Le déclin de la biodiversité met la finance devant ses responsabilités

Le chiffre est alarmant : 42% de la valeur des titres détenus par les institutions financières françaises provient d’entreprises largement dépendantes de services écosystémiques - comme l’eau, l’alimentation ou la pollinisation -, selon une nouvelle étude de la Banque de France. Par conséquent, ce sont la stabilité même des prix et la fiabilité des investissements que l’érosion de la nature met en péril. Pourtant, le système financier n'intègre toujours pas ce risque dans ses évaluations. Une problématique discutée lors du Congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui se tient à Marseille depuis le 3 septembre.
Marine Godelier
(Crédits : Elysée)

Face au déclin des écosystèmes, « le temps presse » et « la finance doit être à bord ». Le discours retentissant de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, à l'ouverture du Congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ce vendredi 3 septembre, marque un tournant. « C'est un message très fort », a réagi Sylvie Goulard, second sous-gouverneur de la Banque de France. Le défi est de taille pour le monde financier qui, s'il commence à s'engager pour le climat, n'a jusqu'à présent pas fait figure de défenseur de la biodiversité. Et s'éloigne à première vue du mandat des banques centrales, qui est d'assurer la stabilité des prix et du système en place.

Pourtant, ce système se trouve face à une crise existentielle, appelant de gré ou de force à  « changer de paradigme », selon les termes d'Emmanuel Macron. Et il ne s'agit pas là d'œuvre de charité, mais d'une approche pragmatique. L'interdépendance entre le domaine bancaire et le bien-être des écosystèmes met en péril la stabilité financière et la fiabilité des investissements, à l'heure où un million d'espèces pourraient disparaître. En témoignent les études récentes : selon le Forum Économique Mondial, près de la moitié du PIB sur la planète est lié à la biodiversité.

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Liens d'interdépendance

Autant de liens mis en lumière dans une nouvelle étude de la Banque de France, menée en collaboration avec l'Office français de la biodiversité (OFB), et présentée lors du Congrès. « C'est la première fois que nous parlons ensemble de finance et de biodiversité. Cela montre qu'on peut objectiver les liens entre la disparition des écosystèmes et la stabilité du système », se félicite Pierre Dubreuil, directeur général de l'OFB. Et les résultats sont préoccupants : 42 % de la valeur des titres détenus par les institutions financières françaises vient d'entreprises qui dépendent de services écosystémiques de la nature, parmi lesquels l'eau potable, l'alimentation ou la pollinisation. « On a calculé que cela correspond à 420 milliards d'euros », précise Paul Hadji-Lazaro, contributeur de l'étude. Perte de rendement agricole ou encore survenue d'une pandémie : les risques que font peser l'érosion du vivant sur l'économie sont bien réels.

« Les risques posés par la perte de biodiversité pour les systèmes socio-économiques pourraient être au moins aussi élevés que ceux imposés par le changement climatique, en plus d'interagir avec eux », font valoir les auteurs de l'étude.

Mais alors que le secteur financier français a tout intérêt à minimiser ce risque, ses impacts sur la biodiversité s'avèrent eux aussi immenses. En investissant dans l'industrie notamment chimique mais aussi laitière et fermière, « il a dégradé 130.000 km carré de nature « vierge », ce qui correspond à l'artificialisation complète de 24 % de la superficie de la France métropolitaine », ajoute Paul Hadji-Lazaro. Un chiffre obtenu en calculant le Global Biodiversity Score (GBS, un outil de mesure d'impact développé par la CDC Biodiversité) des titres détenus par les institutions financières hexagonales.

Pas d'intégration dans les normes

Inverser la tendance ne sera pas une mince affaire. Pour cause, un investissement de 1.000 milliards de dollars par an serait nécessaire afin d'avoir un effet positif sur la nature, quand ceux-ci peinent aujourd'hui à atteindre les 150 milliards de dollars. Et les banques ne réorienteront leurs flux que si les enjeux deviennent « bankable », c'est-à-dire lisibles par les investisseurs et, pour les banques publiques, sources de stabilité des prix.

« Dans le monde de la finance, ce qui n'est pas compté et mesuré a tendance à être ignoré [...] Il faut faire en sorte que les décisions économiques internalisent les coûts et dommage que nos sociétés font subir à la biodiversité », a ainsi fait valoir Christine Lagarde.

Mais aujourd'hui, « la plupart des banques sont incapables d'identifier dans leur bilan ce qui est positif ou négatif pour la biodiversité, et n'ont pas d'activités spécifiques à ce domaine », explique Gilles Kleitz, directeur du département Transition écologique et gestion des ressources naturelles à l'Agence française de développement (AFD). Pour cause, de nombreux programmes de subventions n'ont pas été conçus pour tenir compte des effets sur la faune et la flore. Et le calcul de ces impacts promet d'être bien plus difficile que ceux sur le climat, mesurés à l'aune des simples émissions de gaz à effet de serre.

Faire émerger un cadre commun

Au-delà des engagements individuels, des initiatives ont bien été lancées pour opérer un changement. « Même si on en est qu'au tout début du chemin », concède Sylvie Goulard. Notamment sur la prise en compte du climat dans le modèle, dont l'impact a été plus rapidement théorisé. Ainsi en est-il du réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier (NGFS), mis en place lors du premier « One Planet Summit » en 2017, qui consacre l'importance des risques liés aux émissions de gaz à effet de serre sur le monde financier.

Ainsi en est-il également du lancement d'un groupe de réflexion sur un cadre commun qui rendrait toutes ces données comparables et lisibles par le monde financier : la TCFD (Task Force on Climate Disclosure). Mise en place en 2015, après l'Accord de Paris, elle doit favoriser la transparence financière liée aux risques climatiques sur une démarche volontaire. Un outil qui a, depuis juin dernier, son pendant biodiversité, avec la constitution d'une Task force on Nature related Financial Disclosure (TNFD). Celle-ci devra permettre aux institutions financières d'évaluer les risques et impacts de leur investissement sur la faune et la flore. Le but : aiguiller les investisseurs vers celles les plus vertueuses en la matière, et intégrer le poids de la finance dans les négociations de la COP 15 biodiversité dont un premier round aura lieu à la fin du mois de septembre.

Marine Godelier

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Commentaires 3
à écrit le 08/09/2021 à 10:27
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La finance veut gagner toujours plus toujours plus vite et depuis que nous sommes en néolibéralisme, à savoir depuis que politiciens et financiers copulent copieusement ils ont rajouté "après moi le déluge" la finance internationale étant le problème...

à écrit le 08/09/2021 à 9:04
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Le problème c'est que la Finance, c'est vous et moi...! Moi, par ma participation et mon manque de contrôle car on me demande de fermer les yeux! Eux, de générer plus de cash pour faire taire les autres!

le 08/09/2021 à 10:28
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Heu... toi peut-être mais pas moi, si tu as envie de culpabiliser culpabilise seul stp, assume, merci.

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