Sortir du plastique, un immense défi

Réduire notre addiction à ce matériau omniprésent : la bataille est lancée, mais se heurte à des obstacles techniques, culturels et économiques.
Giulietta Gamberini
250 kilos de déchets plastique sont déversés chaque seconde dans les mers du monde, selon la revue
Science. Une pollution marine qui finit par affecter la chaîne alimentaire.
250 kilos de déchets plastique sont déversés chaque seconde dans les mers du monde, selon la revue Science. Une pollution marine qui finit par affecter la chaîne alimentaire. (Crédits : Reuters)

« Plastic bashing »: depuis quelques années, cet anglicisme commence à se frayer un chemin dans la langue française. Suggéré par les industriels du plastique pour déplorer le dénigrement dont leur produit serait de plus en plus victime, il reflète néanmoins une tendance réelle : la préoccupation grandissante de l'opinion publique quant à l'impact de la prolifération de ce matériau sur la planète. Ce sont 8,3 milliards de tonnes de plastique qui ont été produites dans le monde entre 1950 et 2015, d'après la revue scientifique Science Advances.

Son premier débouché est l'emballage. En Europe, il représente près de 40% de la consommation. Sa durée de vie, par nature très courte, se traduit par un bilan environnemental catastrophique. Selon la revue Science, 250 kilos de déchets plastique sont rejetés chaque seconde dans les mers du monde. Avalés par la faune marine, ils nuisent à la biodiversité et entrent dans la chaîne alimentaire. En buvant de l'eau en bouteille, ou en mangeant des fruits de mer, une personne ingère jusqu'à 5 grammes de plastique par semaine, révèle un rapport de l'université de Newcastle pour le WWF. C'est l'équivalent du poids d'une carte de crédit. Sans compter que la production de plastique est responsable de 6 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Vrac, réemploi des emballages, consigne

Alors que les producteurs de plastique préfèrent insister sur les atouts qui ont fait le succès de ce matériau « fantastique », les appels des ONG à sortir du plastique sont désormais doublés d'actions citoyennes. Comme le mouvement Plastic Attack, né au Royaume-Uni et présent en France depuis 2018, qui incite des groupes de consommateurs à faire ensemble leurs courses dans un magasin, puis à laisser sur place les emballages qu'ils jugent inutiles. Des pétitions appellent les fastfood à arrêter de distribuer des jouets en plastique dans les menus pour enfants.

Le « plogging », qui consiste à courir en ramassant des déchets, devient tendance. Et selon un sondage réalisé en juin 2019 par le cabinet de conseil et d'audit PwC, plus d'un tiers des Français disent préférer des produits avec peu d'emballages, voire carrément éviter l'utilisation de plastique. Des Français qui expérimentent souvent de nouvelles solutions, remettant au goût du jour des comportements que quelques décennies d'essor du jetable ont suffi à faire oublier: le vrac, le réemploi des emballages, la consigne...

Des taxes sur le plastique

Les autorités gouvernementales s'y mettent aussi, malgré les mises en garde des lobbies contre le danger d'une destruction d'emplois. À travers le monde, de plus en plus de pays choisissent d'interdire des objets en plastique à usage unique : des sacs de caisse aux pailles, en passant par les gobelets. Dernier en date, la Chine, qui vient d'adopter une réglementation étonnamment sévère. La France est aussi l'un d'entre eux, depuis l'adoption de la loi de transition énergétique de 2015, puis de la loi Egalim de 2018. Ces lois ont partiellement anticipé la transposition d'une directive adoptée par l'Union européenne en mai 2019, qui rehausse encore les objectifs.

Mais la loi contre le gaspillage et relative à l'économie circulaire adoptée fin janvier va encore plus loin, en fixant un objectif de sortie de l'ensemble des emballages plastique à usage unique pour 2040. Certaines législations recourent même à l'instrument fiscal, en imposant des plastic taxes censées décourager l'achat d'emballages. Le gouvernement italien l'a fait dans la loi de finances 2020, où l'impôt a été fixé à 0,45 centime d'euro pour chaque kilo de plastique vierge mis sur le marché. L'Union européenne songe aussi à instaurer une telle taxe, afin d'équilibrer le prochain budget européen.

Soucieuses de préserver leur réputation comme d'éviter des contraintes réglementaires, les entreprises multiplient aussi les engagements. C'est le cas notamment des plus gros pollueurs : Coca-Cola, Nestlé, PepsiCo, mais aussi Procter & Gamble, Philip Morris, Mars, Colgate-Palmolive, Perfetti Van Melle et Mondelez International... L'an passé à Davos, un groupe de multinationales, dont PepsiCo et Procter & Gamble, a lancé l'Alliance pour en finir avec les déchets plastique, visant à mobiliser plus de 1 milliard d'euros pour cette cause. Unilever a assuré vouloir diviser par deux ses emballages en plastique, et en collecter et transformer plus qu'il n'en commercialise avant 2025.

