Trois questions sur le chèque de 5,6 milliards d'euros promis par Castex pour décarboner l'industrie

En déplacement à Dunkerque le 4 février, le Premier ministre a annoncé le déblocage d'une enveloppe de 5,6 milliards d'euros pour la décarbonation de la sidérurgie, de l'aluminium, de la chimie et du ciment. D'où viennent-ils et comment vont-ils être fléchés ? Comment les territoires vont-ils y être associés ? Quel sera le prix à payer pour les industriels ? Éléments de réponse.
Le Premier ministre Jean Castex en visite à l'usine ArcelorMittal de Dunkerque, le vendredi 4 février 2022.
Le Premier ministre Jean Castex en visite à l'usine ArcelorMittal de Dunkerque, le vendredi 4 février 2022. (Crédits : Reuters)

Article mis à jour le 8 février à 10h48

C'est l'une des principales orientations de la stratégie nationale bas-carbone. L'un des premiers leviers pour atteindre la neutralité carbone en 2050, telle qu'inscrite dans le projet de loi "Énergie & Climat" de 2019. Il s'agit ni plus ni moins de baisser de 35% les émissions de gaz à effet de serre de l'industrie entre 2015 et 2030.

Comment ? En accompagnant les entreprises dans leur transition vers des systèmes de production bas-carbone et le développement de nouvelles filières, en engageant dès aujourd'hui le développement et l'adoption de technologies de rupture pour réduire et, si possible, supprimer les émissions résiduelles en donnant un cadre incitant à la maîtrise de la demande en énergie et en privilégiant les énergies décarbonées et l'économie circulaire.

Dans le cadre du paquet européen « Fit for 55 » et quatre mois après la présentation du plan d'investissements « France 2030 », l'exécutif, qui vient de prendre la présidence de l'Union européenne, veut montrer qu'il est à l'avant-garde de la réindustrialisation et de la lutte contre le dérèglement climatique.

En déplacement à Dunkerque le 4 février, le Premier ministre Jean Castex a annoncé le déblocage d'une enveloppe de 5,6 milliards d'euros pour la décarbonation de la sidérurgie, de l'aluminium, de la chimie et du ciment, qui représentent 72% des émissions industrielles.

Neuf mois après avoir demandé aux industriels de la chimie et du ciment de publier leur feuille de route en ce sens, il s'agit de rendre possible l'atteinte de ces objectifs, explique aujourd'hui Matignon à La Tribune.

  • D'où viennent-ils et comment vont-ils être fléchés ?

Pour mettre sur la table 5,6 milliards d'euros, le gouvernement va s'appuyer notamment sur « France 2030 », doté de 50 milliards d'euros d'ici à 2027 et dont 34 milliards ont été déjà votés lors du dernier projet de loi de finances.

D'un côté, 610 millions d'euros vont ainsi servir à financer l'innovation et le déploiement de technologies pour une industrie bas-carbone. À commencer par 70 millions alloués à la recherche fondamentale pour le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'IFP (IFP Energies nouvelles, ex-Institut français du pétrole) "pour construire un programme prioritaire de recherche". Les 540 millions d'euros restants seront consacrés à quatre appels à projets pilotés par l'Agence de la transition écologique (Ademe) visant à réinventer les procédés et maîtriser les solutions d'avenir. Il s'agit d'"accompagner toutes les initiatives de recherche, de développement de pilotes industriels et de démonstrateurs" ainsi que des "démarches territoriales de diagnostic", afin de "construire des partenariats sur les bassins industriels qui regroupent plusieurs grands sites émetteurs et d'identifier les infrastructures" à adapter.

De l'autre, 5 milliards d'euros seront fournis sous la forme d'aides directes "au déploiement de solutions de décarbonation des sites industriels", aussi bien pour les sites les plus émetteurs que pour le tissu d'entreprises dans tous les territoires. Précisément, 4 milliards seront dévolus à des technologies innovantes comme l'hydrogène ou la capture de carbone pour décarboner les plus gros émetteurs, et ce, "via des mécanismes de soutien concurrentiels et innovants, construits en lien avec le cadre européen". Autrement dit, l'État achètera des tonnes de carbone non émises par les industriels. Le dernier milliard sera, lui, orienté vers des PME-TPE, spécialistes des "technologies matures" type chaleur renouvelable ou efficacité énergétique, "au service de toutes les entreprises dans tous les territoires".

  • Comment les territoires vont-ils justement y être associés ?

C'est la question que se pose l'ensemble des élus locaux depuis France 2030. Lors de sa présentation mi-octobre depuis l'Élysée, le président Macron a promis d'"impliquer" l'ensemble des partenaires sociaux, des organisations professionnelles, des collectivités territoriales et des acteurs des différentes catégories évoquées. Une promesse réitérée devant les maires réunis en congrès fin novembre auxquels le chef de l'État a annoncé vouloir "territorialiser France 2030".

Jusqu'à présent, le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales se bornait à répéter qu'après une première réunion avec les régions le 13 septembre, "les élus plus globalement seraient intégrés par la suite dans la mise en œuvre plus opérationnelle ". Suite à sa nomination au poste de secrétaire général pour l'investissement, le sujet est à l'agenda de l'ex-député (LREM) Bruno Bonnell.

