Face au Covid-19, les villes françaises réinventent leurs stratégies alimentaires

Les collectivités locales ont agi tous azimuts afin de répondre aux conséquences de l'épidémie sur la chaîne alimentaire, montre un recensement de France urbaine. La proximité, l'inclusion, la solidarité ont été des facteurs de résilience.
Giulietta Gamberini
La plupart des villes ont notamment cherché des solutions pour répondre à la demande urbaine de produits frais et locaux tout en aidant les producteurs des territoires péri-urbains et ruraux, en peine de débouchés.
La plupart des villes ont notamment cherché des solutions pour répondre à la demande urbaine de produits frais et locaux tout en aidant les producteurs des territoires péri-urbains et ruraux, en peine de débouchés. (Crédits : Reuters)

Comment assurer à l'ensemble de la population une alimentation suffisante et de qualité malgré la crise sanitaire et le confinement? Cette question, au centre des préoccupations de l'Etat depuis de le début de l'épidémie, a également été un casse-tête pour les villes et les métropoles. Pôles de consommation incontournables, elles redécouvrent déjà depuis quelques années leur rôle central dans la transition vers une alimentation plus saine et durable. En mettant à mal la chaîne alimentaire mondialisée, dont les villes dépendent toujours étroitement, le coronavirus est venu accélérer cette prise de conscience, en les obligeant à développer de nouvelles stratégies de résilience.

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Le réseau France urbaine, qui regroupe grandes villes, métropoles, communautés urbaines et communautés d'agglomération, a recensé les initiatives menées en ce sens. Cette enquête, lancée le 30 mars avec l'aide des associations Resolis et Terres en villes, fait émerger une multitude d'actions, censées répondre aux divers défis découlant des conséquences du coronavirus.

De nouveaux circuits longs soutenus par le numérique

La plupart des villes ont ainsi cherché des solutions pour répondre à la demande urbaine de produits frais et locaux tout en aidant les producteurs des territoires péri-urbains et ruraux, en peine de débouchés à cause de la fermeture d'abord des cantines et des restaurants, puis des marchés. Avec l'aide des collectivités locales, environ 2.500 marchés ont réussi à obtenir des dérogations auprès des préfets, qui les ont autorisés à rouvrir, calcule France urbaine. Des collectivités locales ont également œuvré au maintien des circuits courts existants : par exemple la métropole Aix-Marseille-Provence, qui a aidé des Amaps (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) à obtenir les dérogations municipales nécessaires à la poursuite de leurs activités.

Le soutien des villes a aussi permis de créer de nouveaux circuits courts, boostés par le recours aux outils numériques, qui ont facilité le recensement des biens et des services alimentaires disponibles et leur croisement avec les besoins. Ainsi, à Saint-Etienne, une plateforme mise en ligne par la ville rassemble l'offre des producteurs, primeurs et métiers de bouche locaux, alors qu'à Toulouse une cartographie collaborative des circuits courts a été réalisée grâce au concours des Civam (Centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et milieu rural). Des points de retrait physiques ("drives") ont parallèlement été mis en place, pour permettre aux citoyens de venir chercher les produits commandés dans le respect des conditions sanitaires. Metz Métropole a par exemple aidé la chambre d'agriculture de Moselle à créer d'abord un site internet, puis un drive fermier sur son parking, pour y vendre les produits de 25 exploitants agricoles normalement présents sur les marchés de plein vent de la ville.

> Lire aussi : Agriculture : la crise conforte le modèle, plus résilient, des circuits courts

Des innovations logistiques

Mais pour rééquilibrer l'offre et la demande, de nombreuses villes ont aussi investi le terrain des "circuits longs" traditionnels, en essayant notamment de mobiliser la grande distribution pour écouler les produits locaux désormais sans débouchés. Dans la communauté urbaine de l'agglomération du Havre, une "prise de contact téléphonique avec tous les responsables de magasins sur le territoire, toutes enseignes confondues" a ainsi convaincu Auchan et Carrefour à accepter quelques références. La métropole de Lyon et la chambre d'agriculture du Rhône ont travaillé main dans la main afin d'inciter les acteurs de la grande distribution "à s'approvisionner en produits locaux".

La fluidité de ces divers circuits a été assurée par des innovations logistiques, facilitant tant la gestion des stocks que la livraison des marchandises, malgré la demande croissante et les contraintes sanitaires. Les marchés d'intérêt national (MIN) ont notamment joué un rôle de centralisation accru, note France urbaine. Dans la métropole de Montpellier Méditerranée, "afin de favoriser l'écoulement des productions locales et de massifier les approvisionnements", c'est vers le MIN que les producteurs locaux ont été orientés. Les commerçants ont été invités à s'y approvisionner "plus que jamais". Dans la métropole de Grenoble-Alpes, le MIN a été ouvert gratuitement "à tous les producteurs souhaitant commercialiser des produits". Ces producteurs ont été mis en relation avec les grossistes. Des mutualisations ont également été expérimentées en matière de livraison. A Rouen, la ville a mis en place un circuit de distribution à domicile de produits locaux assuré par des prestataires du MIN, qui a permis de recruter sept personnes.

