers l'État qui doit aider les investissements et passer des commandes publiques.

Le monde d'après ?

Dans le monde de l'après Covid-19, qui fait fantasmer, France Industrie souhaite contribuer à une réflexion collective et prospective sur cinq points : organisation de l'État pour prévenir les pandémies (et autres catastrophes naturelles), organisation entre l'État et l'industrie (rôle des filières et de la Médiation, intérêt du Conseil National de l'Industrie), organisation de l'industrie (France Industrie, fédérations professionnelles, interface avec le MEDEF et les autres partenaires), organisation des entreprises et, enfin, consommation (modes de transports, vaccination, communications, savoir-vivre...).

Sur la prévention des pandémies, France Industrie milite pour une adaptation du système de santé (télé-médecine, homologations, approvisionnements...) et la mise en place d'une stratégie portant sur la prévision et la gestion de crises sanitaires ou environnementales. Elle s'interroge sur l'opportunité de la création d'une direction générale pour l'armement (DGA) dans le domaine de la santé. Sur l'organisation entre l'État et l'industrie, France Industrie réfléchit à l'organisation la plus agile : DARPA (États-Unis), MITI (Japon) ?

Enfin, sur l'organisation des entreprises, France Industrie lance des pistes de réflexion : agilité et flexibilité des structures de production (numérique, approvisionnement critiques, supply chain...) ; biodiversité du tissu productif avec des usines "couteau suisse (ex : sous-traitance mécanique) ; "usines dormantes" (à l'instar des centrales à gaz sous cocon) ; et, enfin, le télétravail requestionne le fonctionnement administratif, vers une réorganisation du travail ?

Michel Cabirol

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Commentaires 13
à écrit le 03/05/2020 à 13:56
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Vouloir s'est bien , pouvoir s'est mieux et le faire s'est autre chose ... Pour çela , îls faut construire quelque chose sur un marché porteur a longterme ... Exemple , les pompes a chaleur et climatisation , une grande partis viennent d'Asie , ...

à écrit le 30/04/2020 à 18:25
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On ne relance pas l'industrie comme cela : il faut faire beaucoup plus de Recherche et Développement, améliorer notre enseignement, et cesser de penser que le salut viendra d'investisseurs étrangers. Dans la majorité des cas, ceux-ci ne viennent fair...

à écrit le 29/04/2020 à 19:43
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Par la fenêtre !

à écrit le 29/04/2020 à 18:19
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"France Industries réfléchit" : déjà là ça commence mal. Toutes les réflexions françaises depuis cinquante ans ont amené à une désindustrialisation en masse du pays, et donc à un chômage de masse. En plus, produire en France est néolibéralement très...

à écrit le 29/04/2020 à 15:57
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J'espère que le renouveau de l'industrie française ne s'arrêtera pas à la fabrication de masques,gel et gants jetables!

à écrit le 29/04/2020 à 15:55
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L'industrie ppal pôle économique créateur de richesse par emploi créé ou sauvegardé. Or, il faut s'attendre ds l'industrie mécanique au sens large (ss traitants aéronautiques, automobiles...) des saignées de 20 à 40% à court terme. Une relance prop...

à écrit le 29/04/2020 à 13:50
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la chasse aux subventions et au chantage à l'emploi est ouverte, ce qu'il restera des crédits pour les PME ? des nèfles !

à écrit le 29/04/2020 à 13:00
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Comment les patrons veulent relancer l'industrie française Pour relancer l'industrie française, la première chose à faire c'est de contrôler sanitairement toutes les importations venant d'asie, c'est à dire mettre systématiquement en quarantain...

à écrit le 29/04/2020 à 12:54
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Je crois qu'il vaut mieux vendre la France.Combien vaut la France? 5 000 milliards ou 10 000 milliards? La Chine serait très heureuse de faire le chèque.

le 30/04/2020 à 15:35
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Plaisantez-pas. C'est exactement ce que Henri VIII a commence outre Manche et a ete finallise en 1946 avec le "Banking Act". C'etait pas une nationalisation de la Banque d'Angleterre - c'etait une privatisation de "l'Etat". Etant une monarchie, c'est...

à écrit le 29/04/2020 à 11:59
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La CGT a dit : « Produire d’abord, revendiquer ensuite. » ou plutôt "avait dit" puisque c'était le mot d’ordre du Bureau politique de la CGT, appelant les ouvriers à « se retrousser les manches », 6 décembre 1944. Si nous attendons que Martinez lance...

à écrit le 29/04/2020 à 9:10
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L'industrie, c'est sale, ça fait du bruit, ya des gens qui y bossent, qui suent donc pouah, et qui en plus demandent des salaires pour cela tandis qu'en Chine ou au Bangladesh c'est tranquille, c'est loin et en plus on y voit pas les gens mourir pour...

le 29/04/2020 à 19:20
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Dommage de tenir ce genre de propos. C'est une bonne nouvelle de savoir que les industriels français cherchent à relancer les usines en France. À vous lire, on croirait comprendre que vous trouvez dommage que France Industries déploie un plan de sauv...

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