Le compte à rebours est lancé : le gouvernement dispose de deux mois pour agir sur les pesticides, sans quoi un recours sera déposé devant le Tribunal administratif de Paris. Un ultimatum fort lancé par deux associations, Notre affaire à tous et Pollinis, et annoncé ce jeudi 9 septembre au congrès de l'Union internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) - qui réunit en ce moment à Marseille dirigeants politiques, grandes entreprises et ONG. C'est le premier recours au monde contre un Etat pour inaction face à la perte de biodiversité, après que le pays a été condamné en février pour n'avoir pas respecté ses engagements climatiques.
Car le temps presse, estiment les requérants. En dépit d'un discours volontariste, « l'Etat a manqué à ses obligations de protection du vivant », fait ainsi valoir Chloé Gerbier, juriste et porte-parole de Notre Affaire à Tous. Pour cause, la France reste, parmi les pays d'Europe occidentale, le plus gros consommateur de pesticides en volume de substances actives. Résultat : la biodiversité s'effondre sous l'effet de ces insecticides, herbicides et autres fongicides désormais omniprésents dans l'environnement, dénoncent les deux associations.
« On assiste à une multiplication des études scientifiques depuis dix ans, qui alertent sur l'érosion du vivant, avec par exemple la disparition de 40% des insectes. Mais aussi sur le lien entre ce phénomène et l'utilisation de produits phyto-pharmaceutiques [les pesticides, ndlr]. On sait, par exemple, que ces substances fragilisent le système immunitaire des abeilles ou affectent les oiseaux migrateurs », fait valoir Julie Pecheur, directrice du plaidoyer et porte-parole de Pollinis.
Une catastrophe reconnue par Emmanuel Macron lui-même, puisque le président de la République a regretté, lors de lancement du Congrès de l'UICN, le rythme trop lent de la transition, en appelant à « progressivement réduire et, partout où on le peut, nous passer des pesticides ». Le propos a été rapidement nuancé sur Twitter par le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, qui a réaffirmé le principe de « pas d'interdiction sans alternative ».
Le cadre européen sous le feu des critiques
A priori pourtant, l'Etat français n'est pas responsable de la mise sur le marché de ces produits, puisque le processus d'homologation est décidé au niveau de l'Union européenne. Et selon l'UIPP (Union Intersyndicale de la Protection des Plantes), qui réunit les entreprises de vente de pesticides, celui-ci est robuste. « Notre secteur a fait des progrès très importants en la matière sous l'effet des avancées des connaissances scientifiques et du cadre réglementaire qui impose un contrôle très strict avant, pendant et après la mise sur le marché d'un produit phyto-pharmaceutique », affirme sa directrice générale, Eugénia Pommaret.
Pourtant, ce cadre est vivement critiqué. En juillet 2013, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) avait appelé à réformer le système, pointant des failles dans les tests... en vain. « Cela fait plusieurs années qu'un comité constitué des représentants des Etats-membres et de la Commission européenne bloque cette réforme, derrière des portes closes », souffle Julie Pecheur. Face à cette situation, Pollinis avait bien lancé une action en justice au niveau communautaire, afin d'accéder aux comptes-rendus des délibérations des Etats-membres sur ce sujet. Mais sans succès à ce jour.
Principe de précaution
Par ailleurs, si le processus d'autorisation se fait au niveau européen, l'Etat français aurait dû agir pour y mettre un terme, considèrent Notre affaire à tous et Pollinis, qui demandent que le principe de précaution soit appliqué à l'échelle nationale. « Au-delà des discours ambitieux, le gouvernement peut se dresser contre ce cadre minimum, qui est une passoire et permet de déverser des produits mortifères sur le marché », précise Chloé Gerbier. En effet, plusieurs textes de droits indiquent que, lorsque l'environnement ou la santé publique se trouvent menacés par un produit ou par un système, les autorités nationales peuvent - et doivent - légiférer.
D'autant que des alternatives existent, affirment les deux associations. « Si la volonté était là, on pourrait relativement rapidement se passer de pesticides, dans un modèle d'agro-écologie », avance Julie Pecheur. D'autant que les coûts de dépollution de l'eau, contaminée par ces substances de synthèse, sont en partie assumés par les citoyens français. « Si on déplaçait ces millions d'euros vers la transition, on parviendrait à en sortir en quelques années », insiste la porte-parole de Pollinis.
Un mouvement « vertueux » qui « aurait dû être entamé depuis 2008 avec le premier plan Ecophyto [qui fixait un objectif de réduction de moitié de l'usage des produits phytosanitaires de synthèse en dix ans, ndlr] », estime Chloé Gerbier. Mais faute aux « lobbys industriels » et face « au manque de courage politique », cette inaction « coûtera cher aux générations futures », déplore la juriste.
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