> Lire aussi : Villes et nourriture : un lien aussi banal qu'invisible

Solidarité face à la précarité

Certaines villes sont allées jusqu'à adopter des solutions logistiques afin de permettre aux citadins d'aider les agriculteurs locaux, en manque de main-d'oeuvre étrangère à cause du confinement. C'est le cas de Brest, qui a mis en place des navettes entre la ville et les exploitations agricoles. Et de nombreuses initiatives ont enfin vu le jour afin de répondre aux besoins des personnes en situation de précarité alimentaire, plus nombreuses à cause de la perte de revenus causée par le confinement et de la fermeture des cantines.

"Ici, l'enjeu n'est pas tant de créer de nouveaux circuits, que de trouver des réponses pour le maintien et le renforcement des circuits classiques de l'aide alimentaire", explique France urbaine, qui fait néanmoins état "de nouvelles manifestations de solidarité": notamment d'une "multiplication d'actes de générosité et de solidarité".

La métropole Aix-Marseille-Provence a par exemple procédé à l'achat de denrées alimentaires à distribuer via les associations. Grenoble-Alpes Métropole a rouvert des cuisines centrales pour la préparation de repas à livrer au domicile des personnes isolées ou vulnérables.

L'alimentation comme "service essentiel"

Pour France urbaine, la leçon à tirer de la crise et des initiatives pour y répondre ne fait pas de doute: elles "confirment l'importance des valeurs de proximité, d'inclusion, de solidarité, de résilience des systèmes alimentaires" que le réseau avait déjà prônées dans une déclaration publiée en 2018. Les 75 membres s'y engageaient à "une transition en faveur d'une alimentation durable, responsable et solidaire".

"L'alimentation doit faire partie des services essentiels bénéficiant d'un minimum d'autonomie", analyse notamment Kader Makhlouf, conseiller Europe, international et sécurité auprès de l'association, et responsable de ces sujets.

Le recensement dévoile d'ailleurs une autre leçon: même si tous les membres de France urbaine se sont mobilisés face à la crise, tous n'ont pas montré le même niveau d'avancement.

"L'adaptation a été meilleure et plus rapide dans les villes qui avaient déjà une stratégie territoriale définie", note-t-il.

C'est notamment le cas de Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Toulouse, qui ont pu s'appuyer sur des cartographies des ressources et des partenariats établis lors de la construction préalable de projets alimentaires territoriaux (PAT).

Les alliances entre collectivités, leviers d'action fondamentaux

De tels plans permettent non seulement d'être en lien en permanence avec les caisses centrales d'activités sociales, les chambres d'agriculture, les banques alimentaires, les associations et les réseaux locaux, rappelle France urbaine. Ils renforcent aussi les alliances entre collectivités.

"Or, ces dernières représentent des leviers d'action fondamentaux, puisqu'aucune stratégie d'autonomie alimentaire n'est envisageable dans l'aire urbaine en raisonnant à la seule échelle de la ville centre. Il faut atteindre au moins la dimension intra-communale afin d'intégrer les producteurs", explique Kader Makhlouf.

Afin de renforcer la dynamique accélérée lors de la crise, France urbaine mise d'ailleurs sur les échanges: son recensement, qui sera suivi d'une analyse approfondie dans quelques semaines, vise justement à permettre aux uns de s'inspirer des pratiques des autres. Mais sera-ce suffisant afin que, dans le "monde d'après", ces initiatives marquent un tournant dans l'approche des villes à l'alimentation et deviennent des leviers permanents de résilience?

Quelques ingrédients sont là, confirmés par la crise, estime Kader Makhlouf: le changement des habitudes des consommateurs, la place grandissante du numérique y compris dans le choix et la commande des aliments. Mais les villes ne pourront pas faire tout toutes seules:

"Beaucoup dépendra aussi de la 'dynamique nationale'", observe-t-il. "L'Etat affirme soutenir les plan alimentaires territoriaux. Il doit désormais leur apporter une aide financière adéquate", plaide notamment le conseiller de France urbaine.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 03/05/2020 à 17:30
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oui oui les magasins bio ecolo bobo, ca existe depuis longtemps, les petits marches aussi apres quand une collectivite a une strategie strategique, ca donne le meme desastre qu'avec les masques et les gants ( pour qu'in fine les brillants strateges...

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