Terminé le béton qui coule dans la Seine ? C'est du moins le vœu émis par la mission d'information et d'évaluation du Conseil de Paris dédiée au fleuve. « Il a été acté qu'à terme, les centrales à béton seront amenées à disparaître », écrit dans un communiqué le premier groupe d'opposition Changer Paris (Républicains, centristes et indépendants). « La production de la centrale [de Javel, Paris XVème, ndlr] progressera enfin en performance environnementale puisque dès 2021, les bétons bas carbone représenteront 40% de la production totale, une part qui montera à 50% d'ici à 2023 », annonce, de son côté, le groupe coté au CAC 40 LafargeHolcim France.
Un engagement déjà pris en novembre 2018
Hasard ou coïncidence, le gouvernement et le Syndicat français de l'industrie cimentière (SFIC), dont le président n'est autre que François Petry, directeur général de LafargeHolcim France viennent aussi de publier la feuille de route de décarbonation de la filière. D'après Bercy, celle-ci représente en effet 23% des émissions totales de l'industrie.
Après la chimie qui doit réduire de 26% ses émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 2015, le ciment doit baisser d'un quart ses émissions de GES dans les dix ans et de 81% d'ici à 2050, par rapport à 2015. Un engagement déjà pris dès novembre 2018 par Bénédicte de Bonnechose, la prédécesseuse de François Petry à la tête de LafargeHolcim France et à la présidence du SFIC.
Cette année-là, le directeur financier du groupe Eiffage, qui a publié son deuxième rapport climat le 21 avril 2021, s'était déjà lancé dans le refinancement de facilités de crédits. Tant est si bien que les acteurs bancaires avaient apporté 5 milliards d'euros à l'autoproclamé leader européen du BTP. « Un business model est en train de monter vers la décarbonation et la contribution à l'écosystème vivant. On peut créer un BTP écologique ! », s'exclame ainsi sa directrice du développement durable Valérie David.
En attendant la création d'une chaire de génie civil écologique à l'Ecole supérieure des travaux publics (ESTP) autour d'Eiffage et de l'Union des professionnels du génie écologique, la filière s'engage à optimiser l'efficacité énergétique des sites industriels, à augmenter le taux de substitution des énergies fossiles par des déchets énergétiques, à mettre sur le marché des ciments faiblement carbonés, à piéger, transporter, stocker et valoriser le dioxyde de carbone, à poursuivre les investissements en recherche et développement vers des technologies de rupture, et enfin à réduire l'empreinte carbone de la construction.
L'image d'Épinal de la cheminée qui rejette un panache de fumée
Ainsi, la cheminée qui rejette un panache de fumée est peut-être une image d'Épinal de la cimenterie mais elle reste une réalité. Depuis au moins trois ans, le ministère de la Transition écologique finance un projet de recherche intitulé FastCarb qui vise à accélérer l'industrialisation de la captation du CO2. Objectif: fixer 10 à 15% des émissions de dioxyde de carbone pour un coût de 1,5 à 2 millions d'euros par usine.
« Des projets se développent en Europe et dans le monde avec des technologies rapidement mâtures », affirme le président du Syndicat français de l'industrie cimentière (SFIC), citant l'Autriche qui le transforme en plastique et l'Allemagne en carburant pour l'aviation. Le groupe de BTP Eiffage revendique, lui, un partenariat avec le spécialiste Revcoo pour capter le CO2 de son usine de chaux de Bocahut (Nord).
« C'est presque 22% des émissions de nos scopes 1 (directes) et 2 (indirectes liées aux consommations énergétiques, ndlr) », explique la directrice du développement durable. « N'est-il pas plus pertinent d'investir dans un outil industriel qui reste en France, qui protège l'emploi français et qui permet d'obtenir un produit bas-carbone potentiellement éligible à la taxonomie européenne ? », interroge Valérie David d'Eiffage.
