"Imaginons un 5% qualité de vie par projet immobilier" (Jean-Michel Wilmotte, architecte)

LE MONDE D'APRÈS. Pour l'architecte Jean-Michel Wilmotte, il est temps de repenser l'articulation entre les espaces privés et les espaces publics, et notamment de mener une réflexion sur les abords, la végétation, l'art, le bien-être et l'accès aux services publics.
César Armand
L'architecte Jean-Michel Wilmotte plaide pour l'agrandissement des halls d'entrée car c'est là où les habitants se retrouvent. Retrouvons de la générosité dans les espaces, et ne nous contentons pas d'y aménager de simples boîtes aux lettres.
L'architecte Jean-Michel Wilmotte plaide pour l'agrandissement des halls d'entrée "car c'est là où les habitants se retrouvent. Retrouvons de la générosité dans les espaces, et ne nous contentons pas d'y aménager de simples boîtes aux lettres". (Crédits : Jean Grisoni)

LA TRIBUNE - Les avis divergent sur la propagation du Covid-19. Est-ce la densité des villes ou la suroccupation des habitats qui en est la principale cause ?

JEAN-MICHEL WILMOTTE - Il est possible d'avoir de la densité si l'on compose la ville avec de l'espace public et des espaces verts. En réalité, c'est la densité à l'intérieur des appartements eux-mêmes où les gens sont confinés dans des espaces très réduits qui explique peut-être ce phénomène. C'est aussi beaucoup un problème d'hygiène. S'ils veulent habiter à Paris, par exemple, ils sont obligés d'accepter de vivre dans de petits espaces.

C'est pourquoi il vaut mieux rééquilibrer entre l'espace public et l'espace privé. Habiter la ville doit se faire de façon plus agréable. Cela doit être une joie et non plus une simple fonction. A nous les architectes d'y réfléchir davantage, même si les commanditaires nous demandent de remplir la totalité du coefficient d'occupation des sols pour ne pas perdre de centimètre carré. 

Certes, les terrains sont de plus en plus chers avec des charges foncières croissantes à répartir sur le prix de vente au mètre carré, mais nous devrions aussi obliger les promoteurs à vivre dans les lieux qu'ils ont réalisés pour qu'ils s'en rendent compte. Nous avons tous des envies, d'être plus humanistes et d'apporter du bonheur. Libres à nous d'en devenir les acteurs demain.

Avec la généralisation du télétravail, n'est-il pas temps de concevoir des logements plus grands, voire plus utiles ?

Créer des espaces beaucoup plus souples qui peuvent évoluer en fonction de la cellule familiale et/ou de l'âge des occupants devrait être une règle. Je prône en effet une flexibilité de l'espace, avec des appartements qui puissent être rapetissés ou agrandis. Pour cela, et j'en ai toujours rêvé, nous pouvons imaginer deux appartements avec deux distributions verticales avec une sécabilité qui reste possible.

Cela viendra également de l'utilisation de matériaux de meilleure qualité qui répondent à l'exigence essentielle de l'acoustique - qui n'a pas entendu les enfants de ses voisins pendant le confinement ? De même que la lumière naturelle, qu'on n'a pas besoin d'allumer à 15 heures, l'isolation phonique est presque un luxe aujourd'hui... II faudra aussi un maximum de ventilation naturelle, comme en Afrique du Nord où les courants d'air naturels sont là aussi tant pour rafraîchir les lieux que les assainir et les régénérer.

En définitive, tout cela passera par des matériaux sains qui ne soient pas des cache-misère ni des nids pour les bêtes. Les rats adorent la laine de verre, les vers et les nuisibles le bois non-traité. Pourquoi pas utiliser du cuivre plutôt que du plastique pour les poignées de portes ? Cela éviterait que le virus reste quelques heures et contamine ceux qui les manipulent. Nous devons donc nous rapprocher des ingénieurs et des laboratoires.

Je continue de songer, enfin, à une sorte de sas de deux mètres carrés, comme les Asiatiques qui y déposent leurs chaussures avant d'entrer chez eux, qui serait comme une transition entre l'espace privé et l'espace public.

N'est-ce pas justement cette quête de davantage d'espaces qui a accéléré le départ des Franciliens vers les territoires périurbains ? Faut-il parier sur une revanche des petites villes et des villes moyennes à la sortie de la crise ?

Cette crise sera peut-être la chance des petites villes et des villes moyennes. Je crois beaucoup en la restructuration de leur centre-ville où, souvent, deux commerces sur trois sont fermés. Dans ces communes, j'imagine déjà l'équivalent d'un centre commercial à ciel ouvert, un marché linéaire qui prendrait la rue entière, qui investirait les boutiques à l'abandon où l'on trouverait du pain, de la viande et des fruits, avant de payer à la sortie. Tous ces nouveaux habitants vont vouloir également davantage de champs et de forêts à proximité immédiate de chez eux.

Du fait de la promiscuité actuelle, tout un chacun va prendre conscience de son besoin d'espace vital. Il en sera de même d'ailleurs en matière de travail et de santé. Nous aurions pu en outre anticiper les carences et monter des hôpitaux de campagne cinq fois moins chers dans des lieux pas suffisamment occupés comme le Carreau du Temple, les hangars du Bourget ou tout simplement des casernes ou hôpitaux désaffectés.

"Il en sera de même en matière de travail", dites-vous. Comment redonner envie d'aller au bureau ? Suffira-t-il de sortir des logiques fonctionnelles de l'open space ou du flex-office ?

Dessinons et inventons ! Je crois beaucoup en la réhabilitation ou en la greffe sur l'existant. Créons des systèmes de chicanes avec de la lumière naturelle, des fenêtres qui s'ouvrent et qui créent un courant d'air. Ne retombons pas non plus dans le systématisme du télétravail. Dans notre métier, nous avons besoin d'être 3-4 autour d'un plan, et non de rester seul en permanence derrière son ordinateur.

2020 sera en réalité une forme d'entracte, dont la première partie vient de se terminer et dont la deuxième partie va se jouer maintenant. Nous allons réinventer la ville, la rendre intelligente, humaniste et enthousiaste, ne serait-ce que pour apporter à nos concitoyens du bonheur, de l'intelligence et de la beauté.

Lire aussi : Télétravail : l'immobilier de bureaux est mort, vive l'immobilier de bureaux !

La beauté ne passera-t-elle pas aussi par un embellissement des espaces publics?

Imaginons un 5% qualité de vie par projet immobilier, à l'image du 1% artistique. Ce serait l'occasion de mener une réflexion sur les abords, la végétation, l'art, le bien-être et les accès aux services publics. Il faut enfin agrandir les halls d'entrée car c'est là où les habitants se retrouvent. Retrouvons de la générosité dans les espaces, et ne nous contentons pas d'y aménager de simples boîtes aux lettres.

Lire aussi : "Il est probable que l'urbanisme change" Nicolas Mangon, Autodesk

César Armand

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Commentaire 1
à écrit le 12/05/2020 à 14:20
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Interroger un architecte est une excellente idée, cela fait partie de ces gens qui peuvent vraiment générer du bien vivre, un mieux être et donc une meilleur productivité au final ce qu'ont totalement oublié nos dragons célestes obsédés par éradiquer...

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