Estimer le coût des activités humaines sur la nature : une tâche complexe pour les entreprises

Erosion des sols, pollution de l’eau ou disparition des pollinisateurs : la chute de la biodiversité a-t-elle un coût économique ? La question se pose de plus en plus pour les entreprises, qui en dépendent pour s’approvisionner mais n’intègrent pas ce risque dans leur bilan comptable. Conscientes de ces lacunes, une partie d’entre elles se mettent à mesurer leurs impacts sur les écosystèmes. Mais sans approche commune, la tâche s’avère complexe.
Marine Godelier
Les changements d’usage des terres arrivent en premier parmi les facteurs d’extinction des écosystèmes, affirme l’IPBES, qui est à la biodiversité ce que le GIEC est au climat.
Les changements d’usage des terres arrivent en premier parmi les facteurs d’extinction des écosystèmes, affirme l’IPBES, qui est à la biodiversité ce que le GIEC est au climat. (Crédits : Reuters)

Une « première étape » qui s'avère « indispensable » pour « définir une stratégie qui ait du sens ». Au Congrès mondial de l'UICN (Union Internationale sur la Conservation de la Nature) à Marseille, où des milliers de participants ont défilé la semaine dernière, les multinationales n'ont eu de cesse de répéter l'importance de mesurer leurs impacts sur la biodiversité, afin de les réduire. Une pluie de déclarations essaimées de conférences en table-rondes, vitrines des engagements et promesses de chacun. Ainsi a-t-on pu entendre la compagnie de croisières Ponant se féliciter de la baisse du bruit de ses moteurs en mer, ou encore le fleuron du luxe LVMH mettre en valeur un partenariat avec l'UNESCO pour « permettre aux humains de vivre en harmonie avec la nature ». Sans oublier la profession de foi du géant Nutella, sponsor de l'événement et bien décidé à « favoriser des pratiques durables pour protéger les ressources naturelles ».

Autant d'indices qui montrent que les acteurs privés ont désormais intérêt à afficher des actions en la matière. Car leur responsabilité est indéniable : par le grignotage des sols, l'émission de gaz à effet de serre ou encore la surexploitation des ressources, ils participent à l'érosion du vivant - à l'heure où pas moins de 28% des espèces animales et végétales répertoriées sont menacées.

Et le constat est d'autant plus alarmant que leur activité même s'en trouve compromise. Selon une nouvelle étude de la Banque de France, 42% de la valeur des titres détenus par les institutions financières françaises provient d'entreprises largement dépendantes de services écosystémiques. Pour cause, sans ces derniers, c'est tout leur business plan qui s'effondre : difficile pour les producteurs de pâte à tartiner d'imaginer se priver d'approvisionnements massifs en huile végétale, dont la production abîme la forêt autant qu'elle en dépend, ou pour l'industrie de la mode de se retrouver à court de coton ou de cachemire.

Internaliser le capital naturel

Mais comment les entreprises peuvent-elles intégrer ce risque majeur dans leur bilan ? Attribuer une valeur à la nature dans un tableau comptable, en l'internalisant sous forme de capital, n'est pas une mince affaire. D'autant que la plupart des grands groupes ne s'y intéressent pas réellement : concentrées sur leurs émissions de CO2, seules 5% des sociétés du CAC 40 estiment que la perte de biodiversité a un « impact élevé » pour les actionnaires et les parties prenantes, avançaient le BCG et ChangeNow dans une étude publiée en juin dernier. Dans ce contexte, difficile de séparer ce qui relève des effets d'annonces des actions significatives pour la biodiversité, qui seraient mesurées à l'aune d'indicateurs reconnus.

Lire aussi La biodiversité : la grande oubliée des entreprises du CAC 40

« Si la dimension climat est déjà intégrée dans les outils de gestion des entreprises, elles sont moins avancées sur le sujet biodiversité, et souffrent d'un déficit de connaissances. Elles ne savent pas comment y aller, et avec quels outils concrets harmoniser les stratégies », explique à la Tribune Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France.

Car calculer l'effet de ses activités sur la nature exige des méthodologies plus complexes que la « simple » analyse des émissions de gaz à effet de serre. Avec une large variété d'écosystèmes à considérer et des spécificités qui varient localement, la plupart des acteurs ne s'y retrouvent pas.

Foisonnement d'outils

Et ce flou transparaît dans les discours des entreprises, y compris les plus engagées. Alors que Bouygues Immobilier se félicite au congrès de l'UICN d'avoir mis en place une « calculette biodiversité » pour ramener la nature dans ses projets urbains, Schneider Electric se targue d'être le premier au monde à avoir quantifié son impact en intégralité, en s'aidant d'un outil développé par la CDC Biodiversité, le Global Biodiversity Score (GBS). Reste que le groupe de luxe Kering affirme lui aussi être « pionnier » grâce à son EP&L (Environmental Profit & Loss) développé en interne, qui « convertit en valeur monétaire » la consommation d'eau, la pollution de l'air ou encore l'utilisation des sols « tout au long de la chaîne d'approvisionnement ». Quant à l'armateur de porte-conteneurs géants CMA-CGM, lui aussi « pionnier » en la matière, il s'appuie sur des référentiels spécifiques à son secteur, développés grâce au label « Green Marine Europe ». Et affiche un éventail d'actions très large, de la réduction des rejets huileux à la plantation d'arbre pour « compenser » son activité. Bref, l'imbroglio est total.

« Il y a un balbutiement sur la méthode : une multitude d'entre elles coexistent, ce qui brouille la lisibilité. Cela a aussi été le cas pour le climat, avant que des organismes mondiaux ne publient des standards clairs » explique Marcial Vargas, responsable innovation chez Quantis, un cabinet de consultants qui accompagne les entreprises dans l'évaluation de leurs effets sur la biodiversité, entre autres.

La preuve en est : Quantis s'appuie lui-même sur un autre outil de mesure, développé cette fois par un centre de recherche canadien.

Une harmonisation nécessaire

Pour tenter d'y mettre de l'ordre, le WWF France a lancé mercredi dernier, entre les murs du Congrès, une nouvelle plateforme, le « Lab capital naturel ». Coportée  par AgroParisTech et cinq grandes entreprises françaises (parmi lesquelles Michelin ou Carrefour), elle se donne pour mission d'accompagner les entreprises dans la mesure de leurs impacts de leurs actions en matière de biodiversité. Le principe : tester plusieurs méthodes de mesure existantes « sur une branche, un pays, une gamme de produits », afin de comparer ouvertement leur efficacité, précise la directrice générale du WWF France.

« Les sociétés pourront s'exprimer sur leur propre expérimentation de ces différents outils, et sur la manière dont ils les ont déployés à leur échelle. Ce sera riche pour la communauté scientifique », se félicite-t-elle.

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La plateforme se compose notamment du Science Based Targets for Nature (SBTN), développé par une coalition de scientifiques, d'entreprises, de consultants et d'ONG. Concrètement, le SBTN demande aux entreprises d'estimer leurs impacts et leurs dépendances vis-à-vis des écosystèmes existants, à l'aune de différentes méthodologies, de manière à agir selon une hiérarchie d'objectifs définis en fonction de ces impacts. Avec, en ligne de mire, un objectif clair : « simplifier et unifier les différentes méthodologies autour de ce référentiel », conclut Véronique Andrieux.

Marine Godelier

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Commentaire 1
à écrit le 15/09/2021 à 9:21
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Ce n'est pas leur rôle elles ne peuvent que l'euphémiser cela n'a aucun intérêt c'est comme confier la clé du coffre des finances publiques aux actionnaires milliardaires, ah ben ça c'est déjà fait...

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