Cinq réformes clés pour la finance mondiale

Un sommet du G20 se réunit le 15 novembre à Washington, à la demande de Nicolas Sarkozy qui a lancé l'idée d'un nouveau Bretton Woods. Jean Tirole, un des économistes français «nobélisables», explique les points essentiels d'une nouvelle architecture financière mondiale, alliant transparence accrue, contrôles renforcés et meilleure prise en compte du long terme.

Face à la tempête financière qui ébranle la planète, Européens et Américains se sont mis d'accord sur la tenue d'une grande conférence internationale, avec comme objectif une meilleure régulation des marchés financiers. Réformer ainsi, dans l'urgence, constitue cependant une gageure. Il ne faudrait pas que soient remis en cause des instruments financiers qui ont été dévoyés ces derniers temps mais qui sont indispensables au dynamisme de l'économie mondiale. Comme souvent, le diable est dans le détail. Plusieurs des mécanismes qui régissent actuellement les marchés financiers doivent être revus dans leur principe ou leur application. Les réformes doivent intervenir en particulier sur cinq points.

1/ Donner aux autorités de régulation les informations qui leur sont indispensables pour pouvoir intervenir et empêcher les dérives. La sphère financière «régulée» (banques, fonds de pension, compagnies d'assurances...) est soumise à des règles prudentielles afin de protéger les petits déposants qui lui confient leurs économies sans être très bien informés. Ces règles prennent en particulier la forme d'exigences en fonds propres pour constituer un «coussin» contre les pertes. Elles ont aussi pour but de protéger les contribuables, dans la mesure où ces établissements, en risque de faillite, se tournent souvent vers la puissance publique pour être renfloués. Elles ont enfin comme objectif de limiter les effets domino tels qu'ils se produisent actuellement, avec des faillites en chaîne, qui obligent les États à des interventions massives.

Pourquoi, malgré ces règles, malgré l'existence de superviseurs chargés de vérifier leur application, les marchés financiers en sont-ils là?? Des réformes s'imposent pour instaurer une plus grande transparence et éviter que la puissance publique, prise en otage par un risque de contagion, ne soit forcée de renflouer des établissements (tel Bear Stearns) qu'elle ne régule même pas. Il faut en particulier encourager, par le biais des exigences en fonds propres, la détention et l'échange en Bourse de produits financiers standardisés. On a assisté ces dernières années à la création d'une multitude de produits sur mesure adaptés aux besoins de clients spécifiques?; mais cette créativité empêche les superviseurs d'évaluer correctement les risques associés. De même, il faut clarifier les expositions mutuelles entre établissements financiers afin qu'elles soient mieux maîtrisées par les superviseurs. On peut encourager, par exemple pour les contrats de produits dérivés, la participation des banques à des systèmes centralisés où les risques de contrepartie sont lisibles et limités.
 

2/ Mieux mesurer les risques bancaires. Les superviseurs bancaires sont conscients que les mesures de solvabilité, et encore plus de liquidité, sont très imparfaites et avaient entamé des réflexions sur ce sujet bien avant la crise. Par contre, il faut réfléchir avant de remettre en cause l'évolution d'une comptabilité en valeur historique vers une comptabilité en juste valeur. Cette dernière attribue à chaque actif sa valeur actuelle, et non celle qu'elle possédait au moment de son achat. Ainsi, elle fait clairement apparaître les pertes, dénonce les dirigeants qui ont fait des choix hasardeux et permet une intervention plus rapide des autorités en cas de dérive.

Mais cette comptabilité en juste valeur n'est pas sans inconvénient. Une chute, même mineure, du prix des actifs (par exemple immobiliers) peut faire boule de neige. Les intermédiaires financiers devront alors reconstituer leurs fonds propres afin de respecter les règles prudentielles. S'ils ne réussissent pas à lever de nouveaux fonds, ils devront revendre des actifs, faisant baisser les cours et entraînant l'ensemble des intermédiaires financiers dans une spirale de sous-capitalisation.

Pour éviter ces inconvénients, tout en conservant un thermomètre performant (la comptabilité en juste valeur), il faut que les superviseurs puissent exiger un niveau de fonds propres variable en fonction de la situation économique, plus importants en dehors des récessions. Un tel système, ambitieux, est viable si la notion de récession est encadrée par des lignes directrices et si l'indépendance de la supervision bancaire est garantie.

3/ Mieux contrôler le fonctionnement des agences de notation.