« Il y a toujours un débat entre la volonté de choisir un projet au niveau national et la volonté de territorialiser. Cela fait partie des sujets que nous allons discuter », dit aujourd'hui Matignon.
« Ce qui fonctionne, c'est lorsque nous arrivons à coupler la recherche, l'innovation et les grands sites industriels dans une logique de création d'écosystèmes », poursuit-on.

Force est de constater pourtant que les intercommunalités et les régions, qui co-pilotent le développement économique au niveau local, et notamment le programme « Territoires d'industrie » en partenariat avec l'État, ont certes été associées au premier comité de pilotage du 1er février dernier, mais attendent encore les modalités précises de gouvernance. Le président (ex-LR) des Intercommunalités de France Sébastien Martin et la présidente (PS) de Régions de France Carole Delga doivent se voir ce mercredi 9 pour convenir d'une position commune, affirme-t-on dans les deux associations d'élus.

« Disponibles pour expérimenter les technologies émergentes, telles que le déploiement de flottes de véhicules électriques ou hybrides, les nouveaux dispositifs alimentaires ou les contenus culturels et créatifs », les maires des grandes villes - plus de 100.000 habitants - et présidents de métropoles de l'association France urbaine se déclarent, eux, « les plus à même d'identifier et soutenir les nouveaux talents, favoriser l'acceptabilité des nouvelles technologies et valoriser les métiers d'avenir. »

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Pour l'heure, seules les villes moyennes - entre 20.000 et 100.000 résidents - semblent avoir obtenu gain de cause. « Nous avons formulé la demande d'être intégrés [à France 2030] et cela a été accepté », fait savoir Villes de France à La Tribune. La présidente de cette assemblée d'élus n'est autre que la maire "macron-compatible" de Beauvais (Oise), Caroline Cayeux, également présidente de l'Agence nationale de la Cohésion des territoires (ANCT).

  • Quel sera le prix à payer pour les industriels ?

En attendant les arbitrages de l'exécutif sur la territorialisation, cette enveloppe est la bienvenue du côté des industriels. « Nos messages ont été entendus », se félicite-t-on à l'Uniden, l'association chargée de défendre les intérêts des entreprises énergivores. D'autant que l'annonce s'est accompagnée de celle d'un plan de grande envergure de la part du numéro un de la sidérurgie, ArcelorMittal, en présence du Premier ministre Jean Castex.

Le groupe s'est dit prêt à investir 1,7 milliard d'euros pour remplacer des hauts-fourneaux par des fours électriques et des techniques de réduction de fer à base d'hydrogène, dans ses sites de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et de Dunkerque (Nord), avec le soutien de l'État. Et ce, « en maintenant les capacités de production ». Une manière d'allier décarbonation et réindustrialisation, à l'heure où ces deux problématiques se disputent la vedette.

Mais une telle transformation passera forcément par une explosion de la demande d'électricité, de manière à compenser l'abandon progressif des combustibles fossiles.

"Techniquement, ArcelorMittal va remplacer du charbon par de l'hydrogène. Cela nécessitera un énorme investissement, afin d'implanter une sorte de haut-fourneau d'hydrogène sur site. Soit une tour de 160 mètres, en plus de fours électriques", précise-t-on à Matignon.

D'autant que cet hydrogène, afin d'être réellement « bas carbone » devra être produit par électrolyse de l'eau, un procédé lui aussi très gourmand en électricité. "L'ensemble fait que la consommation va augmenter. C'est un vrai défi", ajoute la source primo-ministérielle.

C'est même la "question fondamentale", selon Nicolas de Warren, président de l'Uniden.

"Il faudra électrifier en profondeur. Par rapport à aujourd'hui, on parle d'une multiplication par 2,5 à 3,5 en 2050 ! Et il n'y pas d'alternative, car les concurrences d'usages seront telles sur la biomasse et le biogaz qu'il y en aura en réalité peu pour l'industrie", fait-il valoir.

Résultat : l'association de défense des énergo-intensifs demande à ce que soit fixée une « trajectoire claire » quant à l'encadrement des prix de l'électricité, au moment où ces derniers flambent sur le marché de gros. « Nous avons besoin de visibilité. Dès lors qu'on aborde des projets importants, qui appellent des montants colossaux, c'est même un préalable absolu, au-delà des soutiens à l'investissement », insiste Nicolas de Warren. Et de pousser pour la généralisation des contrats à long terme entre les fournisseurs d'électricité et les entreprises énergivores, « seule façon de pallier la variabilité des prix ».

Sur le sujet, un groupe de travail a d'ores et déjà été lancé, et doit remettre ses conclusions définitives fin mars. « Cela fait clairement partie de ce à quoi nous réfléchissons », abonde-t-on à Matignon, sans donner plus de détails. Et pour cause, l'Accès régulé à l'électricité nucléaire (ARENH), qui impose à EDF de vendre une partie de sa production à prix coûtant à ses concurrents, et a jusqu'ici permis de limiter l'explosion des factures pour les entreprises, arrivera à son terme en 2025.

Alors que l'échéance approche à grands pas, et face à une crise historique des prix sur le marché de l'énergie, une chose est sûre : la question de l'après agite plus que jamais le monde de l'industrie, pris en tenaille entre exigences climatiques et considérations économiques.

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Commentaires 2
à écrit le 08/02/2022 à 9:10
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Photo: Le gars qui sait ce que c'est de travailler ! ^^

à écrit le 07/02/2022 à 19:59
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C'est grotesque. Aucun chèque, fut-il en milliards, ne pourra décarboner l'industrie. L'industrie génèrera toujours du CO2

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