Le dioxyde de carbone est capté à basse température, comprimé, puis liquéfié, précise-t-elle. Avant d'être revendu aux maraîchers pour booster la photosynthèse des cultures locales sous serre, à l'industrie agroalimentaire pour gazéifier les boissons, ou utilisé en bétons déconstruits. Sur une opération à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), « on a déconstruit 100% des bétons qu'on va réutiliser sur le site : on s'évite 16.000 rotations de camions. 30% vont être recarbonatés pour en retirer leur porosité et leur restituer des qualités physiques permettant d'augmenter la part du recyclé de 30 à 60% », assure encore la directrice DD d'Eiffage.
Un matériau recyclable à l'infini
Il y a trois ans encore, un travail de recherche était également mené sur le clinker, un principe actif qui contribue à la résistance du ciment, en vue de le mélanger avec du calcaire ou de l'argile calcinée pour provoquer des « effets coopératifs ». L'ambition restant inchangée: capter toujours plus de CO2 et réduire, en moyenne, de 35% les émissions par rapport aux ciments existants. Lafarge par exemple déclare remplacer les combustibles fossiles par de la biomasse.
Le béton étant par ailleurs, recyclable à l'infini, les cimentiers veulent de la même façon se convertir davantage à l'économie circulaire. A l'inverse de 2018, il n'est plus question d'utiliser les produits issus des industries voisines, comme les boues sidérurgiques composées des restes du lavage des gaz des hauts-fourneaux, mais désormais de développer des bétons bas-carbone.
Dès janvier 2020, le Pdg de Vinci Xavier Huillard souhaitait, lui, « inciter les fabricants de liants à développer des filières », considérant qu'avec son volume de béton, la multinationale est « capable d'accompagner la mutation de l'industrie à avoir des liants plus vertueux ». Un vœu partagé par le groupe Bouygues qui a publié sa stratégie climat en décembre dernier. Ses filiales Colas - route et rail - et Bouygues Construction veulent « augmenter la production de béton bas-carbone » et « réduire l'impact carbone des achats en agissant sur des lots prioritaires avec un engagement de réduction de l'impact carbone du ciment ».
« Certains bétons dits bas-carbone, dont les laitiers, déchets de fonderies et d'aciéries, proviennent de sites hors UE », met en garde pour sa part la directrice du développement durable d'Eiffage. « C'est une espèce de blanchiment du dioxyde de carbone. Il faut assurer la traçabilité de ces matières premières », ajoute Valérie David qui a instauré une étiquette bois dès 2017 pour indiquer l'espèce, la provenance et le pourcentage de transformation de la matière.
Les industriels n'ont plus le choix
Cette décarbonation sera permise par le renouvellement d'appels à projets de l'Agence de la transition écologique (ADEME) et le maintien du guichet de subvention aux projets d'efficacité énergétique opérée par l'Agence de services et de paiement (ASP - établissement public interministériel), fait savoir le ministère de l'Industrie ainsi que le ministère de la Transition écologique et solidaire.
Chez Lafarge Holcim, « le ciment et le béton bas-carbone impliquent des investissements massifs et représentent plus de 60% des budgets de notre centre mondial d'innovation et de recherche qui est près de Lyon », indique le DG France, François Petry.
« A ce stade, pas d'investissements déformants. Les chiffres des concurrents nous paraissent assez forts », explique le nouveau directeur général du groupe Bouygues Olivier Roussat.
En réalité, la filière ciment, qui emploie près de 4.500 personnes et génère un chiffre d'affaires annuel de 2 milliards d'euros, n'a plus le choix. Le 1er janvier 2022, s'appliquera la nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs baptisée « RE 2020 ». « Tous les matériaux continueront d'être utilisés selon leurs atouts respectifs », dit-on au sein de l'exécutif. A une condition : qu'à horizon 2031, « les matériaux plus usuels comme la brique et le béton se soient décarbonés ».
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