Les agences de notation sont devenues au cours du temps de véritables «auxiliaires de régulation», car les institutions financières régulées voient leurs exigences en fonds propres diminuer lorsqu'elles détiennent des créances bien notées. Cette utilisation des notations par les superviseurs procure aux agences des revenus considérables, qui doivent avoir des contreparties. La création d'une autorité internationale de supervision des agences de notation est souhaitable. Elle définirait une série de «bonnes pratiques», accréditées par les superviseurs et qui devraient être mises en ?uvre pour que les notes des agences soient utilisées.

Sous la responsabilité de cette autorité, les conflits d'intérêts des agences de notation seraient éliminés. Leurs commissions ne dépendraient plus du succès de l'émission et les services d'évaluation préliminaire, facteurs d'opacité, seraient interdits. Les performances des agences de notation en termes de qualité de prédiction pourraient aussi être mesurées et comparées pour rendre la concurrence plus effective. Enfin, pour que les investisseurs et les régulateurs sachent à quoi ils s'exposent, une note devrait signifier la même chose, quel que soit le type de créance (obligation d'entreprise, emprunt municipal, créances issues de la titrisation d'emprunts immobiliers), ce qui n'est pas du tout le cas aujourd'hui.

4/ Indexer la rémunération des dirigeants des institutions financières sur leurs résultats de long terme.

Les rémunérations conséquentes de dirigeants ayant failli sont choquantes, même en se restreignant au point de vue strictement économique. En un mot, elles ne sont pas incitatives. Les stock-options réalisées avant la dégringolade et les parachutes dorés récompensent la sous-performance, pas la surperformance. Une régulation directe par l'Etat des systèmes de rémunération des dirigeants a cependant ses limites. D'abord, de telles régulations peuvent être en partie contournées, créant des inefficacités : bénéfices en nature, packages de retraite, options diverses, choix de gouvernance favorable aux dirigeants?; ensuite, les meilleurs dirigeants risquent de partir vers les hedge funds et autres acteurs non régulés. De même, ils auront tendance à partir à l'étranger.

Il semble plus constructif de veiller à ce que les établissements de la sphère régulée mettent en place des systèmes de rémunération différée, tournés vers la gestion de long terme, et d'exiger plus de fonds propres si les schémas de rémunération poussent au court-termisme et à une prise de risque exagérée. La durée pendant laquelle une rémunération contingente devrait être bloquée dépend beaucoup de l'activité. Il vaut mieux que le dirigeant soit récompensé une fois sa performance relativement bien observée. Certains choix ont des conséquences révélées seulement dans le long terme, tandis que d'autres se révèlent très rapidement gagnants ou perdants.

5/ Répondre aux défis de l'internationalisation des établissements financiers.

L'internationalisation des établissements financiers, inéluctable, a créé de nouveaux défis pour la régulation. Si les régulateurs nationaux se concertent en permanence, le cadre international est encore inadapté au nouveau contexte. Les lois sur la faillite ou l'assurance-dépôt ne sont pas harmonisées, pas plus que la mise en ?uvre des accords internationaux sur les fonds propres. Or, les actions d'un Etat vis-à-vis d'une de ses banques affectent les petits déposants des filiales dans d'autres pays ainsi que les contreparties étrangères de la banque sur les marchés de gros et de produits dérivés.

Il s'agit de mener une réflexion sur les responsabilités respectives. Par exemple, il paraîtrait normal que le pays régulant une banque soit tenu responsable du coût de la faillite de celle-ci pour l'assurance-dépôt des pays où elle a des filiales, ce qui n'est pas le cas actuellement. A plus long terme, on peut envisager la création d'un superviseur européen placé auprès de la Banque centrale européenne. Il pourrait permettre d'éviter le «chacun pour soi» et faciliter la réunion d'un pool de compétences de haut niveau que les agences des vingt-sept pays ne peuvent chacune rassembler. Une telle solution est séduisante pour autant qu'une telle agence européenne soit incitée à anticiper les problèmes, à adopter une approche économique de la régulation et ne devienne pas une bureaucratie peu réactive.

Il faudra aussi s'intéresser de plus près au partage des coûts de renflouement des banques en faillite. L'absence de Trésor européen pose problème, chaque pays étant incité à sous-estimer ses enjeux pour réduire sa participation à un éventuel plan de sauvetage.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Le systeme financier actuel est incompatible avec un développement mondial harmonieux. Jamais il n'y a eu dans le monde de tels deséquilibres économiques que depuis le FMI et la Banque Mondiale ! Je veux bien croire qu'a partir de maintenant ils vont...

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