À la même échéance, Nestlé affirme vouloir rendre tous ses contenants recyclables ou réutilisables, et augmenter jusqu'à 35% la part de matière recyclée dans ses bouteilles. Pendant les cinq prochaines années, il compte ainsi investir jusqu'à 2 milliards de francs suisses (1,8 milliard d'euros) pour développer la filière des plastiques recyclés. Coca-Cola et Pepsico, qui affichent des objectifs semblables, ont même défrayé la chronique de l'été 2019 en claquant la porte du lobby américain de l'industrie du plastique, le principal au monde.

Un pilier de la société de consommation

Au moment où la transition écologique devient l'un des sujets majeurs de la décennie 2020, ce ferment ne semble que destiné à grandir. Mais se passer de ce matériau devenu, depuis les années 1950, l'un des piliers de la société de consommation, se révèle aussi complexe que de passer aux énergies décarbonées. Toutes les solutions butent en effet sur des obstacles techniques, économiques ou culturels. À l'instar de la lutte contre le changement climatique, la sortie du plastique impose tout bonnement de changer de modèle sociétal.

De fait, au niveau mondial, le plastique semble avoir encore de beaux jours devant lui. Aux yeux des consommateurs des pays émergents et en voie de développement, ses avantages immédiats continuent de primer sur les craintes environnementales. Bien que les infrastructures de collecte des déchets soient particulièrement défaillantes dans ces pays, les multinationales suppriment les bouteilles en verre consignées, arrosent le marché de produits en monodoses, jusqu'à vendre de l'eau en petits sachets. Les emballages s'entassent sur les terres, dans les fleuves, finissent dans la mer. Mais l'industrie du plastique continue de tourner.

En 2018, la production mondiale des matières plastique a crû de 3,2%, atteignant 359 millions de tonnes. Un tiers venait de Chine, qui a encore augmenté ses capacités de production de plastique, sur la base de charbon. À moyen terme, plutôt que de disparaître, le plastique viendra sauver le pétrole, dont les débouchés énergétiques s'amenuisent. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la pétrochimie est déjà devenue le principal facteur de la croissance de la demande d'or noir, devant les transports. Et elle représentera plus de la moitié de cette croissance d'ici 2050. Aux frais de la planète...

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ENCADRÉ

Loi contre le gaspillage et sur l'économie circulaire: des objectifs à long terme

Le 30 janvier 2020, le Parlement français a finalement adopté la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. Elle transpose en droit français plusieurs textes européens : les directives composant le « Paquet économie circulaire » adopté en 2018, qui fixent de nouveaux objectifs quantitatifs de recyclage et de collecte ; et une directive de 2019 qui encadre, voire interdit la commercialisation d'une liste de produits en plastique à usage unique. La loi consacre également plusieurs mesures issues d'une « feuille de route de l'économie circulaire » élaborée avec les acteurs concernés entre 2017 et 2018: « un plan de bataille antidéchets et antigaspillage », selon la définition qu'en avait donné le Premier ministre, Édouard Philippe.

Le texte se penche notamment sur le défi du plastique, même si les mesures ne sont pas assez concrètes selon des ONG environnementales. Il consacre notamment la promesse de campagne d'Emmanuel Macron de « tendre vers l'objectif de 100 % de plastique recyclé d'ici le 1er janvier 2025 ». Il établit également que « la France se donne pour objectif d'atteindre la fin de la mise sur le marché d'emballages en plastique à usage unique d'ici à 2040 », à travers une stratégie nationale définie par règlement avant 2022. La loi fixe également trois objectifs spécifiques aux bouteilles : des taux de collecte de 77% en 2025 et de 90% en 2029 (contre 57% aujourd'hui), ainsi qu'une réduction de moitié de la mise sur le marché des bouteilles à usage unique avant 2030.

À partir de 2023, le gouvernement se réserve la possibilité d'introduire un dispositif de consigne, afin d'améliorer la collecte et le recyclage. À cette date, 5% des emballages devront d'ailleurs être réemployés. Ils seront 10% en 2027. La loi interdit également la distribution de jouets en plastique dans les menus pour enfants dès 2022 et l'utilisation de vaisselle jetable pour les repas consommés dans les restaurants en 2023. Elle interdit en outre progressivement les micro-plastiques « intentionnellement ajoutés » dans les cosmétiques, les détergents, les produits d'entretien ou les dispositifs médicaux. Elle modifie la liste des articles à usage unique qui avaient été interdits par la loi Egalim à partir de 2020, et repousse leur interdiction à 2021. G.G.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 10/02/2020 à 17:36
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Si l’objectif est de sortir du plastique pour entrer dans un matériau similaire, la démarche ainsi posée n’a aucun intérêt !!! Il vaudrait mieux partir du contenu plutôt que du contenant....

à écrit le 10/02/2020 à 9:48
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A une époque je privilégiais le jus d'orange en bouteille verre et délaissais le plastique, mais le verre a disparu, car lourd (entre autres, doit y avoir des raisons industrielles annexes (dont intérêts de certains, organisation de production, pas d...

à écrit le 10/02/2020 à 8:49
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Le problème du plastique ne pourra pas être effacé par même la plus grosse et chère campagne lobbyiste du monde puisque les dégâts visuels sont considérables et les gens finissent par être écœuré de le voir partout, notamment dans les océans selon le...

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