Tandis que près de 200 pays négocient à la COP26 de Glasgow sur les stratégies à adopter pour limiter la hausse des températures, le monde continue de tourner. Et ce, bien plus vite qu'en 2020, année pour le moins particulière marquée par le plus fort de la pandémie de coronavirus. Car après cette parenthèse dans le rythme effréné de l'économie globalisée, le « monde d'après » n'a pas opéré de tournant : la plupart des régions du globe ont vu leurs activités reprendre de plus belle... et les émissions de gaz à effet de serre avec elles. Autrement dit, la chute inédite de 5,4% des émissions mondiales observée l'année dernière, a laissé place à un rebond tout aussi historique de +4,9% de celles-ci en 2021. De quoi les rapprocher à moins de 1% du record absolu de 2019.
C'est l'une des principales conclusions de l'étude Global Carbon Project publiée ce jeudi, menée par une équipe de recherche composée notamment des spécialistes des universités d'Exeter, d'East Anglia et de Stanford, ainsi que du CICERO et du LSCE.
Dans le détail, les chercheurs ont observé que les émissions de charbon, ce combustible fossile extrêmement polluant, ont même dépassé leur niveau d'avant-crise (mais restent sous le pic de 2014). Quant au gaz naturel, lui aussi d'origine fossile, ses émissions atteignent en 2021 leur plus haut niveau de tous les temps. Paradoxalement, la raison est aussi climatique : ce polluant étant « moins pire » que le charbon ou le pétrole, il est de plus en plus substitué à ces sources d'énergie, car vanté comme une solution transitoire.
Le pétrole, d'ailleurs, apparaît comme le seul combustible fossile dont les émissions ne rattrapent pas leur niveau de 2019. Mais selon les auteurs, cette inflexion est à nuancer : le secteur des transports, qui en est le principal consommateur, n'a pas encore recouvré ses niveaux d'avant-crise. Quand la reprise sera réellement engagée, la donne pourrait bien changer.
L'espoir d'un découplage entre croissance et pollution
Au-delà de ces moyennes globales, les scientifiques ont aussi passé au crible la répartition régionale de ces gaz à effet de serre. Et sans surprise, la Chine restera cette année le premier émetteur mondial, comme c'est le cas depuis 2007. Mais alors que le pays était jusqu'alors responsable d'environ 1/4 des émissions mondiales actuelles, sa part bondira à 31% en 2021, alertent les auteurs.
Alors que Pékin est sorti avant les autres de la crise du coronavirus, ses émissions avaient déjà crû de 1,4% en 2020, quand celles des Etats-Unis, le deuxième pollueur mondial, chutaient de 10,6%, celles de l'Union européenne de 10,9%, et celles de l'Inde de 7,3%. En 2021, ces émissions devraient croître respectivement de 4%, 7,6%, 7,6% et 12,6%, font valoir les chercheurs.
Les observations régionales livrent cependant une note d'espoir : entre 2010 et 2019, 23 pays représentant 1/4 des émissions ont réussi à opérer un découplage entre leur croissance économique et leurs rejets de gaz à effet de serre. Concrètement, ces derniers ont « substantiellement baissé », alors même que les activités ont continué de croître.
Sans surprise, il s'agit notamment des pays très développés, qui ont pu mobiliser des moyens et mettre en œuvre des réglementations pour s'attaquer au problème. Reste que ces pays sont historiquement responsables d'une bonne partie de la pollution mondiale, malgré leur inflexion récente. Car pour rappel, le CO2 reste présent dans l'atmosphère plusieurs dizaines d'années avant de disparaître.
L'objectif de l'accord de Paris s'éloigne dangereusement
A partir de ces résultats, les chercheurs ont estimé les « budgets » carbone de la Terre, c'est-à-dire la quantité de CO2 pouvant être encore émise pour aboutir à un résultat donné. Et leurs conclusions sont pour le moins inquiétantes : les « crédits » restants pour ne pas dépasser l'objectif de l'accord de Paris (de limitation des températures sous la barre de +2°C, si possible +1,5°C, d'ici à la fin du siècle) s'amenuisent dangereusement, avancent-ils. Rejoignant les conclusions catastrophiques du dernier rapport des experts climat de l'ONU (GIEC) publié au creux de l'été, qui alertait sur un dépassement du seuil de +1,5°C dès 2030.
Dans le détail, au rythme de 2021, il resterait huit ans d'émissions pour avoir 50% de chance de tenir le cap des +1,5°C. Le monde aurait encore 20 ans pour se limiter à +1,7°C, et 32 ans avant d'atteindre +2°C. Si l'humanité veut augmenter ces chances à 66%, ces laps de temps baissent encore. Ainsi, le décompte serait de 16 ans pour les 1,7°C, et de 27 ans pour 2°C. Et ce, alors même que chaque fraction de degré supplémentaire apportera son lot de catastrophe, avertit régulièrement le GIEC.
Tandis que les prochaines années seront cruciales pour que le pic ait lieu le plus tôt possible, jeter des pièces dans une fontaine pour accroître les chances d'y parvenir, comme l'ont récemment fait les dirigeants du G20, risque de ne pas suffire.
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